Quelle sanction doivent exécuter les condamnés ?
Par Michel Huyette
Un député de la majorité, connu pour ses positions radicales en matière de sécurité et de justice, vient de remettre au président de la République un rapport intitulé "Pour renforcer l'efficacité de l'exécution des peines" (rapport ici).
Il ne s'agira pas aujourd'hui de commenter tout ce que contient ce rapport. Vous pourrez si vous souhaitez des éléments de réflexion vous reporter, notamment, aux premières observations de l'USM (Union syndicale des magistrats) (lire ici).
Bien sûr, sur certains aspects du rapport, il y a matière à étonnement. Il est troublant qu'un député de la majorité conteste aussi clairement ce qui a été voté voilà... quelques mois par la même majorité, en proposant des mesures contraires à celles d'avant (cf. ci-dessous). Mais la surprise est limitée. En effet, on comprend mieux la démarche si l'on a en tête d'une part que depuis quelques temps cette majorité laisse émerger des courants de pensée relativement divers, d'autre part, comme l'ont relevé la quasi totalité des observateurs, qu'une partie de cette majorité s'est donnée comme objectif, en vue de la prochaine élection présidentielle, de récupérer un maximum de votes du côté de l'extrême droite. D'où, logiquement, des prises de positions radicales dans les domaines habituels de l'immigration ou de la délinquance. En ce sens il n'y a pas grand chose de nouveau dans ce qui se joue actuellement.
Sauf peut être que si nous avions appris à connaître le principe dorénavant gravé dans le marbre "un fait divers = une loi", nous allons peut être en voir émerger un nouveau à l'approche de l'élection présidentielle "pas de fait divers = une loi quand même".
Et tant pis pour la cohérence de la construction du droit, tant pis pour la logique de l'ensemble, ce n'est plus une priorité depuis déjà longtemps. Mais là n'est pas la raison d'être de cet article.
Il n'empêche, le rapport met l'accent sur une problématique qui mérite notre intérêt et qui n'est sans doute pas assez abordée. Il faut dire que le débat est complexe et qu'il impose une prise de distance toujours difficile avec les aléas du quotidien, les faits divers successifs, l'émotion et le populisme.
La problématique est en résumé la suivante : quand une juridiction pénale prononce une sanction, notamment une peine de prison ferme, dans quelle mesure cette sanction peut être par la suite transformée ? Autrement dit, qui au final peut/doit décider de la sanction réellement effectuée ?
Le principe de l'évolution des sanctions est clairement inscrit dans la loi. L'article 707 du code de procédure pénal (texte ici) est rédigé ainsi :
"(..) L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d'exécution pour tenir compte de l'évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire."
Cela signifie sans aucun doute possible que dès le prononcé d'une sanction son aménagement en fonction des circonstances à venir est encouragé par la loi. Et aménagement signifie inéluctablement modification de la décision de la juridiction de jugement.
Le principe n'est pas véritablement contestable en soi et il n'est plus remis en question depuis longtemps. Chacun sait ou peut comprendre que si par exemple une personne condamnée à 15 ans de prison reste 15 ans enfermée, sans rien d'autre au cours de cette période, il n'y a aucune place pour un quelconque processus progressif de réinsertion. Et qu'à l'inverse une préparation de la sortie avant l'échéance de la peine initialement prononcée réduit nettement le risque de récidive.
Mais si le principe général est aisément admis, dans la pratique apparaissent quand même des situations qui peuvent sembler plus ou moins troublantes. Nous en examinerons trois qui correspondent à des problématiques différentes.
La peine prononcée est d'abord réduite par le biais des réductions de peine (textes ici).
En bref, chaque condamné, dès que la peine d'emprisonnement est mise à exécution et donc est incarcéré, bénéficie d'un crédit de réduction de peine qui va automatiquement réduire la peine à effectuer. Ce crédit est actuellement de 3 mois pour la première année et de 2 mois pour les années suivantes (7 jours par mois pour les peines inférieures à 1 an). Si le condamné était en état de récidive, les réductions sont moins importantes (2 mois puis 1 mois).
Pour les condamnés à des peines importantes, ce crédit de peine peut réduire la durée d'emprisonnement de façon non négligeable. Par contre, en cas de mauvaise conduite du condamné, le juge d'application des peines peut supprimer un crédit de peine. L'objectif est d'inciter les condamnés à se comporter correctement pendant la durée de leur emprisonnement.
En plus, une autre réduction de peine peut être octroyée aux condamnés qui font de sérieux efforts de "réadaptation sociale" (études et examens réussis, suivi d'une thérapie, indemnisation des victimes..). Il s'agit là non plus seulement d'encourager des comportements corrects mais de susciter des efforts particuliers supplémentaires, cela dans le but d'aider les intéressés à évoluer et de préparer au mieux leur sortie de prison.
En ce sens, il s'agit de deux mécanismes peu contestables et dont, en détention, condamnés et surveillants apprécient l'existence, chacun y trouvant son intérêt. Seul le quantum des réductions de peine peut être discuté, afin qu'il y en ait plus ou moins.
Il en va autrement de la transformation de la sanction. Deux cas distincts (parmi d'autres modalités d'aménagement) doivent être analysés.
Il y a d'abord le prononcé puis la réduction de la période de sûreté.
La période de sûreté est une période pendant laquelle, en principe, le condamné ne peut bénéficier d'aucun aménagement de sa peine. Autrement dit, une période pendant laquelle il sera emprisonné sans pouvoir espérer sortir sous un régime ou sous un autre. Pour certaines infractions il existe une période de sûreté automatique (texte ici), qui s'applique sans que les juges aient à le décider, la juridiction pouvant toutefois en modifier la durée. Pour les autres infractions la juridiction qui prononce la condamnation peut décider d'ajouter une période de sûreté à la condamnation.
Quand un accusé est condamné par une cour d'assises, il arrive que les juges et les jurés raisonnent de la façon suivante : L'accusé doit bénéficier de certaines circonstances atténuantes, en conséquence la peine peut être modérée par rapport au maximum prévu par la loi, mais, en même temps qu'il bénéficie d'une certaine indulgence, il est souhaitable qu'il effectue au moins telle période d'incarcération réelle.
Par exemple, pour un meurtre puni de 30 ans de prison, et qui n'est pas assorti d'une période de sûreté automatique (à la différence de l'assassinat), la cour d'assises condamne l'accusé à 18 ans de prison parce qu'il y a des circonstances atténuantes. Puis la cour d'assises ajoute une mesure de sûreté de 12 ans, cette durée de 12 année étant envisagée par elle comme une durée relativement bienveillante d'emprisonnement eu égard à la gravité du crime mais en dessous de laquelle il est exclu de descendre. Le message à l'accusé est alors clair : nous avons prononcé la peine la plus modérée possible, mais en contrepartie nous voulons que cette peine soit vraiment exécutée dans sa totalité.
Pourtant la loi permet au juge d'application des peines, quand bien même elle précise que ce ne doit être qu'à titre exceptionnel, de mettre fin à la période de sûreté ou d'en réduire la durée, ceci quand le condamné "manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale" (texte ici). Cela peut aboutir, pour reprendre notre exemple, à réduire à nettement moins de 12 années la peine d'emprisonnement réellement effectuée. C'est donc dans ce cas une importante remise en cause de la décision de la cour d'assises, ce que celle-ci ne voulait pas. D'autant plus qu'une éventuelle aptitude à la réinsertion ne change rien à la gravité du crime qui a été commis et pouvait être parfaitement connu de la juridiction criminelle.
Pour poursuivre sur notre exemple, le meurtrier condamné à 18 années de prison et 12 années de période de sûreté peut être, avant et au moment de son passage devant la cour d'assises, un individu exempt de troubles psychologiques, avec un emploi stable et un réseau de relations sociales lui permettant de se réinsérer facilement et rapidement. C'est notamment le cas de certains crimes "passionnels", pour lesquels le risque de récidive est minime. Mais le fait que le condamné présente des "gages sérieux de réadaptation sociale" étant déjà connu de la cour d'assises quand elle rend sa décision, il est délicat d'expliquer pourquoi le JAP est autorisé à réduire la durée d'emprisonnement en se fondant sur un motif déjà pris en compte par la juridiction de jugement pour fixer cette durée.
La distance entre peine prononcée et peine effectuée apparaît encore plus nettement en cas de peine d'emprisonnement de moyenne durée.
Quand un tribunal correctionnel décide de condamner un prévenu à une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à 2 années, il peut décider de "l'aménager".
Le tribunal peut dire que le condamné effectuera sa peine de prison sous la forme d'une semi-liberté (par exemple travail ordinaire en semaine et retour en prison les fins de semaine) (texte ici). Il peut aussi décider de placer le condamné sous surveillance électronique, celui-ci ne pouvant aller que dans les lieux autorisés (textes ici). Enfin le tribunal peut ordonner le fractionnement de la peine (par exemple emprisonnement uniquement pendant les temps de vacance pour ne pas faire obstacle à une activité professionnelle) (texte ici).
La loi présente même ces aménagements comme une obligation, puisque l'article 132-24 du code pénal indique bien que si les conditions sont réunies le tribunal "doit" aménager la peine. Cela semble vouloir dire, à l'inverse, que si le tribunal ne prononce pas un tel aménagement, c'est qu'il a délibérément voulu que la peine d'emprisonnement soit effective et donc que le condamné soit incarcéré pour la durée choisie, sous la seule réserve des crédits de réduction de peine précités.
Mais là encore, un autre texte autorise encore le juge d'application des peines à aménager les peines de prison d'une durée égale ou inférieure à deux années (textes ici). Il peut à son tour remplacer l'emprisonnement par une semi liberté, un placement sous surveillance électronique, ou un placement extérieur.
Cela peut aboutir à la situation suivante : même si le tribunal a voulu que le condamné effectue une réelle période d'emprisonnement à cause de la gravité du (des) délit(s) poursuivi(s), et a délibérément écarté tout aménagement, le juge d'application des peines peut quelques jours plus tard adopter une position exactement inverse, supprimer totalement l'emprisonnement, et en conséquence faire bénéficier l'intéressé d'un régime d'exécution des peines nettement moins sévère.
Autrement dit, pour les très nombreuses peines de prison égales ou inférieures à deux années, la décision du tribunal n'est plus que théorique, et c'est le juge d'application des peines qui, au final, décide de la sanction qui doit être effectuée.
Ce qui est donc troublant dans le système actuel, c'est que le JAP peut modifier une décision quand bien même la juridiction de jugement a tout particulièrement choisi sa nature et son quantum, en connaissance de cause de tous les aspects du dossier y compris les éléments de personnalité.
On pourrait plus aisément comprendre l'intervention du JAP si, au moment de choisir la sanction, la juridiction de jugement ne disposait pas des éléments suffisants pour apprécier l'opportunité, qu'elle n'écarterait pas forcément, d'aménager la peine prononcée. C'est parfois le cas. On peut alors comprendre qu'elle décide de laisser le JAP terminer l'analyse de la situation du condamné pour mettre en oeuvre une modalité d'exécution de la peine appropriée. C'est l'un des arguments majeurs de ceux qui sont pour le maintien en l'état du système actuel.
Mais tel n'est pas toujours le cas. Dans bien des situations le JAP saisi du dossier d'un condamné ne dispose pas de nouveaux éléments inconnus de la juridiction de jugement. Son droit de modifier la sanction est alors plus délicat à justifier.
D'où dans de telles hypothèses cette même question : qu'est-ce qui, en dehors des réductions de peine, justifie que la sanction mise en oeuvre ne soit pas, quand tel est bien le cas, celle qui est choisie en connaissance de cause par la juridiction de jugement ?
Afin d'aller vers un nouvel équilibre sans écarter totalement les possibilités actuelles d'aménagement, l'une des options envisageables pourrait être de considérer d'abord et par principe que c'est la juridiction de jugement qui décide véritablement de la sanction à effectuer. Pour ensuite laisser la porte ouverte à certains assouplissements.
Il pourrait, à titre de pondération contrôlée, être prévu que le juge d'application des peines peut modifier la sanction prononcée sauf si le tribunal l'interdit. Ainsi la juridiction de jugement, libre de permettre ou de faire obstacle à certains aménagements, conserverait la maîtrise du processus, le JAP intervenant dans le cadre défini par celle-ci. Il serait considéré que si la juridiction de jugement ne mentionne rien dans sa décision un aménagement de la sanction est possible, mais qu'elle peut également exclure expressément tout aménagement, ou certains d'entre eux.
Un tel mécanisme ne pourrait toutefois pas s'appliquer à une période de sûreté qui, par hypothèse, implique en elle-même le refus de tout aménagement.
Quoi qu'il en soit, au-delà des incohérences politiques qui consistent à voter un mécanisme légal le lundi et à le remettre en cause le mardi, à prôner la plus grande fermeté le mercredi et à organiser une minoration des sanctions le jeudi, à prévoir des jurés dans les tribunaux corectionnels le vendredi dans le but d'obtenir des peines plus sévères et à vouloir faire sortir autant de condamnés que possible de prison le samedi, il y a certainement place pour un sérieux débat autour des sanctions pénales et de leur devenir entre leur prononcé et leur exécution finale.
Enfin, on voudrait y croire.