Séparation des parents et aliénation mentale des enfants
Par Michel Huyette
Certains sujets sont beaucoup plus difficiles à aborder que les autres car on sait, à l'avance, qu'ils déclenchent inéluctablement d'importantes polémiques. Il en va ainsi de la situation souvent extrêmement préoccupante des enfants après la séparation de leurs parents.
Le mardi 7 décembre 2010, une chaîne de télévision publique a diffusé un reportage intitulé "Couple déchiré, enfant otage" (1).
Ce que le reportage a bien mis en avant, et que les professionnels constatent ou en tout cas pressentent trop souvent, c'est qu'il arrive que des enfants soient tellement influencés par l'un de leurs parents, celui qui en a la garde après séparation, qu'ils en arrivent à avoir une attitude de rejet total envers l'autre parent qui ne repose sur rien de compréhensible.
Une scène était particulièrement éprouvante. Un homme, qui n'était autorisé à rencontrer sa fille que dans un point-rencontre, en présence d'un tiers, et quelques minutes de temps en temps, a été équipé d'un discret micro. Cela a permis au journaliste d'enregistrer les hurlements de la petite fille au moment où son père est entré lui-même dans la pièce dans laquelle elle se trouvait déjà. Et cette jeune enfant n'arrêtait pas de hurler : "Je veux qu'on me laisse partir, je ne veux pas le voir". Sans que personne ne puisse expliquer un tel comportement à partir de la seule personnalité du père.
Le journaliste a aussi interviewé deux jeunes adultes qui avaient pendant longtemps été élevés par leur mère qui demeurait dans un pays d'Afrique. Quand le journaliste les a rencontrés, ils étaient revenus auprès de leur père en Europe. Ils ont expliqué tous les deux avoir mis très longtemps à comprendre à quel point leur mère avait tenté de les convaincre que leur père était quelqu'un de particulièrement odieux et dangereux, et qu'ils avaient découvert, après avoir repris contact avec lui, à quel point tout ce que leur mère avait tenté de leur mettre dans la tête était contraire à la réalité.
Le psychiatre sollicité pour l'émission a expliqué qu'il s'agissait là d'un mécanisme de plus en plus fréquent que les praticiens appellent l'aliénation mentale des enfants. Le concept est très simple : l'enfant est tellement influencé par l'un de ses parents qu'il se convainc lui-même que l'autre est monstrueux, quand bien même cet enfant n'a aucune raison de raisonner de cette façon parce qu'il n'a jamais rien vécu qui soit de nature à l'inciter à craindre à ce point son autre parent.
Cette émission m'a rappelé un souvenir tout à fait particulier. Juge des enfants à l'époque, j'avais convoqué dans mon bureau un garçon d'une dizaine d'années à propos duquel les travailleurs sociaux disaient qu'il évoluait mal, qu'il présentait des troubles de la personnalité, et, surtout qui ne voulait absolument pas aller rencontrer son père. Ce garçon, très sage et très posé dans mon bureau, m'a expliqué avec une décontraction surprenante mais une conviction absolue qu'il était impossible qu'il se rende chez son père qui était agriculteur parce que son père avait comme seul objectif de le faire venir près de son tracteur pour pouvoir le tuer avec. Toutes les investigations pratiquées en direction du père avaient démontré qu'il n'en était rien et que ce père était par rapport à cet enfant largement inoffensif.
En tout cas, c'était là une illustration particulièrement flagrante de cette aliénation mentale qui est particulièrement impressionnante en ce sens que les enfants sont tellement convaincus de ce qu'ils racontent que l'on ne peut s'empêcher de penser, si l'on n'est pas avisé de ce qui peut se passer, qu'il y a peut-être bien une part de vrai dans leur récit.
Et c'est bien là l'argumentaire principal du parent qui cherche, par tous les moyens, même les plus malhonnêtes et les plus dévastateurs pour l'enfant, à écarter quand ce n'est à supprimer totalement la présence de l'autre parent auprès de cet enfant. Le parent qui rencontre le juge déclare : " Vous voyez bien monsieur le juge à quel point il est perturbé, et je vous demande de l'écouter. Il vous dira lui-même ce qu'il pense de son père/sa mère. Moi je ne veux pas l'influencer, bien sûr, mais d'un autre côté je ne peux pas l'obliger à aller voir son père sa mère s'il n'en a pas envie, vous comprenez."
C'est alors que le piège se referme sur l'autre parent. Car le juge est souvent impressionné par le comportement de l'enfant. Étant le témoin d'un refus catégorique de celui-ci de rencontrer l'autre parent, le juge hésite à imposer de telles rencontres car il craint d'être à l'origine, de ce fait, de troubles supplémentaires de l'enfant. Ce que ne manquera pas de souligner le parent qui cherche à écarter l'autre.
La machine infernale se met alors en route. On demande à l'autre parent de patienter, on désigne des intermédiaires et des travailleurs sociaux, on passe d'un essai à une tentative de rencontre, l'enfant manifeste encore son désarroi par des troubles du comportement, on demande à l'autre parent de patienter, on ordonne des expertises, et les mois passent, quand ce ne sont les années. Il est alors facile au parent gardien de dire que des rencontres avec l'autre parent sont d'autant moins opportunes que cela fait maintenant longtemps que l'enfant ne l'a plus rencontré.
Et comme l'ont expliqué plusieurs parents dans le film, après avoir désespérément cherché à garder le contact pendant une longue période, ils peuvent en arriver par lassitude ou désespoir à laisser tomber. Le parent manipulateur se voit alors gagnant sur tous les plans. Au détriment de l'enfant.
Une des solutions qui peut pourtant être envisagée, c'est, lorsque le juge a récolté suffisamment d'éléments pour pouvoir envisager sérieusement qu'il s'agisse d'un cas d'aliénation mentale d'un enfant à cause du comportement du parent gardien, de confier provisoirement cet enfant à un tiers, afin d'observer comment évolue la relation entre cet enfant et l'autre parent quand l'enfant n'est plus au quotidien à proximité du parent gardien. Mais cela suppose d'accepter que pendant quelque temps, juste après la rupture avec le parent gardien, l'enfant n'aille pas très bien. Ce que, une fois de plus, ne manquera pas de mettre en avant ce parent gardien pour s'y opposer.
Certains parents, obnubilés par leur conflit avec leur ancien conjoint, ne se rendent probablement pas vraiment compte des dégâts qu'ils occasionnent en cherchant à faire de leur enfant un instrument de guérilla. Ce sont des adultes qui sont pendant un temps totalement incapables de raisonner en dehors de leurs propres préoccupations. Alors qu'ils mettent en avant l'intérêt de leur enfant, ils n'ont en réalité aucun intérêt pour lui.
Sans doute, chez certains d'entre eux, y a-t-il la hantise de ne plus avoir leur enfant au quotidien. D'une certaine façon, on peut comprendre que pour un parent se contenter d'avoir auprès de soi son enfant un week-end sur deux et une partie des vacances, alors que le bonheur c'est de le voir à tout moment, génère une douleur très importante. On peut intellectuellement comprendre que ces parents, devant la hantise de se retrouver seuls, mettent en place consciemment ou non des stratégies pour faire en sorte que leur enfant ne les quitte jamais.
Mais, au moment où le juge doit faire des choix, la douleur même réelle d'un parent ne peut pas justifier le mal fait à un enfant en le privant de son autre parent et, surtout, en le blessant psychologiquement. La priorité du juge c'est le second, par le premier.
C'est en partie pourquoi, dans les décisions des juges aux affaires familiales, on voit de plus en plus souvent apparaître comme critère d'attribution, soit de l'autorité parentale soit de la résidence de l'enfant, la capacité de l'un des parents, supérieure à celle de l'autre, de maintenir un contact entre cet enfant et ses deux parents, sans aucune tentative de mise à l'écart de l'autre. Autrement dit, c'est le plus conciliant, le moins égoïste qui a gain de cause.
De ce fait, certains parents devraient éviter de faire trop valoir dans leur argumentaire remis au juge à quel point l'autre parent est incapable de s'occuper voire de s'approcher de leur enfant commun, certains arguments étant un peu comme des boomerangs. On croit en le jetant devant soi pouvoir atteindre celui qui est en face, mais la victime c'est celui qui le lance.
En tout cas, une chose est certaine. Ce n'est pas demain que l'on verra ce genre de situation disparaître.
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1. Film d'Olivier Pighetti, journaliste qui a réalisé plusieurs films très intéressants sur des problématiques judiciaires. Film accessible pendant huit jours sur le site de France télévision, en cliquant ici