Longues peines, le pari de la réinsertion (bibliographie)
Par Michel Huyette
Comme nous l'avons déjà souligné à plusieurs reprises ici, la description de la réalité par ses témoins directs nous en dit souvent bien plus que les discours théoriques. C'est en ce sens que le livre que nous propose Philippe LAFLAQUIERE aux éditions Milan (leur site) est tout particulièrement intéressant.
Ce livre est intitulé "Longues peines, le pari de la réinsertion"
Philippe LAFLAQUIERE, magistrat, a exercé pendant de nombreuses années, et jusqu'en 2011, comme vice-président chargé de l'application des peines au tribunal de grande instance de Toulouse. Il a eu entre ses mains le sort d'un grande nombre de personnes très lourdement condamnées, dont certaines à perpétuité.
L'auteur a choisi de raconter le parcours de certains de ces hommes qui, la plupart du temps puisqu'ils ont été condamnés à de longues peines, ont fait des choses horribles à un moment de leur vie. C'est ce qui fait l'exceptionnel intérêt de son livre. Il ne nous propose aucune réflexion théorique générale, ne cherche pas à nous imposer sa vision des choses, mais nous invite à découvrir ce qu'est la réalité de la réinsertion des condamnés à de longues peines, cela à partir d'histoires vraies.
Et il l'explique lui-même de la façon suivante :
"Meurtriers ou violeurs, braqueurs ou trafiquants de drogue : tous, à leur manière, ont laissé la désolation derrière eux. Qu'elle soit physique ou psychique, violente ou distillée, il y est toujours question de mort. Est-il souhaitable, est-il possible, à un moment donné, d 'offrir à certains d'entre eux une « seconde chance » en leur ouvrant la voie de la liberté ?
Ce pari, je l'ai fait, accordant ou favorisant, en dix années, la libération conditionnelle de quelque sept cents détenus, parmi lesquels une quarantaine de condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité: pas un instant, je ne l'ai regretté. Car au-delà des échecs et des déceptions, la confiance que j'avais placée en eux – cette amarre invisible et pourtant étonnamment solide-, dans une immense majorité, ils me l'ont bien rendue, travaillant au long des années de prison à leur réhabilitation sociale et personnelle, s'engageant sur les chemins de la culpabilité, avec la conscience aigüe de la souffrance provoquée par leur crime. Et démontrant plus tard, par leur comportement d'hommes libres, qu'il étaient parfaitement dignes de cette confiance.
Au fil de mes récits , J'ai souhaité retracer le parcours, visible ou plus intime, de quelques uns de ces condamnés de l'extrême, et vous proposer de pénétrer au coeur d'une « justice carcérale » totalement méconnue, celle à laquelle se consacrent les juges de l'application des peines et les services de probation. Une action complexe et passionnante menée non seulement au profit des détenus, mais de la société toute entière, comme un travail de chirurgie réparatrice."
Dans son livre, Philippe Laflaquière rappelle d'abord, utilement, que contrairement à ce qui est souvent énoncé les condamnés à de longues peines ne sortent pas tous à mi-peine, et que la fin de la période de sûreté ne signifie pas automatiquement l'accès à la liberté. Il commence même par nous rappeler les cas de ces hommes morts en prison après des dizaines d'année de détention. Et il nous précise que très régulièrement des aménagements de peine sont refusés parce que la personnalité du condamné ne le permet pas.
Il explique ensuite quels sont les critères de choix au moment des prises de décision, et notamment la dangerosité psychiatrique éventuellement encore présente, la reconnaissance, l'analyse et la compréhension de la gravité des actes commis, l'évolution de la personnalité, la volonté de se forger un autre avenir, un projet de réinsertion sociale et professionnel sérieux.
Après avoir souligné que plus le nombre d'années de prison purgées est important, plus la préparation à la sortie doit être réfléchie et adossée à un projet structuré et solide, il nous indique que cette réinsertion se prépare par étapes : sorties ponctuelles d'abord, semi-liberté ensuite (alternance de temps en prison et de temps en dehors), libération conditionnelle enfin si le bilan des deux premières étapes est suffisamment positif.
Et Philippe Laflaquière a eu à appliquer ces principes intangibles à quelques condamnés célèbres.
Comme l'écrit Denis Salas dans sa postface, le juge d'application des peines engage ces hommes à déposer les armes en rejetant la posture du déni, mais ne peut rien face à ceux qui ont tiré le rideau sur leur conscience. Et il ajoute que comme une ouvrière un juge d'application des peines est muni d'une aiguille et coud sans relâche le lien social, sachant que plus la déchirure est profonde, plus le travail est long et aléatoire.
Et Denis Salas conclut :
"L'incarcération est la réponse momentanée à une demande de réprobation de la société. Cette finalité bien connue n'est que le premier temps de la peine. Au-delà il y a le sens que nous lui donnons dans la durée. Sans lui, la peine ne serait qu'un mur définitif. Grâce à la médiation du juge, les murs tombent et les portes de la liberté s'ouvrent. A la société brisée d'hier il doit proposer le miroir de la société recomposée de demain. La réinsertion est l'âme cachée de la peine. En révélant son cheminement méconnu, ce livre redonne vie à un humanisme pénal oublié.".