Quel soutien psychologique pour les jurés de la cour d'assises ?
Quelques élus viennent de lancer l'idée suivante : parce que pendant les procès criminels il arrive que des jurés suportent difficilement le contenu de certaines affaires, et en sont profondément perturbés, il est nécessaire de leur apporter un soutien psychologique quand ils n'arrivent plus à assumer sereinement leur fonction.
Si l'idée est généreuse, elle n'est pas forcément adaptée à la réalité concrète. Cela pour des raisons relativement simples.
Quand un procès criminel est audiencé, il lui est affecté un nombre de journées d'audience permettant en principe de l'aborder de façon confortable, mais sans perte de temps inutile. C'est ce qui fait que la plupart du temps les journées sont bien remplies.
Si un juré en vient à ne plus supporter ce qu'il voit ou entend, et si l'intervention d'un soutien est envisagée, il faudra suspendre l'audience pendant un temps pouvant aller de quelques minutes à quelques heures. En plus, en cas de juré en grande difficulté, on peut imaginer que le soutien soit nécessaire à plusieurs reprises, générant de nombreuses heures d'interruption. Avec à la clé le risque que le procès ne puisse pas se terminer dans le délai prévu à cause de ces interruptions et que, un nouveau procès étant prévu à sa suite, l'un ou l'autre soit renvoyé à une session ultérieure faute de temps suffisant pour le conclure.
Il est mentionné dans les premières explications données au soutien du projet de réforme le cas d'un juré confronté à un acte abominable qu'il trouve insupportable et qui le perturbe fortement. Si un tel juré manifeste son désarroi à l'audience, que celle-ci est suspendue pour lui afin qu'il bénéficie d'un soutien, toutes les parties au procès sauront ce qu'il en est. Rien, évidemment, ne doit leur être dissimulé.
L'accusé et son avocat seront inéluctablement tentés de penser que ce juré, effaré par le crime commis, sera particulièrement sévère en cas de déclaration de culpabilité, et par voie de conséquence désireux de voter pour une sanction particulièrement lourde.
Il serait donc logique qu'ils considèrent ce juré comme ayant perdu son impartialité (cf. art. 304 du cpp, texte ici), et qu'ils demandent son remplacement par un juré supplémentaire. Il ne s'agira plus alors d'apporter un soutien à un juré défaillant mais de remplacer un juré n'arrivant pas à prendre suffisamment de distance par rapports aux faits jugés par un autre juré susceptible d'analyser le dossier avec plus de recul.
Autrement dit, le trouble grave du juré démontrera une incapacité à juger sereinement et le soutien envisagé sera en inadéquation avec la problématique constatée
Le juré est tenu au secret et prête serment en ce sens (cf. le même art. 304). Il s'engage à ne rien dire aux autres sur ce qu'il pense de l'affaire, des faits et des protagonistes, en dehors du délibéré.
Or si le juré est en grande difficulté à cause de la nature du crime jugé, le soutien devrait avoir pour objet de l'aider en parlant de ce qu'il ressent, afin qu'il essaie de surmonter sa difficulté en ne la gardant pas pour lui, en l'extériorisant. Il faudra donc que le juré explique à l'intervenant ce qu'il a entendu, vu, ce qui le perturbe, ce qu'il trouve épouvantable ou insupportable, donc en clair ce qu'il pense de l'affaire.
Il est pourtant difficilement concevable, c'est peu dire, que, pendant le déroulement d'une affaire un juré qui siège et qui est soumis au secret le plus absolu rencontre un tiers pour lui exprimer ce qu'il pense de l'affaire.
Le jury est composé de jurés titulaires, et de un ou plusieurs jurés supplémentaires. Ceux-ci ont à tout moment vocation à remplacer un juré défaillant. Dès lors, si l'un des jurés titulaires n'est plus en état de tenir sa place avec distance et impartialité parce qu'il est trop perturbé par certains éléments de l'affaire, la logique est non pas de tenter de le soutenir aussi longtemps que possible mais de le remplacer par un juré supplémentaire. Autrement dit, la présence des jurés supplémentaires rend inutile le soutien d'un juré devenu incapable de siéger avec la cour d'assises.
Pendant le procès, il y a régulièrement des suspensions d'audience. Ces pauses permettent aux membres de la cour d'assises de se détendre, d'aller aux toilettes, de manger ou boire un peu. Mais elles offrent aussi, dans la salle de délibéré, un espace de parole à ceux qui veulent exprimer leur difficulté à suivre les débats. Très vite après le début de la session des liens se tissent entre les jurés, et entre ceux-ci et les magistrats. Cela permet aux uns de soutenir les autres en cas de besoin. Souvent, écouter le juré troublé par une affaire puis lui prodiguer quelques encouragements suffit à le soulager. Dans tous ces cas, il n'est nul besoin d'un soutien extérieur. C'est pourquoi un tel soutien ne pourrait concerner que des jurés se retrouvant en très grandes difficultés, avec les obstacles et limites précités.
Pour toutes ces raisons, l'instauration d'un soutien psychologique, pendant le procès et pendant de longs moments, à des jurés incapables de siéger à cause des perturbations découlant de l'affaire, n'est pas forcément judicieux. Les jurés qui sont seulement légèrement perturbés n'ont pas besoin d'un tel soutien externe. Et ceux qui sont gravement affectés doivent être remplacés par les jurés supplémentaires.
Ce qui pourrait être utile, ce serait de réfléchir à l'opportunité d'apporter aux jurés un soutien après la fin de la session. En effet, une fois le dernier procès jugé, les jurés repartent chez eux sans phase transitoire. Ce départ se fait d'autant plus rapidement que quand un accusé est déclaré coupable, les trois magistrats professionnels retournent dans la salle d'audience pour traiter, sans les jurés, les demandes indemnitaires de la victime. Les magistrats n'ont pas, alors, la possibilité de rester longtemps avec les jurés pour une sorte de "debriefing".
On pourrait donc considérer opportun de proposer aux jurés qui le souhaitent, qui sont un peu brusquement retournés à leur vie quotidienne, de parler de leur expérience une fois la session terminée. Leur liberté de parole pourrait être considérée comme plus ample puisque alors ils ne sont plus en fonction à la cour d'assises..
Mais là encore, se poserait la question du secret du délibéré. On ne pourait pas admettre qu'un juré exprime ses grandes difficultés à prendre une décision sur la culpabilité ou à choisir une peine, parle de la façon dont il a été bouleversé par les faits ou les personnalités des protagonistes, exprime éventuellement sa haine envers les uns ou les autres, à un tiers qui n'est pas autorisé à recevoir la moindre confidence des jurés ou des juges sur le fond de l'affaire et l'opinion qu'ils s'en sont faite. Jurés qui, comme le rappelle la loi, restent soumis au secret même après la cessation de leur fonction.
La démarche, sans doute bien intentionnée des parlementaires qui ont envisagé un soutien pour les jurés en grande difficulté, se heurte immédiatement à de nombreux obstacles, surtout pendant la session, mais aussi après la fin de celle-ci.
C'est pourquoi leur proposition pourrait bien ressembler à une fausse bonne idée...