Pierre Drai, ancien premier président de la cour de cassation, et les juges
Par Michel Huyette
Pierre DRAI, magistrat devenu à la fin de sa carrière premier président de la cour de cassation, vient de décéder (lire ici).
En janvier 1998, à l'occasion de cérémonies concernant Emile Zola, Pierre DRAI, dans une allocution au Panthéon, et après avoir parlé de l'affaire Dreyfus (lire ici), avait dit notamment ceci :
"Il n'a jamais été facile d'être juge. Dans notre pays, subsiste dans le tréfonds de la conscience populaire, cette vieille méfiance à l'égard des juges, méfiance qu'accroît encore la vue des défectuosités d'une machine vieillie et vite essoufflée dans l'effort.
Alors, régulièrement et parfois violemment, les juges sont « jetés dans la balance », pour y être jaugés et jugés à leur tour. Traités sans ménagement et souvent maltraités, ils sont invités à s'expliquer, parfois même à se justifier, au risque de se voir reprocher d'avoir manqué de réserve et de retenue et, même, d'être en grave décalage avec une opinion publique avide de simplicité et d'à-peu-près.
Si l'arrêt des Chambres réunies de la Cour de Cassation du 12 juillet 1906, en mettant un terme définitif à l'Affaire, devait avoir une qualité essentielle, c'est bien celle de l'affirmation que la justice constitue une vertu, qu'elle doit se cultiver et se conforter par les principes essentiels que sont la publicité de l'action judiciaire et la loyauté du juge et de ceux qui l'aident dans sa mission.
Les juges du 12 juillet 1906 n'ont été que des juges, et nul n'a jamais retenu leur nom, mais ils nous ont fourni une occasion de « pédagogie ».
Ils nous ont appris que juger, c'est aimer écouter, essayer de comprendre et vouloir décider.
Ils nous ont appris que juger, ce n'est pas juger « comme d'habitude », dans le train-train monotone et mécanique d'une noria de dossiers qui se gèrent et qui, un jour, s'évacuent.
Ils nous ont appris que, dans l'action de juger, il fallait toujours laisser place au doute mais que, jamais, la moindre place ne devait être laissée à la « rumeur », au « préjugé », au soupçon.
Ils nous ont appris qu'il ne fallait jamais mépriser le droit, la règle de droit préexistante et objective.
Ils nous ont appris qu'il fallait toujours avoir égard à la personne qui souffre dans sa liberté, dans sa réputation, dans sa vie familiale et affective.
Ils nous ont appris qu'en se présentant devant un juge indépendant et libre, un homme ou une femme ne devait se sentir humilié, avant que justice soit passée.
En bref, les juges du 12 juillet 1906 nous ont laissé une leçon dont nous devons toujours nous souvenir : « Juger, c’est aimer et respecter son prochain. » "