Quoi qu'ils fassent, les magistrats ont-ils toujours tort ?
rem: Cet article a été mis en ligne en avril 2013. Quelques commentaires récents autour d'une décision de justice justifient une nouvelle publication. bis repetita...
Voici quelques jours, pour la énième fois (il en a eu tellement qu'il est dorénavant impossible de les compter), des magistrats ont été sévèrement critiqués après avoir mis en examen un ancien élu. Les invectives ont atteint un nouveau seuil et, une fois encore, les syndicats de magistrats ont dénoncé publiquement des attaques inacceptables et, pour certains, envisagé des poursuites pénales (cf. ici et ici).
Dans le monde politique les réactions ont été très diverses, de la dénonciation d'une atteinte à l'indépendance de la justice à une approbation des critiques énoncées, quelle que soit leur outrance.
Il y a eu d'innombrables épisodes de la sorte au cours des dernières décennies, et quelque chose nous dit qu'il y en aura encore bien d'autre.
Ce qui semble constant en tous cas, c'est que, quoi qu'ils fassent, les magistrats ont toujours tort.
- Le procureur saisi d'une plainte contre un responsable et qui tarde à ordonner des investigations ou à engager des poursuites est un magistrat inféodé au pouvoir qui cherche à protéger des personnes dont il est trop proche, ceci afin de plaire et de préserver ses chances de faire carrière jusqu'aux plus hauts postes de la magistrature.
Mais un procureur qui rapidement diligente une enquête ou engage des poursuites est un magistrat qui veut briser la carrière d'un responsable et qui cherche à plaire au pouvoir en place (toujours la carrière..) quand la personne soupçonnée est de l'autre bord.
- Quand des élections approchent, un procureur qui audience le dossier d'un candidat avant l'élection est un magistrat qui, dans une démarche politique et non judiciaire, cherche à anéantir les chances de l'intéressé d'être élu et tente de substituer sa volonté à celle du peuple.
Mais un procureur qui attend que les élections soient passées pour agir est un magistrat qui protège un candidat éventuellement délinquant et prive délibérément les électeurs d'une information importante au moment du choix du bulletin de vote.
- Un tribunal qui sanctionne sévèrement un élu est forcément dans la disproportion, montre une volonté de revanche du judiciaire sur le politique, et ouvre la porte au gouvernement des juges (lire ici). C'est la justice de classe mise en oeuvre par une magistrature complexée.
Mais un tribunal qui se montre bienveillant est composé de juges qui, par réflexe de caste, protègent les élites alors qu'ils n'hésitent pas à se montrer impitoyables avec les gens ordinaires. C'est encore la justice de classe. Mais dans l'autre sens.
La problématique, au demeurant, dépasse celle de la mise en cause des élites.
- Un juge de la liberté et de la détention (JLD) qui envoie trop vite en détention provisoire une personne soupçonnée d'actes de délinquance, mais qui sera ensuite relaxée, est un magistrat qui bafoue la présomption d'innocence et qui détruit inutilement une vie humaine.
Mais un JLD qui constate que dans le dossier qui lui est soumis les charges sont encore trop peu nombreuses pour qu'il y ait une probabilité suffisante que l'intéressé dont il est demandé l'emprisonnement soit coupable, qui en tire les conséquences et refuse une détention provisoire, est un magistrat qui méprise le travail difficile des policiers, qui assure l'impunité à un délinquant, et qui ne fait rien pour protéger les citoyens (lire ici).
- Un juge d'application des peines qui, après avoir reçu des avis unanimement favorables, laisse sortir de prison une personne qui a un projet sérieux de réinsertion, devient un juge qui a commis une faute grave si cette personne commet une nouvelle infraction quand bien même un tel comportement était totalement imprévisible.
Mais un juge d'application des peines qui refuse la sortie à un condamné y compris quand tous les avis sont favorables à cette sortie organisée et accompagnée est un juge sans coeur, qui détourne la loi, et qui fait obstacle à une possible réinsertion réussie.
Au fil des années, les magistrats ont eu droit à tout : les "juges rouges", le "gouvernement des juges", le "complot politico-judiciaire", la "revanche des juges"...
A chaque fois que se déversent des torrents de critiques, la magistrature s'énerve, s'insurge et s'inquiète. Sans trop savoir quelles sont les réactions les plus appropriées face à ces agressions répétées. Et les débats sont vifs à l'intérieur de l'institution.
Pour certains magistrats, il ne faut pas accorder d'importance à ce qui n'en a pas vraiment. Ceux-là préfèrent souligner la médiocrité et l'hypocrisie des propos plutôt que leur faire de la publicité en les contestant ou en les poursuivant.
Ils ajoutent que les français sont pour la plupart suffisamment intelligents pour comprendre que l'outrance des propos dissimule, difficilement, un manque d'arguments sérieux contre les décisions judiciaires vilipendées.
D'autres enjambent l'obstacle en prenant le parti d'en rire. Remarquant le faible niveau intellectuel de la plupart des critiques, ils soulignent que les propos tenus ressemblent plus à des commentaires de collégiens et les écartent d'un revers de manche en ajoutant, avec malice, que l'avantage de la plupart de ces critiques, si manifestement dérisoires, est de ne pas mobiliser l'intelligence.
Dans un entre deux, certains magistrats pensent à la fois qu'il ne faut pas accorder d'importance aux critiques les plus manifestement dérisoires, mais qu'il faut quand même réagir quand les limites de l'acceptable sont dépassées. Ils tentent alors d'énoncer des critères permettant de séparer les remarques pouvant légitimement relever du débat démocratique et les critiques que rien ne justifie et qui n'ont d'autre objet que de détourner l'attention des français des turpitudes de ceux qui sont impliqués dans une procédure judiciaire.
Réunis dans un dernier groupe, d'autres magistrats pensent qu'il faut ne rien laisser passer, réagir à chaque fois, et utiliser toutes les voies de droit prévues par les textes. Ces magistrats affirment qu'il n'existe aucune raison pour que l'institution accepte des comportements qui dépassent le cadre du débat démocratique et qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale ou disciplinaire. Ils estiment que ne pas réagir c'est, indirectement, encourager les comportements les plus détestables.
Ils rappellent que l'indépendance de la justice est l'un des piliers essentiels de toutes les démocraties, et que toute attaque non justifiée contre un magistrat au seul motif qu'il applique la loi d'une façon qui ne convient pas à certains est une attaque contre l'équilibre des pouvoirs et, de ce fait, une attaque contre la démocratie et par ricochet contre le peuple dans son ensemble (sur l'avis du CSM lire ici).
Qui a raison, et qui a tort ?
La difficulté provient de ce que tous les magistrats ont plus ou moins raison. On peut à la fois se dire que la médiocrité de certaines critiques qui ne reposent sur aucun argumentaire, même si elle choque, ne mérite pas forcément que l'on s'y attarde. Mais en même temps, on peut se dire aussi que ne pas réagir en présence d'un excès manifeste c'est encourager ceux qui vont suivre.
Ce qui semble malheureusement certain, c'est qu'il n'existe aucune raison pour penser que ce qui a toujours existé va cesser demain ou après demain. Dans tous les pays, à toutes les époques, tous les pouvoirs de quelque couleur qu'ils soient ont toujours difficilement accepté une justice indépendante, et, surtout, une justice qui, appliquant la loi à tous, puisse atteindre les élites.
Les pouvoirs ont toujours du mal à accepter les contre-pouvoirs.
Alors au final, le plus important pour les magistrats n'est peut-être pas de réagir face aux critiques les plus virulentes même quand elles sont totalement infondées et que les mises en cause collectives ou personnelles sont injustifiées. Même si ces attaques blessent et déstabilisent, ce qui est l'un des buts recherchés.
En effet, le devoir du magistrat c'est d'abord et principalement d'appliquer la loi en toutes circonstances, à tous les citoyens qui y sont soumis, sans tenir exagérément compte de leur profil personnel et, encore moins, des réactions que peuvent susciter des décisions qui dérangent.
C'est aussi, pour réduire l'impact des critiques, de motiver leurs décisions de façon aussi irréprochable que possible.
Sans doute, demain comme hier, ceux qui publiquement critiquent férocement certaines décisions judiciaires n'en citeront jamais aucun extrait. S'ils peuvent aisément se contenter face aux caméras de dénoncer une décision judiciaire qui leur déplait, ils savent qu'il leur serait bien plus difficile d'expliquer, en fait et en droit, en quoi le juge a tort quand il a écrit tel ou tel paragraphe de telle page. Devant micros et caméras, le contenu réel des décisions judiciaires n'est jamais mentionné. Il est aisé de comprendre pourquoi.
Demain comme hier, les magistrats seront les spectateurs des soubresauts d'une société qui n'a toujours pas terminé son évolution vers un véritable Etat de de droit. Quand ils relèveront des comportement fautifs, quand ils ne répondront pas immédiatement aux injonctions des pouvoirs, quand ils oseront appliquer la loi à tous sans discrimination, les magistrats continueront à être des boucs-émissaires de premier choix (lire ici).
Mais en même temps, quand ils ont rendu une décision sérieusement motivée, ce qui n'exclut pas en cas de recours qu'une autre analyse aussi sérieusement motivée aboutisse à une décision différente (sinon l'idée d'un recours n'aurait aucun sens), les magistrats peuvent avoir la conscience tranquille.
Et alors, sans trop de difficultés, rester indifférents à l'agitation et au bruit de l'extérieur.