Quelques remarques à propos de la Cour de Justice de la République... et du CSM.
Par Michel Huyette
L'article paru dans Le Monde du 3 mai 2010, intitulé "Retour d'expérience pour quatre juges-parlementaires", m'a fait penser à ce slogan souvent utilisé par les publicitaires pour vanter un produit : "C'est vous qui en parlez le mieux". Car le journaliste retranscrit quelques remarques de parlementaires qui ont été amenés, comme membres de la Cour de justice de la République, (CJR) à juger l'ancien ministre Monsieur Pasqua, accusé de plusieurs infractions de nature financière.
Je profite toutefois de cet article pour, en passant, relever que les 12 parlementaire + 3 juges formant cette juridiction spécialisée (cf les textes sur la CJR) ont rendu à l'issue de l'audience une décision... écrite et motivée. Cela permet une fois de plus d'affirmer que même quand les magistrats professionnels siègent avec des non professionnels, et que la juridiction comporte de nombreux membres, ici 15, il n'est pas impossible de retranscrire les motivations essentielles dans un document écrit.
Or, à propos de la cour d'assises, également composée de 3 juges professionnels et de jurés non professionnels (9 en première instance, 12 en appel), il a été affirmé à plusieurs reprises, à tort selon moi, que la composition rend impossible la motivation des décisions pourtant exigée, semble-t-il, par la cour européenne des droits de l'homme. On notera également avec un certain intérêt que dans l'article du Monde des parlementaires ont fait part de toute leur difficulté à endosser l'habit de juge... comme les jurés.
Ce qui est présenté comme impossible à l'occasion du débat sur la prochaine réforme de la procédure pénale n'est donc pas forcément aussi impossible que cela....!
Mais ce n'est pas l'objet principal de cet article alors passons.
Le journaliste ayant voulu entendre les avis des parlementaires sur leur expérience à l'issue du procès de Monsieur Pasqua, il a été noté dans l'article des phrases telles que :
"Ce n'est pas marrant comme exercice (..) Je n'ai pas pour vocation de juger les gens."
"(c'est) franchement éprouvant. Ce n'est pas une situation que j'ai bien vécue"
"(il est difficile de porter un jugement) "sur quelqu'un qui est une figure de ma famille politique, même si je ne le connaissais pas personnellement"
"Je crois malgré tout qu'il est bon qu'il y ait un regard politique, qui n'est pas celui du droit commun (..) Toute condamnation d'un ministre dans l'exercice de ses fonctions devrait se traduire par une sanction de nature politique, la première d'entre elles étant l'inéligibilité"
"J'ai eu l'impression que certains étaient favorables à la relaxe pure et simple avant même que le procès ait commencé".
Ces quelques réflexions sont assez révélatrices de l'ambiguïté de la CJR.
La Cour de justice de la République, c'est une institution composée aux quatre cinquièmes de parlementaires, par hypothèse membres d'un parti politique. Inéluctablement, certains d'entre eux sont membres du même parti politique que celui qui est jugé.
Il ne s'agit pas là de la seule appartenance à un même groupe. Dans un parti politique, les trajectoires se croisent, s'entremêlent, dépendent les unes des autres, des services sont rendus, des nominations sont espérées et octroyées, des amitiés courtes ou durables se créent, des intérêts communs sont préservés.
Par ailleurs, au travers des poursuites engagées contre un membre d'un parti, surtout quand il est éminent, c'est parfois l'image de la formation politique dans son ensemble qui est en cause, ce qui peut inciter les parlementaires désignés comme juges, de leur propre initiative ou à l'invitation directe ou plus subtile des responsables du parti, à faire preuve de bienveillance à l'égard de celui qui est poursuivi, pour le bien du parti dans son ensemble.
Tout ceci explique sans doute pour une grande part les réflexions reprises par le journaliste sur la difficulté des parlementaires d'une "même famille" à exercer sereinement un rôle de juge.
On peut aussi se demander si la phrase rapportée " Toute condamnation d'un ministre dans l'exercice de ses fonctions devrait se traduire par une sanction de nature politique, la première d'entre elles étant l'inéligibilité" ne revient pas à dire, mais à l'envers, qu'un élu qui commet des malversations dans l'exercice de ses fonctions doit échapper aux sanctions habituelles que sont l'amende et la prison. En clair, ce qui est avancé c'est que les élus devraient bénéficier d'un régime de faveur et échapper aux sanctions appliquables aux justiciables ordinaires, même s'ils commettent les mêmes infractions de droit commun. Ne s'agit-il pas là d'une auto-protection entre personnes du même monde ?
Quoi qu'il en soit, il existe une règle fondamentale en matière de justice civile ou pénale : le juge ne doit avoir aucun lien personnel, d'aucune sorte, avec celui qu'il doit juger. A défaut, faisant prévaloir sa déontologie et les principes fondamentaux du droit procédural, il doit refuser de faire partie de la juridiction de jugement. C'est l'essentiel principe d'impartialité du tribunal prévu par la convention européenne des droits de l'homme.
C'est ce même principe qui, au civil (art. 341 svts du code de procédure civile) comme au pénal, (art. 668 svts du code de procédure pénale) permet de récuser un magistrat à cause de sa trop grande proximité avec une partie au litige.
D'où la question plusieurs fois posée : ces principes fondamentaux d'une justice démocratique sont-ils suffisamment respectés à la CJR ?
Plus largement, de nombreux commentateurs se sont interrogés sur la pérennité d'une telle juridiction, surtout quand il s'agit de juger un homme qui n'a plus de responsabilités politiques et qui n'a commis que des infractions de droit commun.
Mais la réflexion peut aller un peu au-delà.
En effet, la CJR n'est pas la seule institution dans laquelle les personnes poursuivies sont jugées par leurs semblables. Tel est le cas par exemple dans certains ordres professionnels, comme les médecins, qui jugent et sanctionnent les fautes commises par d'autres médecins. Il en va de même, surtout, du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), actuellement et pour quelques mois encore composé, outre le chef de l'Etat qui en est le président et le ministre de la justice qui en est vice-président, de 16 membres dont 12 magistrats et quatres personnalités extérieures.
S'agissant du CSM, il m'a toujours semblé anormal que cette formation, chargée entre autres activités d'apprécier et de sanctionner les éventuelles fautes disciplinaires commises par des magistrats, soit composée très majoritairement de magistrats. Il n'est jamais très sain qu'un groupe professionnel gère lui-même ses dysfonctionnements, d'où la nécessité de regards extérieurs en nombre au moins égal au nombre des magistrats (1).
Et l'on repasse par la case départ. Les arguments qui à propos du CSM ont justifié que les magistrats soient à l'avenir minoritaires au moment de juger leurs pairs, à savoir faire obstacle au corporatisme et à une vision trop interne et étriquée des problématiques, ne sont-ils pas au moins pour partie transposables à la CJR ? Surtout quand on sait, comme indiqué plus haut, que les liens entre les membres des partis politiques sont certainement encore plus forts que les liens entre les magistrats ?
Le débat a donc légitimement été ouvert sur le devenir de la CJR, mais il devrait l'être à propos de toutes les institutions qui gèrent elles-mêmes les dysfonctionnements de leurs membres sans un regard extérieur susceptible de faire obstacle aux dérives.
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1. La loi organique du 23 juillet 2008 prévoit que chaque formation du CSM, siège et Parquet, soit composée de 7 magistrats (dont le président de la formation), 1 conseiller d'Etat, 1 avocat, et 6 personnalités extérieures (2 nommées par le chef de l'Etat, 2 par le président de l'Assemblée nationale, 2 par le président du Sénat). Les magistrats seront donc minoritaires, de même que les personnes nommées par les instances politiques ne seront pas majoritaires. cf. futur article 65 de la constitution.