La motivation des décisions de la cour d'assises (suite)
Par Michel Huyette
Un nouvel épisode vient d'avoir lieu dans le débat ouvert autour de la (non) motivation des décisions de la cour d'assises (1).
Bref rappel des épisodes précédents : En France la cour d'assises est à peu près la seule juridiction pénale qui ne motive pas ses décisions puisque seules des réponse par "oui" ou "non" sont apportées à des questions telles que "X a-t-il commis telle infraction ?". Mais la cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a sanctionné le système identique belge dans un très célèbre arrêt Taxquet (cf. ici).
Mettant en avant cet arrêt Taxquet, de nombreux français condamnés par une cour d'assises ont fait valoir devant la cour de cassation l'irrégularité de la procédure française, espérant obtenir ainsi l'annulation de leur condamnation. A chaque fois la cour de cassation a opposé un refus avec la même motivation :
"(..) sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d'assises d'appel, statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité, les unes, principales, posées conformément au dispositif de la décision de renvoi, les autres, subsidiaires, soumises à la discussion des parties" (..) "en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, il a été satisfait aux exigences légales et conventionnelles invoquées" (cf. par ex. ici).
N'obtenant pas gain de cause sous cet angle là, les condamnés ont essayé une autre méthode, la QPC (cf. ici), afin que la question de la conformité de notre droit aux principes constitutionnels français soit posée au conseil constitutionnel.
Dans un premier temps, et notamment dans un arrêt de mai 2010 (lire ici), la cour de cassation a de nouveau refusé de faire droit à la demande, en ces termes :
"attendu qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que la question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu'elle vise, mais l'interprétation qu'en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique ; que, comme telle, elle ne satisfait pas aux exigences du texte précité."
Cela était troublant. En effet, ce sont directement les textes, notamment les articles 348 et suivants (lire ici) du code de procédure pénale qui semblent bien exclure toute motivation classique, cela d'autant plus qu'une motivation classique apparaît peu compatible avec le principe de l'intime conviction de l'article 353 (texte ici).
En tous cas, la cour de cassation vient de changer de position. Dans un arrêt en date du 19 janvier 2011 (décision ici), la chambre criminelle décide de soumettre au conseil constitutionnel une QPC concernant les articles 349, 350, 353 et 357 du code de procédure pénale. Autrement dit la problématique de la motivation des arrêts criminels.
Nous aurons la réponse du conseil constitutionnel dans quelques semaines.
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1. cf. les autres articles dans la rubrique "cour d'assises"