Réforme pénale : des intentions inavouées aux conséquences imprévues
On ne devrait pas réformer la procédure pénale à la légère.
Beaucoup a déjà été dit sur la suppression du juge d'instruction telle qu'elle nous est présentée par le comité Léger. Il est cependant deux conséquences prévisibles de cette réforme annoncée qui semblent être passées inaperçues et sur lesquelles il conviendrait de s'attarder quelque peu. Deux conséquences qu'on ne saurait suspecter ses inspirateurs d'avoir prévues sauf à les accuser de masochisme.
Première conséquence. La disparition de fait de la constitution de partie civile qui permettait aux particuliers d'engager une enquête à la place des parquets défaillants ou réticents est le résultat du monopole de fait qu'on veut désormais conférer aux procureurs. Mais les personnes se disant victimes d'une infraction pénale disposent d'une autre possibilité à l'étape suivante de la procédure : la citation directe.
Il s'agit non plus de saisir directement le juge d'instruction, puisque celui-ci aura disparu, mais le tribunal correctionnel lui-même afin qu'il juge l'infraction supposée. On doit donc s'attendre à une inflation considérable de ces citations directes, jusqu'ici filtrées en amont par les juges d'instruction. Et comme les tribunaux ne sont pas équipés comme ces derniers pour instruire ces plaintes, il en résultera, de confrontations en expertises et en renvois d'audiences, un allongement considérable de la durée des procès correctionnels (la procédure de citation directe n'existant pas devant la cour d'assises).
C'est le cas en Pologne qui s'est beaucoup inspirée du droit américain pour réformer sa procédure pénale et dont les tribunaux sont aujourd'hui naufragés par la durée des procès. Il n'est pas rare que les audiences y durent plusieurs mois, voire plusieurs années. Au point qu'on a décidé que les procès ne devaient pas durer plus de deux années sous peine de prescription des affaires. Les mafias se sont frotté les mains qui disposent de moyens suffisants pour faire durer les procédures jusqu'à leur prescription.
Deuxième conséquence. La volonté de confier aux présidents d'audience un rôle d'arbitre dans la conduite des procès criminels et correctionnels n'est pas absurde en soi. Laisser l'énoncé de l'accusation au ministère public qui en a la charge et les interrogatoires successivement à l'accusation, la partie civile et la défense est assez cohérent. Dès lors, le président se verra confier l'arbitrage de la façon de poser une question, lorsque celle-ci fera débat. On devine déjà l'inflation de jurisprudence à l'anglo-saxone que cette façon de faire engendrera. Mais ce qu'on n'a manifestement pas prévu, c'est qu'un arbitre ne doit pas porter le maillot d'une des équipes sur le terrain.
Or, en France, le président, en tant que magistrat, porte, face à la défense, le même maillot que cet autre magistrat qu'est le procureur. Ce corps unique de la magistrature autorise le juge à solliciter sa mutation au parquet et vice versa. Ce lien particulier que suppose l'unité du corps de la magistrature est manifestement incompatible avec le rôle d'arbitre équidistant des parties qu'on voudrait si parfaitement faire jouer aux présidents d'audience. On voit mal comment la séparation de la magistrature en deux corps distincts ne s'imposerait pas, mécaniquement, comme une nécessité d'évidence.
Quand on légifère sous la pression ou sous le prétexte d'un fait divers, on est assuré de faire fausse route. La démonstration nous en est malheureusement faite à longeur de temps et depuis pas mal d'années déjà par la succession effrénée de textes supposés résoudre les mêmes problèmes. Quand on ne dit pas les vrais motifs d'une réforme, ceux-ci refont invariablement surface. Il est regrettable de constater que le contrôle politique sur la justice l'emporte dans notre pays sur le combat contre le crime.
Il est piquant, en revanche que par un effet d'arroseur arrosé, le pouvoir soit en passe de se priver involontairement du moyen le plus efficace dont il disposait de contrôler politiquement l'institution judiciaire : l'unité du corps des magistrats.