Le discernement du mineur en assistance éducative
La problématique autour de la notion de discernement des mineurs en assistance éducative est mal maîtrisée, et cela aboutit parfois à des pratiques professionnelles inadaptées. Il semble donc indispensable de revenir sur les règles applicables dans le cadre juridique actuel.
Le mot « discernement » apparaît à plusieurs endroits dans notre droit.
Dans le domaine civil on le trouve notamment dans le texte général relatif à l’audition des mineurs en justice (art. 388-1 du code civil texte ici et art. 338-1 et suivants du code de procédure civile, textes ici), à propos de son audition au cours d’une procédure d’adoption (art. 353 du code civil, texte ici), de son audition dans une procédure de divorce (art. 1092 du code de procédure civile, texte ici, art. 1557 du code de procédure civile, texte ici), de la place du mineur dans une procédure de tutelle (art. 1222-2 du code de procédure civile sur la consultation du dossier, texte ici, art. 1234 sur la demande de convocation du conseil de famille, texte ici, art. 1236 sur son audition, texte ici).
En droit pénal, le principe général est que le mineur doté de discernement est responsable de ses actes (art. 122-8 du code pénal, texte ici), ce qui permet à partir de cet âge le prononcé de sanctions pénales.
La loi ne précise pas ce qu’est le discernement. Le mot est défini ainsi dans le dictionnaire de l’Académie française : « Action de discerner, de distinguer par la vue ou par l’esprit. » et « Faculté de juger sainement, d’apprécier avec netteté et justesse. » Le dictionnaire Larousse mentionne : « Faculté d’apprécier sainement les choses, intelligence, sens critique ».
Et, même si on peut le regretter, elle ne fixe pas non plus d'âge minimal en dessous duquel le discernement ne pourrait jamais être retenu. Ce qui induit nécessairement une part de subjectivité et d'arbitraire dans l'appréciation du discernement.
De fait, le discernement suppose une maturité minimale, une réelle capacité intellectuelle d’analyse, de compréhension, et de maîtrise de son environnement, et une aptitude à participer aux échanges et à interagir avec les autres de façon élaborée et adaptée. Ainsi que la capacité de raisonner de façon autonome, et d’exprimer un point de vue sans influence excessive des tiers.
Si la notion générale est assez facile à appréhender, son contenu va inéluctablement varier en fonction des circonstances dans lesquelles ce discernement va intervenir. Concrètement, plus les circonstances imposant un discernement sont complexes, plus les exigences quant à l’existence de ce discernement vont être élevées.
A titre d’illustration, si la loi estime qu’un mineur de 13 ans peut avoir un discernement suffisant pour comprendre que subtiliser un objet appartenant à un tiers sans son accord est un vol, personne ne considère que le même mineur de 13 ans dispose du discernement suffisant pour que lui soit conféré le droit de voter aux élections. Parce que dans les deux hypothèses on ne parle pas du même discernement.
C’est pourquoi et pour ce qui nous intéresse, afin aboutir à une conclusion juridiquement indiscutable, le raisonnement doit être élaboré en deux étapes : Que prévoient les textes sur le discernement du mineur et quelle est la place d’un mineur doté de discernement en assistance éducative ? Par voie de conséquence quelles sont les conditions pour qu’un mineur soit considéré comme doté de discernement à cet endroit ?
Et c’est bien parce que la situation juridique du mineur en assistance éducative est très particulière que l’analyse du discernement doit être propre à cette matière.
Nous terminerons en dissipant une éventuelle confusion entre audition et discernent.
La place du mineur doté de discernement en assistance éducative
Le code de procédure civile, dans la section relative à l’assistance éducative (art. 1181 à 1200-1, textes ici), mentionne le discernement du mineur : dans les article 1182, 1184 et 1189 relatifs aux personnes que le juge des enfants doit auditionner, dans l’article 1186 relatif aux personnes pouvant faire le choix d’être assistées d’un avocat, dans l’article 1187 relatif aux personnes pouvant venir lire le dossier au greffe du tribunal pour enfants (le mineur devant être accompagné).
La même section prévoit aussi la notification des décisions (des juges des enfants et des chambres des mineurs) aux avocats des mineurs et directement aux mineurs de plus de 16 ans (art. 1190 et 1194), le droit pour les mineurs de former appel des décisions des juges des enfants (art. 1191), l’avis envoyé au mineur de plus de 16 ans des appels interjetés par d’autres (art. 1192)
Les articles du code civil relatifs à l’assistance éducative (art. 375 à 375-9, textes ici) précisent qu’un mineur peut saisir le juge des enfants s’il s’estime en danger, et peut pendant la procédure lui demander une modification des mesures en cours.
Cela nous montre que les mineurs dotés de discernement ont juridiquement en assistance éducative presque la même place que les adultes. Ils ont quasiment les mêmes droits. En devenant partie à la procédure, les mineurs sont obligatoirement entendus sinon la procédure est irrégulière comme vient de le rappeler la cour de cassation (arrêt intégral ici), ils ont droit à l’assistance d’un avocat pour les aider à élaborer et présenter leur point de vue, le droit de discuter les mesures à prendre, et le droit de faire appel des décisions des juge des enfants.
Mais cela suppose d’abord qu’ils soient en capacité de comprendre et d’analyser avec le recul et la clairvoyance suffisante la situation dans laquelle ils sont, les composantes d’une éducation saine et sécurisante, les obligations y compris juridiques de leurs des parents à leur égard, les comportements et les éventuelles défaillances de leurs parents et plus largement de leur environnement, ce qui doit/peut être modifié dans cet l’environnement, ce qu’ils sont en droit de revendiquer pour eux-mêmes, ce qu’ils peuvent espérer de l’intervention des travailleurs sociaux et leur demander.
Cela impose ensuite qu’ils comprennent parfaitement qui sont les professionnels qui interviennent (juge, procureur, travailleurs sociaux, experts, avocats etc..), ce que sont les mesures de protection qui sont ordonnées et qui sont susceptibles de l’être, les avantages et inconvénients d’un recours.
Cela impose enfin qu’ils disposent de la capacité intellectuelle, émotionnelle et psychique d’affronter les autres intervenants lors des auditions et audiences en cours de procédure judiciaire, là où les tensions sont parfois vives et les affrontements forts.
Cette analyse aide à comprendre que ce n’est pas un hasard si les mineurs sont, dans tous les domaines du droit, très peu souvent pleinement partie à la procédure. La principale raison en est que la complexité des procédures judiciaires, les enjeux et les tensions qui les traversent, les rendent rarement accessibles aux plus jeunes d’entre eux. Ne pas faire d’une trop vaste catégorie de mineurs une partie aux procédures judiciaires c’est, au-delà de la règle juridique, une protection psychologique qui leur est garantie. Celle de ne pas se retrouver, en grande souffrance, dans une situation qui leur échappe.
L’appréciation du discernement pas les juges des enfants
Faute d’âge minimal prévu par la loi, c’est au juge des enfants qu’il revient, au cas par cas, procédure après procédure, de décider quel mineur est doté du discernement réellement suffisant pour devenir juridiquement partie à la procédure, avec tous les droits précités.
Le juge des enfants ne peut pas se contenter de retenir des seuils d’âge. Ce n’est qu’après avoir rencontré tous les mineurs pouvant l’être, les avoir auditionnés, que le magistrat doit apprécier au cas par cas lesquels ont la maturité, les capacités intellectuelles, l’indépendance de réflexion, et la sérénité émotionnelle suffisants pour comprendre et maîtriser les enjeux, et encaisser suffisamment sereinement tous les soubresauts d’une procédure judiciaire.
C’est ce qu’a rappelé la cour de cassation en 1995 en jugeant ainsi : « Vu les articles 389-3 et 375 du Code civil, 1186 et 1191 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que, selon le premier de ces textes, l'administrateur légal représente le mineur dans tous les actes de la vie civile, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes ; qu'il résulte des trois derniers textes qu'en matière d'assistance éducative le mineur peut lui-même saisir le juge des enfants pour lui demander d'ordonner des mesures et qu'il peut également lui-même interjeter appel des décisions de ce juge et faire choix d'un avocat ; qu'il incombe seulement aux juges du fond de vérifier qu'il possède un discernement suffisant pour exercer ces prérogatives ; » (arrêt intégral ici) (1)
Devant la chambre des mineurs, l’absence de discernement rend l’appel du mineur irrecevable (décision chambre des mineurs 2015 ici),
Les enfants reconnus comme dotés de discernement dans une procédure judiciaire d’assistance éducative ne peuvent donc pas être très jeunes. Chacun perçoit aisément que le niveau de discernement requis est très élevé. Autrement dit, cela exclut d’emblée du discernement tel que défini plus haut une très grande majorité des enfants concernés par les procédures d’assistance éducatives, y compris la plupart des pré-adolescent(e)s.
En tous cas, il pourrait être assez aisément admis collectivement qu'au minimum les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent pas être dotés du discernement précité, et qu'ils peuvent éventuellement l'être à partir de 13 ans. Mais si ce seuil de 13 ans est de facto retenu, et s'il est admis qu'un mineur de 13 (et plus) peut personnellement faire appel, comment justifier que le dispositif des décisions ne soit envoyé qu'aux mineurs de 16 ans ?
Ce qui fait apparaître qu'au delà des seuils d'âge, la problématique est plus largement celle de la cohérence d'ensemble de toutes les dispositions applicables.
Les dévoiements du système légal
La méconnaissance de ces règles aboutit à des situations inacceptables, qui peuvent être très dommageables pour les mineurs concernés. C’est le cas quand le mineur non doté du discernement nécessaire est quand même présenté au juge comme souhaitant participer pleinement à la procédure judiciaire et y être juridiquement une partie.
Cette hypothèse se rencontre assez (trop) souvent et chaque fois qu’un avocat se présente pour un jeune enfant qui n’a manifestement pas les capacités d’être pleinement partie à la procédure. Il s’agit alors d’une violation de la loi et d’un stratagème inacceptable. Il faut alors chercher ce qui se passe réellement sous l’apparence trompeuse d’une participation personnelle du mineur concerné. Cela n’est pas bien difficile à décrypter.
Il arrive régulièrement que des parents, eux-mêmes en conflit et ayant des objectifs et des stratégies opposées, utilisent et manipulent leur enfant et, pour camoufler cette manipulation, demandent à un avocat d’assister leur enfant. Cela pour que, sous le prétexte d’une demande personnelle de leur enfant, soit présenté une seconde fois leur propre point de vue de parent. Autrement dit, le parent veut, en faisant intervenir un avocat pour son enfant, et sans que cet enfant soit demandeur, présenter deux fois sa propre demande pour dans son esprit lui donner plus de poids devant le juge. Une fois en son propre nom, plus une fois en intervenant dissimulé derrière une pseudo demande de son enfant. C’est le classique : « C’est ce que je souhaite, mais vous voyez bien Monsieur/Madame le juge que c’est aussi ce que veut mon enfant ». Et trop d’avocats se prêtent à ces stratagèmes mensongers.
Il y a là une violation manifeste des règles juridiques précitées, mais le plus grave n’est sans doute pas cela.
Cette manipulation, qui place le mineur concerné en plein milieu du débat judiciaire, met les jeunes enfants concernés dans une situation critique. Pris en otage dans un processus qui les dépasse, ils ont plus ou moins nettement conscience de la manipulation dont ils sont l’objet, ils sont pris dans un conflit de loyauté, il leur est demandé d’exprimer un point de vue sans qu’ils en aient ni l’envie ni les capacités, ils sont sous le regard de tous les autres participants à la procédure sans pourvoir maîtriser ce qui se passe.
Et pire encore, il pourra leur être affirmé ensuite, y compris par le parent qui les a manipulés, que si une décision qui s’avère inadaptée a été prise, c’est parce qu’ils l’ont demandé. Autrement dit, qu'ils sont responsables de ce qui se passe mal.
Cette manipulation et le transfert de responsabilité qui peut en découler peuvent être terriblement dévastateurs pour les enfants concernés, et leur faire perdre toute confiance dans le processus judiciaire.
C’est encore une fois pour ces raisons que reconnaitre aux mineurs le discernement suffisant pour qu’ils soient pleinement impliqués dans la procédure judiciaire ne doit être réservé qu’aux plus matures d’entre eux. C’est leur intérêt, et cet intérêt passe avant celui de tous les autres protagonistes.
L’audition du mineur sans participation juridique à la procédure
Fixer assez haut la barre du discernement judiciaire n’empêche en rien que les autres mineurs donnent leur point de vue dans le cadre des auditions simples. Nous ne sommes pas en présence d’un choix entre tout et rien, entre mineur présent et mineur absent. Mais entendre un mineur est une chose, l’impliquer totalement dans la procédure en est une autre.
Les juges des enfants entendent tout au long de l’année de très nombreux mineurs concernés par les procédures d’assistance éducative. La loi ne fixe pas d’âge minimal. C’est encore au cas par cas au juge des enfants d’apprécier si tel mineur concerné peut être entendu, ce qui suppose la capacité de comprendre au moins des questions simples, et d’apporter des réponses ayant du sens.
Cela permet l’audition d’enfants très jeunes qui souvent, quand de bonnes conditions sont mise en place, s’expriment assez aisément même en présence des professionnels.
Toutefois, répétons-le, au regard des termes de l’article 1186 précité (texte ici), le jeune enfant entendu pour une simple audition mais non doté du discernement décrit plus haut ne peut pas être assisté d’un avocat.
En droit, le fait qu’un enfant soit entendu par le juge des enfants ne fait pas de lui et pour cette seule raison une partie à la procédure d’assistance éducative. Cette seule audition ne lui donne aucun droit procédural. La raison en est qu’un enfant très jeune capable de décrire avec des mots simples ce qui se passe pour lui dans son environnement n’est pas pour cette seule raison un enfant capable de comprendre et de maîtriser une procédure judiciaire dans toutes ses composantes. Par exemple, un enfant de 10 ans peut être entendu par le juge des enfants. Mais un enfant de 10 ans n’aura jamais le discernement nécessaire pour devenir pleinement partie à la procédure.
Conclusion
Les juges des enfants, tout comme les chambres des mineurs, doivent sur cette problématique du discernement être très vigilants, et certainement plus qu’ils ne le sont actuellement. Et ils doivent maintenir un haut niveau d’exigences avant d’admettre que tel mineur peut être pleinement partie à la procédure.
Ce ne sont pas seulement les termes de la loi qui imposent de raisonner ainsi. Ce sont les impératifs généraux de protection de ces mineurs.
Quand un avocat se présente pour un mineur qui manifestement n'a pas le discernement nécessaire, alors la présence de cet avocat doit être fermement refusée, avec motivation juridique de ce refus dans la décision qui suit l'audience.
L’implication dans une procédure très conflictuelle peut être destructrice pour les jeunes enfants, parce que les faire participer ouvre la porte à toutes les pressions et manipulations. Alors que dans bien des cas la priorité est au contraire de les mettre à l’écart des conflits des adultes.
Le prétexte de leur donner des droits ne doit pas aboutir à les faire souffrir psychiquement. Dans le domaine de la protection de l’enfance, ce serait le monde à l’envers.
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1. L’absence de discernement a par exemple été retenue pour un enfant de 11 ans (cour de cassation 2011).