Paroles de jurés (14)
Par Mme M., juré en 2013
Je vais essayer de transcrire ce que j'ai ressenti et retiré de ces quelques jours passés au sein d'une Institution qui me semblait jusqu'alors bien lointaine et pour tout dire intimidante! Elle le reste encore, mais je comprends mieux son fonctionnement et je reconnais avoir été favorablement impressionnée par le professionnalisme et la qualité humaine des personnes rencontrées.
Ayant exercé des fonctions de Bibliothèque il y a plusieurs années (dans le cadre de mon travail) à la Maison d'Arrêt .., quartier Femmes, je connaissais un peu le ressenti de ces personnes et la souffrance engendrée par l'enfermement et l'éloignement de leur famille.
Quand j'ai reçu la première lettre de la Mairie m'indiquant que j'avais été tirée au sort pour être juré, ma réaction a été plutôt un mélange de deux sensations : l'excitation d'avoir la chance de participer à quelque chose de totalement inconnu et qui ne m'arriverait sans doute qu'une fois dans la vie (j'ai 55 ans), et puis aussi la peur de ne pas être à la hauteur et d'avoir à juger un autre humain, sans en avoir la légitimité. J'ai donc hésité pour tenter de faire valoir une fragilité morale afin de ne pas affronter cette difficulté, puis j'ai finalement décidé de ne pas reculer, puisque que j'avais été désignée par le sort, et qu'il y avait un autre tirage au sort, auquel j'échapperais peut-être... Ce ne fut pas le cas, et j'ai mal dormi tout le temps qui m'a séparée du jour J.
La première journée est passée très vite entre la formation en accéléré qui nous a été patiemment donnée, avec beaucoup de clarté, et ensuite le tirage au sort qui, une nouvelle fois m'a été favorable, et donc premier procès.
Là cela est devenu plus compliqué pour moi, car j'ai eu tout de suite du mal à imaginer le présumé coupable, coupable, et je me suis vite aperçu que j'étais assez seule à avoir autant de doute. J'ai culpabilisé mais j'ai décidé d'aller jusqu'au bout de mon impression, puisque j'ai retenu, "en votre âme et conscience" et "le doute doit bénéficier à l'accusé".
J'ai trouvé que nous avions bien été entourés et que le rituel autour des différentes étapes du procès (sonnerie avant d'annoncer la Cour), les robes, etc était effectivement très important pour que chacun se sente (avocats, victimes, jurés, accusés) respecté dans ses démarches. Je pense, après coup, que la présence des Jurés est elle aussi importante, dans la mesure où elle oblige les professionnels à rester vigilants, à ne pas tomber dans la routine, grâce à la "naïveté" et l'attente des Jurés.
Bien entendu vous n'avez pas besoin de nous, vous pourriez juger sans nous et plus rapidement, mais cela vous amène à prendre le temps et c'est mieux je crois.
Chose que j'ai moins aimé, comme la majorité des Jurés, même si j'en ai été soulagée pour mon propre compte (un procès me semblait suffisamment éprouvant), c'est la récusation, que j'ai trouvé désagréable et un peu sec, souvent. Cela claquait comme un rejet envers des personnes qui se déplacent parce qu'elles ont fait l'effort d'accepter un tirage au sort, leur devoir, quoi !
Par contre je trouve, qu'à moins de manque d'effectif, ceux qui sont déjà passés ne devraient pas être désignés à nouveau, cela permettrait à chacun des présents de participer à un procès. Je trouve que cette possibilité devrait être offerte à chaque citoyen, pour mieux connaître le système judiciaire de son pays.
Ma vision de la Justice n'a pas vraiment changé : la seule pensée que l'erreur judiciaire puisse exister m'atterre même si je comprends bien que cela ne puisse être autrement. Autre chose aussi : je ne crois pas aux vertus de l'enfermement seul pour faire changer un délinquant. Je préfère celles de la prévention. Pour moi les prisons servent à protéger la société de délinquants dangereux et en ça sont utiles, mais servent très peu à la réinsertion d'individus souvent plus paumés que méchants. Je pense que des efforts sont faits mais les moyens restent insuffisants.
Pour les victimes, je trouve que les réparations uniquement financières ont quelque chose d'un peu indécent.
Voilà, je trouve qu'exercer le métier de juge professionnel est courageux, profondément humain, nécessaire, mais ils devraient avoir plus de moyens et de temps.
Une chose est sûre je n'oublierai jamais cette expérience.