Saint Omer en Europe
Par Christian Guéry
Tandis qu’on réfléchit activement à l’introduction de jurés dans les tribunaux correctionnels, notre code de procédure pénale craque de partout.
Arc-bouté sur l'idée que nous possédons un instrument issu de la Révolution française, un symbole des Lumières ayant inspiré, à une époque révolue, une partie du monde, le ministère de la Justice défend, pied à pied, la beauté et la modernité de notre procédure pénale.
Mais le magistrat du ministère public français n'est pas une autorité judiciaire indépendante affirme la Cour européenne dans l'arrêt Moulin c. France rendu le 23 novembre 2010. Et la garde à vue française n'est pas conforme aux exigences du procès équitable affirme t- elle dans l'arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010. Bien que la jurisprudence de la CEDH l’ait laissé supposer depuis quelques années, le législateur n'a rien anticipé.
Conséquences? Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010, déclare le caractère inconstitutionnel de la garde à vue française. La Cour de cassation, le 19 octobre 2010, consacre la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui affirme l’exigence d’un procès équitable. Les deux juridictions reportent les effets de ces décisions à l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle et au plus tard le 1er juillet 2011.
Depuis, certains magistrats, juges du siège ou juges d'instruction, ont décidé d'appliquer l'article 6 de la Convention. Immédiatement. Ainsi, selon que la garde à vue se déroule dans tel ou tel endroit, l'intéressé peut se voir notifier ou non son droit au silence, bénéficier ou non de l'assistance d'un avocat pendant ses auditions.
Il n'y a plus, sur le territoire, ni sécurité juridique, ni égalité de tous devant la loi !
C'est dans ce cadre, celui de l'application immédiate du droit européen sans attendre que le législateur français ne le rattrape, qu'il faut situer la récente décision rendue par la cour d'assises de Saint-Omer, le 24 novembre.
Le président de la Cour a en effet décidé de ne pas se contenter des questions traditionnelles auxquelles répond la Cour d'assises, insusceptibles de rendre compte des motifs de la décision.
Dans un premier arrêt Taxquet c. Belgique du 13 janvier 2009 la Cour européenne des droits de l'homme affirmait qu’à défaut d’un résumé des raisons pour lesquelles une cour d’assises s’est convaincue de la culpabilité d’un accusé, ni le condamné, ni l’opinion publique, ne peuvent comprendre, et donc accepter le verdict.
L'impact de la décision de la Grand Chambre est moins important : l'absence de motivation du verdict d'un jury populaire n'emporte pas, en soi, une violation du droit de l'accusé à un procès équitable. Les pays membres ne sont pas contraints de modifier leur législation dès lors que l'accusé serait susceptible de comprendre les motifs de la décision par les précisions apportées dans l'acte d'accusation et dans les questions posées.
Mais si 14 questions complémentaires, s'ajoutant aux deux prévues, ont été nécessaires dans cette affaire simple, combien y en aurait-il dans une affaire compliquée? Sachant qu’on ne peut répondre que par « oui » ou par « non », la formulation des questions est aussi délicate que celle d’un sondage d’opinion. L'exercice consiste à imaginer par avance quels sont les motifs possibles pouvant justifier la condamnation, et quels sont ceux qui peuvent justifier l’acquittement. On pourrait dire aussi qu’il enferme le jury dans un cadre constitué par le seul président et renforce les prérogatives de ce dernier. Et si c’est pour une raison non prévue dans les questions que le jury entend condamner ou acquitter ?
Il serait bien plus simple de prendre la décision de motiver les arrêts, ce qu’a fait la Belgique après le premier arrêt Taxquet. Désormais la cour et les jurés « sans devoir répondre à l'ensemble des conclusions déposées, formulent les principales raisons de leur décision ».
L'Assemblée Nationale française avait voté, en 1997, juste avant sa dissolution, un texte qui prévoyait, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, le résumé des principaux arguments par lesquels la cour d’assises s’était convaincue et dégagés au cours de la délibération.
Cette motivation ne remettrait nullement en cause le principe de l'intime conviction. Trop souvent confondu avec l’arbitraire, trop souvent défini par l’instinct, les impressions, le ressenti, le système de l’intime conviction n’est pas un mode de preuve mais un mode d’appréciation des preuves. Il repose sur une liberté d’évaluation des éléments soumis à la juridiction, qui sont ou non estimés suffisants pour entrer en voie de condamnation.
C’est l’absence de motivation, et non le système de l’intime conviction, qui a contribué à la possibilité de condamner pour crime, sans témoin, sans corps, sans aveu, sans élément matériel. Rien ne s'oppose à ce que le président ou l'un des assesseurs mette en forme une motivation simplifiée. Mais le législateur doit, là aussi, et pour éviter d’inconcevables inégalités entre les accusés qui comparaissent, intervenir rapidement.
Pour qu’enfin, quand retentit la sonnerie qui appelle à retourner dans la salle de la cour d’assises, et quand rentrent les 12 ou les 15 femmes ou hommes qui ont jugé, l’accusé et la victime puissent espérer obtenir d’eux autre chose qu’un oracle.