Les violences sur les femmes et la légitime défense
Par Michel Huyette
Ces jours-ci les medias ont rendu compte d'un procès qui vient de se tenir devant la cour d'assises de Douai (cf. not. ici). Déjà l'accusée était une femme, ce qui rend le dossier singulier. En effet, il est peu assez fréquent que des femmes soient renvoyées devant une juridiction pénale pour avoir commis un crime (1). Il est encore plus rare que le crime reproché soit un assassinat, un meurtre, ou des coups mortels.
Mais l'affaire commentée est très inhabituelle pour encore une autre raison. En effet l'accusée a été jugée parce qu'elle a porté des coups à son mari et qu'il en est mort. Et si elle l'a frappé d'un coup de couteau dans le cou, c'est parce que son mari la maltraitait depuis longtemps et que ce soir là elle était une nouvelle fois agressée. Elle venait de lui dire son intention de le quitter et il a tenté de l'étrangler.
Elle l'est encore parce que l'avocat général a lui-même demandé à la cour d'assises (3 magistrats professionnels et 6 jurés) de l'acquitter, alors que le représentant du ministère public est la plupart du temps celui qui accuse et qui réclame une peine.
Le coup de couteau et ses conséquences étant incontestables, le moyen juridique utilisé pour arriver à la solution adéquate a été la notion juridique de légitime défense. Le code pénal prévoit en effet que : "N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte." (article 122-5, texte ici)
En clair, une personne violemment agressée et dont l'intégrité physique est menacée non seulement n'est pas tenue de se laisser faire, mais elle est même autorisée par la loi à user à son tour de violence pour faire cesser l'agression dont elle est victime.
La question délicate dans la légitime défense est celle de la proportionnalité. Bien sûr, il est hors de question qu'une personne menacée d'une gifle réponde par des tirs à l'arme automatique. Il serait même difficilement acceptable qu'en réaction à un seul coup de poing la personne l'ayant reçu réponde par un coup de couteau mortel parce que délibérément assené dans une partie sensible du corps.
Mais il existe bien des situations dans lesquelles l'agressé(e) ne sait pas jusqu'où va aller son agresseur. C'est le cas quand dans un même temps plusieurs gestes violents se succèdent, des moins sévères au plus redoutables, des anodins aux plus dangereux. Dans une telle configuration, on ne peut pas demander à la personne agressée d'attendre de recevoir un coup très lourd de conséquences pour sa santé avant de riposter. C'est pourquoi, par exemple, si une personne est menacée par un tiers qu'elle ne connaît pas et qui pointe sur elle un revolver, on ne saurait exiger qu'elle attende le premier tir pour se prémunir contre l'agression, quand bien même l'agresseur expliquerait ensuite que son arme n'était pas chargée. Car cela l'agressé ne le sait pas.
Une femme qui pendant des mois a été violentée par son compagnon mais a seulement été blessée doit elle attendre un geste pouvant être mortel pour réagir ? Pour nous rapprocher de l'affaire commentée, cette jeune femme devait-elle se demander si son compagnon lui serrerait le cou jusqu'à lui faire perdre connaissance ou pire la tuer ?
La cour d'assises a logiquement répondu non. Et pour cela elle a déclaré que cette femme, en donnant un coup mortel à son mari, a bien agi en état de légitime défense.
Il y aurait chaque année en France près de 200 femmes tuées sous les coups de leur compagnon. Depuis quelques années médecins et psychologues nous expliquent quel est leur long calvaire. Le mot terreur à sa place quand, comme l'a montré très subtilement une campagne d'information télévisée il y a quelques temps, la peur panique envahit une femme au seul bruit de la clé dans la serrure du logement, parce qu'elle sait trop bien ce qui se passera à la première contrariété, au premier incident. Et parce que son corps en porte encore les traces.
L'avocat général qui a requis l'acquittement à la cour d'assises de Douai, Luc Frémiot, était auparavant procureur de la République et avait mis en place toute une série de mesures pour endiguer autant que possible les ravages des violences intra-familiales : interpellation de tous les hommes violents dès les premières agressions, éloignement du domicile familial parfois immédiatement impose, obligations de soins, et si nécessaire sanctions sévères requises devant les juridictions pénales. Et les résultats sont apparemment encourageants.
La décision de la cour d'assises de Douai transmet un double message.
D'abord que la justice dispose des instruments juridiques pour que l'humanité se conjugue avec le droit pour conduire vers une décision légalement et humainement indiscutable.
Ensuite que les femmes battues doivent être assurées de l'écoute et de la compréhension de leur concitoyens. Cela ne résoudra pas tout et demain il y aura encore des violences. Mais certaines de ces femmes se sentiront plus fortes et, espérons le, trouveront dans cette solidarité réaffirmée le courage de dire non.
Avant qu'il ne soit trop tard.
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1. En 2009, sur 2756 crimes commis (homicides volontaires, coups ayant entraîné la mort, autres infractions contre les personnes, stupéfiants..), 131 ont été commis par des femmes.