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Publié par Parolesdejuges

Cet article a été mis en ligne une première fois en octobre 2017, puis en janvier 2018.

 

Du fait de l'actualité nouvelle autour de cette question (création mi-février d'une commission d'étude sur les violences sexuelles sur les mineurs par trois ministères - lire ici - et des travaux d'une commission du Sénat sur la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, également début février - lire ici -)  il est remis en ligne avec quelques modifications.

 

 

 

Le cadre juridique applicable aux relations sexuelles avec les pré-adolescentes est méconnu et  donc souvent mal interprété. Quelques repères juridiques doivent dès lors être rappelés.

 

Dans un second temps, nous nous attarderons brièvement sur un autre mécanisme mal connu, celui de la correctionnalisation des infractions a priori criminelles.
 

 

1. La pénalisation des relations sexuelles consenties entre les majeurs et les moins de quinze ans

 

- Quand bien même la jeune fille (ou le jeune garçon mais par simplicité nous ne parlerons que de filles dans cet article) serait pleinement consentante (nous examinerons plus loin le contenu de cette notion clé), toute forme de relation sexuelle entre un majeur et une jeune fille de moins de quinze ans (donc 14 ans ou moins) est une infraction pénale.

 

Il est écrit à l'article 227-25 du code pénal (texte ici) : "Le fait, par un majeur, d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. "

 

Il résulte de ce texte que : sont concernées toutes les formes de rapprochement à caractère sexuel (caresses, baisers, actes de pénétrations de nature sexuelle) ; donc ne sont pas poursuivables les relations sexuelles entre un mineur et une jeune fille de moins de quinze ans pleinement consentante ; à l'inverse les relations sexuelles entre un majeur et une fille consentante âgée de 15 à 18 ans ne sont pas punissables.

 

Il existe toutefois une exception dans la loi : Les relations sexuelles entre un majeur et une fille de 15 à 18 ans restent punissables si l'homme majeur est un ascendant (père, grand-père), ou une personne qui a autorité sur la jeune fille (texte ici).

 

L'effet de ce texte est que si un homme est poursuivi devant une cour d'assises pour viol sur une petite fille de 12 ans par exemple, et que la juridiction pénale considère que cette jeune fille était consentante, de toute façon cet homme sera inéluctablement condamné en application de cet article 227-25. Il ne pourra jamais être simplement acquitté.

 

- Il faut s'interroger sur la raison d'être de ce texte. En effet, pourquoi pénaliser une relation, même d'un majeur, avec une adolescente, quand celle-ci est suffisamment consentante ?

 

Si la loi pénale sanctionne, c'est à titre de prévention, pour empêcher de telles relations sexuelles même en cas d'accord des deux partenaires. Et c'est forcément parce qu'il est estimé qu'il y a quelque chose de potentiellement dangereux pour la jeune fille concernée, quand bien même elle a priori consentante.

 

Au demeurant, et en ce sens, cet article se trouve dans le code pénal inséré dans une section intitulée "De la mise en péril des mineurs". Une relation sexuelle, même consentie, est donc considérée comme "périlleuse" quant il s'agit d'une jeune fille de 14 ans ou moins.

 

Le risque considéré, qui nous intéresse particulièrement pour la suite de la réflexion, c'est que même s'il semble réel en apparence, le consentement d'une jeune fille d'au maximum 14 ans a quelque chose de fondamentalement suspect, d'autant plus que l'écart d'âge peut être important avec le majeur.  Fragilité qui ne peut être que plus importante encore si elle a moins de 14 ans.
 

 

2. L'approche juridique du consentement

 

- Le viol, qui existe dès qu'une relation sexuelle est imposée à une jeune femme qui n'a pas donné ou n'a pas été en situation de donner son consentement, est défini à l'article 222-23 du code pénal (texte ici) de la façon suivante : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. "

 

Les composantes (violence, contrainte, menace, surprise) sont les mêmes pour les autres agressions sexuelles sans pénétration (attouchements à caractère sexuel).

 

- Les notions de violence et de menace (physique ou verbale) ne posent pas de difficulté.

 

- S'agissant de la contrainte, l'article 222-22-1 du code pénal (texte ici) précise que : "La contrainte (..) peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime "

 

La notion de contrainte morale pourra être retenue quand une jeune fille se trouve en face d'un homme qui l'impressionne de telle façon qu'il lui est difficile si ce n'est impossible de refuser ce que cet homme demande, soit parce que c'est un parent, par exemple un père, soit parce que cet homme a une place qui lui donne une autorité particulière (enseignant, directeur de colonie de vacance, etc..) sur elle.

 

- Le mot "surprise" peut étonner. Cette notion est pourtant essentielle s'agissant, notamment, des relations sexuelles avec de jeunes enfants.

 

La surprise peut être retenue quand un homme a une relation sexuelle avec une femme malade mentale qui ne réalise pas du tout ce qui se produit, ou une femme endormie après après avoir été droguée, ou une femme complètement ivre et dans un état proche de la perte de conscience. Il y a "surprise" dans toutes ces situations parce que la femme ne réalise pas ce qui est en train de se passer.

 

Pour ce qui nous intéresse spécialement, s'agissant de relations sexuelles, pour que le consentement de la jeune fille soit suffisamment éclairé, et par voie de conséquence qu'elle soit réellement consentante au sens juridique du terme, et non seulement en apparence, il faut qu'elle ait une conscience, une analyse et une maîtrise de son corps, de ce qu'est le corps d'un homme, de ce que représente physiquement une pénétration sexuelle, qu'elle soit apte à envisager les différents aspects d'une relation sexuelle et les différentes sortes de pratiques sexuelles. Il faut également que la jeune fille soit en mesure de maîtriser la charge émotionnelle et affective d'une relation sexuelle. Enfin, si elle est pubère, il faut qu'elle ait une parfaite connaissance du risque de grossesse, maîtrise totalement sa contraception, et connaisse les autres moyens de protection (préservatifs).

 

Seuls ces éléments, à conditions qu'ils soient tous réunis, permettent de considérer que la jeune fille concernée a été en mesure de donner un consentement pleinement libre, réfléchi, conscient. Et d'écarter, juridiquement, la notion de consentement surpris parce qu'insuffisamment éclairé.

 

Notons que dans certains cas il y a à la fois contrainte morale et surprise. Cela peut être le cas quand un adulte proche et/ou qui est dans une situation d'autorité abuse de cette autorité sur une jeune fille qui, en plus, n'est de toutes façons pas en état de réaliser pleinement ce qui se passe et donc de donner un consentement réellement libre.
 

 

3. L'âge et le consentement éclairé, éléments essentiels du débat

 

- Venons en à la question essentielle de l'âge de la jeune fille et des conséquences sur sa capacité à consentir, au sens du consentement éclairé décrit plus haut. En partant de deux repères simples, avant d'envisager les situations intermédiaires complexes.

 

- Rappelons d'abord que, puisque l'article 227-25 précité punit les relations sexuelles entre un majeur et une jeune fille de moins de 15 ans consentante, cela signifie que la loi admet qu'une jeune fille de 14 ans puisse consentir avec suffisamment de conscience et de capacité de réflexion sur les enjeux d'une relation sexuelle avec un majeur.

 

Il est assez largement admis que, du fait de l'évolution dans le temps de la maturité des adolescents, il est légitime d'admettre qu'une fille de 14 ans soit en état de consentir en suffisante connaissance de cause à une relation sexuelle avec un homme. Ce texte n'est quasiment jamais remis en question.

 

- A l'inverse, personne n'osera affirmer que si un homme commet un acte de pénétration sexuelle sur une petite fille par exemple de 8 ans, celle-ci, quand bien même elle ne réagit pas et ne s'oppose pas, est en situation et en capacité de comprendre parfaitement ce qui se passe et de donner un consentement réellement éclairé à cet acte de pénétration.

 

En effet, si l'absence d'opposition est souvent l'un des paramètres d'appréciation de la réalité du consentement, pour ce qui concerne les plus jeunes enfants l'absence d'opposition ne peut certainement pas suffire à caractériser l'existence d'un consentement éclairé. Car plus les enfants sont jeunes moins ils sont en capacité de s'opposer. Mais plus ils sont jeunes moins ils consentent librement.

 

- Il en va de même de l'approbation apparente à l'acte sexuel. Dans l'absolu, si la demande provient d'un adulte en qui elle a pleinement confiance, une petite fille de 8 ans peut très bien répondre "oui" à un adulte qui lui dit en la faisant rire "tu veux bien que je mette un doigt dans ta zézette ?" (pour reprendre un mot souvent utilisé avec les enfants). Évidemment, le fait que la petite fille dise "oui" ne caractérise en rien un consentement éclairé à ce contact sexuel.

 

- La question centrale est donc celle de l'âge à partir duquel une pré-adolescente va pouvoir être considérée comme ne s'étant pas opposée à l'homme qui a voulu une relation sexuelle avec elle, non pas parce qu'elle était en situation de vulnérabilité et d'influençabilité du fait de son trop jeune âge, de la proximité affective avec l'adulte concerné, de la méconnaissance de la sexualité, et de l'insuffisante conscience de l'enjeu de son consentement, mais parce qu'elle a librement, sereinement, et de façon pleinement éclairée donné son consentement à cet homme. 

 

Autrement dit et de façon plus concrète, à partir de quel âge une jeune fille peut sereinement et lucidement décider d'avoir une relation sexuelle avec un homme en étant en mesure de réfléchir, de connaître et d'intégrer dans sa décision les paramètres essentiels mentionnés plus haut.

 

Inéluctablement, plus la fille concernée est jeune, moins il lui est possible de donner un consentement éclairé, et plus son consentement pourra être surpris par l'adulte entreprenant.

 

- La difficulté découle notamment du fait que la loi ne prévoit pas de limite d'âge. Dans chaque affaire, en fonction des éléments factuels recueillis, les magistrats doivent trancher la question de l'existence d'un consentement serein, libre et éclairé. Or ce qui est simple pour une petite fille de 8 ans l'est moins pour une pré-adolescente. D'où les interrogations récurrentes sur l'opportunité de légiférer plus précisément.

 

Quoi qu'il en soit, la première étape de l'analyse, qui conditionne tout le reste, consiste à ne pas confondre absence de refus et consentement, mais tout autant consentement de façade et consentement éclairé.
 

 

4. Faut-il introduire une présomption d'absence de consentement dans la loi pénale ?

 

- Il a parfois été proposé d'inscrire dans la loi un âge à partir et en dessous duquel il ne peut pas, par principe, y avoir de consentement vraiment et suffisamment libre et éclairé. L'âge de 13 ans est régulièrement suggéré.  Celui de 15 ans a récemment été avancé.  Mais quel qu'il soit, il y aurait à partir de cet âge et en dessous une présomption d'absence de consentement chez la jeune fille concernée.  Le débat est en cours autour de cette problématique, le gouvernement et le parlement étant saisie de la question.

 

- L'inscription, dans la loi, d'un âge en dessous duquel l'absence de consentement pleinement libre et éclairé est présumé aurait le mérite de clarifier le cadre juridique applicable. Limpide serait le message à destination de tous ceux qui envisagent des relations sexuelles avec des pré-adolescentes et qui jouent sur la notion de consentement apparent/absence d'opposition pour profiter du jeune âge de leur partenaire sexuel en tenter d'échapper aux poursuites.

 

On ne voit pas bien ce qui pourrait, d'un point de vue sociétal et psychologique, empêcher qu'il soit énoncé clairement, dans la loi, que les relations sexuelles avec de très jeunes filles ne sont pas permises parce qu'elles ne peuvent pas avoir un consentement réellement éclairé. Et que dès lors le consentement de ces jeunes filles est nécessairement surpris au sens juridique précité du terme.

 

- Il n'en reste pas moins que ce ne pourrait probablement être qu'une présomption simple.

 

L'effet d'une présomption simple est d'une part de présupposer quelque chose, et d'autre part de renverser la charge de la preuve. En clair, il ne s'agirait plus pour le ministère public de rapporter la preuve que la jeune fille concernée n'était pas consentante à la relation sexuelle. Cela serait présumé. Ce serait à l'homme poursuivi de rapporter la preuve que la jeune fille était pleinement consentante.

 

- Il est plus difficile d'envisager une présomption irréfragable, c'est à dire une présomption contre laquelle il ne peut pas être rapporté de preuve contraire. Surtout dans le domaine pénal.

 

Dans une décision du 16 juin 1999 (texte ici) le Conseil Constitutionnel a jugé, s'agissant de présomptions de culpabilité :

 

"Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi" ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité".

 

- Quoi qu'il en soit, sur ce que pourrait être cet âge, chacun se fera son opinion. Le repère des 13 ans est sans doute un point de départ raisonnable pour une discussion autour de l'existence d'un véritable consentement, entièrement libre et éclairé, sans aucune influence ni contrainte ou emprise (1) (2).

 

Sur ces aspect de l'âge, il faudra rechercher une cohérence entre toutes les lois. Prenons un exemple : Si l'on envisage que des petites filles de 10 à 12 ans puissent avoir une appréhension éclairée des enjeux d'une relation sexuelle avec un adulte, autrement dit qu'elles sont capables de raisonner comme les adultes, ce qui suppose une réelle maturité, qu'est-ce qui va encore justifier que, pénalement, les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent pas se voir infliger une peine comme les plus âgés ?  Autrement dit, peut-on, en toute logique, soutenir qu'une jeune fille de 12 ans ne peut pas être sanctionnée comme une adolescente de 16 ans du fait de son insuffisante maturité découlant de son trop jeune âge, et soutenir en même temps qu'elle est pleinement mature dans le domaine affectif et sexuel ? 

 

- En tous cas, si l'âge de 13 ans était retenu, il faudrait s'interroger sur le maintien du texte incriminant les relations sexuelles consenties avec les moins de 15 ans. En effet, ce texte ne s'appliquerait plus que l'année des 14 ans des jeunes filles concernées puisque à partir de 15 ans le consentement serait supposé et qu'à 13 ans et en dessous l'absence de consentement serait présumée.


- Mentionnons pour terminer sur ces aspect du problème que la nécessité de créer une présomption, qui risquerait de poser des difficultés juridiques, ne saute pas immédiatement aux yeux. Chaque jour les juridictions pénales, et notamment les cours d'assises, traitent les relations sexuelles impliquant des jeunes filles. De fait, rares sont les débats sur le consentement quand sont impliquées des jeunes filles de 13 ans ou moins. Et, si tel est le cas, une décision ponctuelle considérée comme inadaptée ne justifie, à elle seule, pas une modification de la législation.

 

5. L'erreur subjective sur l'âge de la jeune fille

 

- Pour tenter de faire obstacle à une condamnation, certains hommes poursuivis prétendent s'être trompés sur l'âge réel de la jeune fille. C'est l'habituel : "mais elle faisait plus que son âge".

 

La question se pose alors au juge de la prise - ou non - en compte de la subjectivité de l'homme poursuivi.

 

- L'appréhension subjective de l'âge de la jeune fille par l'homme poursuivi est invérifiable. Personne ne peut savoir s'il y a une part de sincérité ou si cela est un simple stratagème pour échapper à la sanction. Sauf à permettre aux hommes poursuivis d'échapper à la sanction en se contentant de faire valoir leur erreur, sans aucun contrôle possible sur leur honnêteté, il est difficile de considérer que leur seule affirmation les exonère automatiquement de toute responsabilité pénale.

 

- S'il existe une place pour le débat sur ce sujet, il va être nécessaire de faire intervenir la subjectivité des juges après celle de l'homme poursuivi.

 

Cela suppose d'abord de disposer de photographies de la jeune fille à l'époque des faits.

 

Et si une photo est versée au dossier, quels éléments devront être analysés et pris en compte par les juges ? Sa taille ? L'aspect de son visage ? Ses vêtements ?  Et comment savoir si une jeune fille "fait" 13 ou 14 ans ?    Et si cette analyse apparaît trop subjective, faudra-t-il comparer avec d'autres jeunes filles du même âge après avoir réuni un échantillon suffisant de photographies ?

 

- La prise en compte de la subjectivité de la personne poursuivie peut avoir d'autant moins de place que l'élément discuté était aisément vérifiable à la date des faits. Il n'existe rien de plus facile pour un homme qui envisage une relation sexuelle avec une jeune fille de s'assurer de son âge réel. Toutes les pré-adolescentes ont au choix une carte d'identité, une carte de bus, une carte de cantine, une carte de bibliothèque ou d'autres cartes encore, permettant avec l'une ou l'autre de connaître leur âge.

 

Dès lors, un homme qui prétend s'être trompé sur l'âge de la jeune fille est surtout un homme qui n'a pas pris le soin, délibérément, de vérifier cet âge. Parce que cet homme a très probablement conscience, au fond de lui, que la jeune fille est vraiment (très) jeune. Et qu'il préfère parfois ne pas savoir son âge réel.

 

 

6. La correctionnalisation des crimes

 

Pour finir, et dissiper d'éventuels malentendus, il faut ajouter quelques remarques sur la correctionnalisation des infractions.

 

- Lorsque le procureur de la République est avisé de l'existence d'une agression sexuelle, dans l'absolu il doit renvoyer la personne soupçonnée devant le tribunal correctionnel s'il y a des attouchements sans pénétration (il y a délit), et saisir un juge s'il y a des actes de pénétration (il y a crime).

 

- Si le procureur saisit directement le tribunal correctionnel, chaque partie au procès peut demander au tribunal de constater qu'il y a un acte de pénétration sexuelle et de se déclarer incompétent, dans le but d'un renvoi du dossier devant la cour d'assises.

 

La règle apparaît dans le premier alinéa de l'article 469 du code de procédure pénale (texte ici) : "Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera."

 

- Si le juge d'instruction a été saisi, au terme de ses investigations il doit renvoyer devant la juridiction correctionnelle les faits d'attouchements et devant la cour d'assises les faits de pénétration sexuelle (et les faits d'attouchement qui leur sont liés). 

 

En cas de décision de renvoi devant le tribunal correctionnel, ceux qui ne sont pas d'accord avec le juge d'instruction peuvent la contester en faisant appel de sa décision s'ils estiment qu'un crime a été commis (il y a eu un ou plusieurs actes de pénétration).

 

En ce sens le premier alinéa de l'article 186-3 du code de procédure pénale (texte ici) prévoit que : "La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances (..) dans le cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la cour d'assises."

 

- Mais celui qui ne conteste pas la décision du juge d'instruction de renvoyer le dossier devant le tribunal correctionnel ne peut plus, ensuite, demander au tribunal de se déclarer incompétent. Autrement dit, celui qui ne fait pas appel de la décision du juge d'instruction accepte, au moins implicitement, la non saisie de la cour d'assises.

 

C'est encore l'article 469 du code de procédure pénale qui prévoit dans son 4ème alinéa : "Lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d'office ou à la demande des parties, des dispositions du premier alinéa, si la victime était constituée partie civile et était assistée d'un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné."

 

- Il ne faut pas penser que la correctionnalisation se fait toujours au détriment des victimes. En pratique cela est parfois moins simple qu'il ne paraît.

 

Prenons un exemple simplifié pour comprendre les enjeux et les choix décisionnels.

 

Imaginons une jeune fille qui dénonce une scène au cours de laquelle un homme a effectué sur elle des attouchements à caractère sexuel, et que ces attouchements sont reconnus par la personne qu'elle désigne qui en plus admet qu'il les lui a imposés. Il s'agit d'un délit caractérisé et reconnu par son auteur qui sera aisément jugé par le tribunal correctionnel qui prononcera une peine parfois seulement quelques semaines après les faits si ce n'est en comparution immédiate.

 

Imaginons maintenant que la jeune fille affirme que, en plus des attouchements l'homme a pendant quelques instants introduit son doigt dans son sexe, mais que l'homme qui reconnaît les attouchements imposés conteste cette pénétration. S'il n'y a dans le dossier aucun autre élément que l'affirmation de la jeune fille, il sera très difficile si ce n'est impossible à la juridiction pénale de retenir comme suffisamment démontrée l'existence de cette pénétration.

 

Les options qui s'offrent sont alors les suivantes :

 

1) Laisser de côté cette éventuelle pénétration et ne retenir que les attouchements, et faire juger l'affaire par le tribunal correctionnel. On parle alors de "correctionnalisation" des faits en ce sens qu'il y a peut-être un fait criminel mais qui est délibérément laissé de côté. Une décision de culpabilité et une sanction arrivent quelques semaines après les faits reconnus.

 

2) Saisir un juge d'instruction, avoir des mois d'investigations, constater à l'issue de l'instruction qu'il n'y a toujours rien de plus que l'affirmation de la jeune fille sur la pénétration et revenir au tribunal correctionnel.

 

3) Même avec des éléments aussi faibles saisir la cour d'assises, imposer une ou deux années d'attente du procès, et prendre le risque que le procès criminel se termine par un acquittement pour ce qui concerne le viol (la pénétration), après une remise en cause de la parole de la plaignante pouvant être très mal vécue à l'audience, et une condamnation pour les attouchements semblable à celle qui aurait été prononcée par le tribunal correctionnel.

 

- Des avocats de plaignantes l'expliquent très simplement. Dans ce genre de situation ils conseillent parfois eux-mêmes à la jeune femme qui vient les consulter d'accepter une procédure plus simple, plus rapide, moins conflictuelle, au résultat moins incertain, et qui leur permet de tourner la page plus rapidement. Avec à l'issue du processus judiciaire des peines correctionnelles qui peuvent être relativement élevées et une indemnisation des dommages-subis comme ils le seraient à la cour d'assises.

 

Et ces avocats expliquent que dans certains cas les victimes, après une première réaction d'inquiétude, comprennent et acceptent, dans leur intérêt, cette correctionnalisation.

 

 

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1. Sur les seuils d'âge dans divers pays européens cf. ici

 

2. En droit pénal et en procédure pénale l'âge de 13 ans est un seuil essentiel. Avant 13 ans les mineurs auteurs d'infraction échappent très largement aux mesures de contrainte et aux poursuites pénales. L'idée en arrière plan est que leur conscience de ce qu'ils font n'est pas suffisamment entière pour que la réaction soit la même que pour les auteurs plus âgés qui agissent en pleine connaissance de cause.

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D
Bonjour, Merci pour votre article très didactique. Auriez-vous des références concernant les neurosciences et les souvenirs reconstitués que vous évoquez en commentaires ? Peut-on demander une expertise à cet égard en France lorsque la victime est accusée de faux souvenirs par la defense ? Merci d'avance.
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E
Merci pour cet article. Un doute subsiste dans mon esprit : vous indiquez, et je ne l'ignorais pas, que " ne sont pas poursuivables les relations sexuelles entre un mineur et une jeune fille de moins de 15 ans pleinement consentante". Mais alors qu'en est il entre un mineur et une jeune fille de plus de 15 ans mais néanmoins mineure ? Pour moi , il n'y avait pas de différence puisqu'il me semblait que la Loi ne prévoyait rien concernant les relations sexuelles entre mineurs "consentants". Merci de votre réponse. Bien à vous.
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P
C’est exact. Les contacts sexuels entre un mineur et une jeune fille de 15/18 ans ne sont pas punissables, si bien sûr la jeune fille est pleinement consentante.
T
Merci beaucoup de cette analyse très didactique, du droit et des stratégies.<br /> Il semble indispensable, malgré des pétitions et précisément à cause d'elles, que le législateur ne fasse pas une loi de circonstance, et ne décide de la conduite à prendre qu'à froid, les passions étant retombées. Il peut être prudent de laisser les limites actuelles et de laisser le juge apprécier au cas par cas la notion du consentement.<br /> <br /> Quant à la révélation de faits invérifiables, 20 ou 30 ans après, elle pose parfois des problèmes insurmontables. Accuser à tort un innocent souvent membre de la famille est désastreux. L'accuser sincèrement peut l'être tout autant. Chacun sait que les souvenirs reconstitués sont d'autant peu fiables que le temps aura passé et que les seules déclarations, fussent elles sincères d'une plaignante ne peuvent pas constituer une preuve.Il faut distinguer la sincérité du souvenir et la réalité de faits établis. La plaignant aura alors la douleur d'avoir le sentiment de n'avoir pas été crue. Elle peut aussi découvrir, plusieurs années plus tard qu'elle a pu faire condamner un innocent.
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A
bonjour, on sait depuis peu que les souvenirs reconstitués passent par des voies nerveuses différentes s'ils procèdent de vrais souvenirs éventuellement ressurgis récemment, ou s'ils sont comme vous dites reconstitués. Les neurosciences et la police scientifique savent faire parler beaucoup de choses, des années après. voir le nombre de procès repris récemment concernant des crimes lointains. Par ailleurs accuser un innocent est horrible mais laisser sur le côté de la société des êtres profondément blessés pendant des années l'est aussi. et cette dernière catégorie est infiniment plus nombreuse que celle des accusés innocents : renseignez vous sur el Canada, qui ne connait plus la prescription depuis des longues années: la justice n'est pas encombrée de plaintes concernant des agresseur.e.s sexuel.le.s comme les magistrats français le craignent. Non les victimes ne cherchent pas la vengeance mais la reconnaissance par la société de l'identité vraie du criminel. Songez que les infractions sexuelles sont les seules où on soupçonne immédiatement la victime de mensonge, et où on minimise systématiquement l'infraction subie. C'est un travers de la société qui va à l'encontre du bien commun.
S
Abaisser l'âge à 13 ans me semble une ineptie. Pour faire un choix, il faut en peser les conséquences - or les conséquences de rapports sexuels peuvent être graves. À 13 ans, les jeunes filles n'ont même pas eu de cours d'éducation sexuelle, la plupart ne savent pas comment leur corps fonctionne - certaines ne sont même pas encore menstruées, à cet âge ! Comment peut-on leur demander de peser une grossesse éventuelle et la maternité ensuite, ou la pilule du lendemain, un avortement, des MST potentiellement mortelles ou au traitement long ? Elles n'ont même pas accès aux ressources (argent, information, libre disposition de leur temps) qui leur permettrait de gérer les conséquences d'actes sexuels.<br /> <br /> Si on les considère assez mûres pour prendre des décisions de vie et de mort, alors il faut être logique et abaisser la majorité légale et l'âge du vote à 13 ans. Ainsi que les droits à une couverture maladie indépendante de celle de leurs parents, des droits à l'aide au logement, au chômage etc.<br /> <br /> En pratique, les affaires de viol sont très difficiles à prouver et la plupart ne sont pas poursuivies. Je soupçonne qu'actuellement, les viols sur mineures doivent être parmi les rares dans lesquels les victimes ont une vraie chance d'obtenir une réparation (et encore...). Abaisser l'âge à 13 ans signifierait "allez-y violez les gamines de plus de 13 ans, elles pourront jamais prouver qu'elles ne voulaient pas".<br /> <br /> À moins qu'on ne réécrive la loi pour considérer que le consentement n'est pas "par défaut" et que ce soit le consentement plein qui doive être prouvé, plutôt que l'absence de consentement...
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