Les sectes, l'emprise mentale, et le viol
Par Michel Huyette
Un dossier particulièrement délicat a récemment été soumis à une première cour d'assises puis à une cour d'assises d'appel. Le point de départ est le suivant : une femme, membre d'un groupe qu'elle qualifiera de secte après l'avoir quitté, porte plainte pour viol en affirmant avoir cédé à une demande de relation sexuelle avec le responsable à cause de l'emprise qu'il exerçait sur elle. Elle soutient donc qu'elle n'était pas véritablement consentante.
Nous ne nous arrêterons pas longuement ici sur la définition et les caractéristiques habituellement retenues pour définir une secte. Des informations peuvent être obtenues sur le site gouvernemental de la MIVILUDES (son site ici), organisme rattaché au premier ministre. Au demeurant, le visiteur de ce site constatera qu'il y est plus question de dérive sectaire que de secte.
La MIVILUDES, après avoir rappelé qu'il n'existe pas en droit français de définition de la secte et que "respectueux de toutes les croyances et fidèle au principe de laïcité, le législateur s’est toujours refusé à définir les notions de secte et de religion, afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d'opinion ou de religion garanties par les textes fondamentaux", définit la dérive sectaire de la façon suivante : "Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société."
Le dernière phrase du précédent paragraphe le montre, l'une des composantes de la secte est l'emprise mentale que le responsable exerce sur les adeptes. Il est souvent fait état d'adultes qui, tout en ayant leurs capacités intellectuelles intactes, sont de fait sous la dépendance de ce responsable, répondent à ses attentes, à ses injonctions, et ont perdu tout ou partie de leur esprit critique. Ce qui fait qu'ils se laissent emporter là où le responsable veut les conduire, sans être en capacité de résister.
Il arrive que le responsable du groupe sollicite les faveurs sexuelles de l'un des adeptes. Nous ne retiendrons pas aujourd'hui la problématique spécifique des relations sexuelles avec des mineurs mais aborderons seulement les relations sexuelles entre majeurs.
Une question ardue apparaît quand l'une des adeptes (ce pourrait être un homme mais c'est plus rare) porte plainte pour viol contre le responsable, et quand celui-ci répond que cette femme a volontairement accepté la relation sexuelle objet de la plainte. Un détour préalable par le droit devient alors indispensable.
Le viol est défini à l'article 222-23 (texte ici) du code pénal : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol". Le viol est souvent décrit comme étant la conscience d'imposer à autrui une relation sexuelle non consentie (1).
Le contenu de la notion juridique de contrainte a été précisé dans le code pénal par une loi de février 2010, qui a créé l'article 222-22-1 (texte ici), et en ces termes : "La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 (2) peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime". La contrainte est cette situation créée par l'homme qui a pour conséquence que la femme ne peut plus lui résister. Dans certains cas la menace sera aussi présente, et c'est cette menace physique ou psychologique qui sera à l'origine de l'état de contrainte.
Les spécialistes du droit ont tendance à considérer qu'il y a surprise quand le consentement est donné mais de façon erronée. On cite par exemple le cas d'un médecin qui, ayant été sollicité par une patiente pour un diagnostic de sa pathologie, prétend alors que c'est faux qu'il y a besoin d'une auscultation vaginale et anale, que la femme accepte parce qu'il est médecin et qu'au moment où il annonce ce qui va suivre elle n'a pas la capacité d'exercer un regard critique sur ces actes. Ou celui de l'homme qui profite de la maladie mentale d'une femme qui n'a plus conscience de ce qui se passe et qui de se fait ne s'oppose pas à la relation sexuelle sans toutefois y consentir en connaissance de cause.
Mais revenons à notre affaire.
Dans l'hypothèse qui nous intéresse, il ne semble pas prétendu qu'il y ait eu des violences au sens habituel du terme c'est à dire des violences physiques. Le juriste va donc probablement se tourner plutôt vers les notions de contrainte et de surprise.
Dans une secte, la femme adulte qui est sollicitée pour une relation sexuelle par le responsable sait très bien de quoi il s'agit. Dans le dossier récemment jugé il s'agissait en plus d'une femme insérée socialement, familialement et professionnellement, qui avait un diplôme supérieur et travaillait dans une administration de l'Etat.
Toujours d'après les journalistes, il n'aurait pas été prétendu par la femme qui a porté plainte que le responsable l'ait menacé de représailles physiques et encore moins ait eu des gestes violents pour obtenir qu'elle le rejoigne dans sa chambre. Il n'a pas non plus été indiqué que dans ce lieu de vie il existait des murs infranchissables ou des portails fermés à clé, ni un quelconque procédé empêchant un adepte de s'éloigner à n'importe quel moment de son choix.
Il est donc possible d'imaginer, factuellement, qu'au moment convenu cette femme quitte seule et volontairement sa chambre, traverse une partie des lieux, entre dans la chambre du responsable, se déshabille, entre dans son lit puis engage une relation sexuelle, cela sans que ce responsable fasse quoi que ce soit de particulier vers elle à ce moment là pour que la femme vienne vers lui. En apparence, elle est venue librement.
Mais devant la cour d'assises la femme a déclaré : "J'ai été prise tout de suite dans les mailles du filet, incapable d'analyser les choses par moi-même. Il nous expliquait qu'il fallait accepter la souffrance, dépasser nos limites pour sauver le monde. Il était Dieu, la vérité". Elle a ajouté pour souligner l'ampleur de l'emprise exercée sur elle : "On aurait pu tuer pour lui".
Alors y a-t-il viol quand une femme qui affirme avoir été sous l'emprise du responsable d'un groupe et avoir perdu toute capacité de s'opposer à lui prétend avoir accepté une relation sexuelle à cause de cette emprise et soutient que de fait elle n'était pas véritablement consentante ? Même si les comportements du responsable sont particulièrement suspects dans d'autres circonstances (doctrine, pratiques, demandes etc..), que se passe-t-il vraiment dans l'esprit de la femme lorsqu'elle le rejoint dans sa chambre ? Quelle est la part de libre arbitre, quelle est la part de sujétion?
L'une des difficultés pour juges et jurés est la part de subjectivité chez la plaignante. Car c'est elle et elle seule qui peut dire quel était exactement son état d'esprit quand elle a franchi la porte de la chambre du responsable. Or pour le juriste, il est difficile d'envisager une qualification de viol uniquement en fonction de la description que fait la femme de son état mental juste avant la relation sexuelle demandée. Il semble bien exclu qu'une poursuite repose sur le seul récit d'une plaignante. Sinon toute femme ayant consenti à une relation sexuelle pourrait prétendre dans un second temps y avoir été obligée.
Et puis de toutes façons, au final, il reste à définir la la notion juridique de référence si l'on envisage de retenir une qualification de viol. Dans un tel cas, y a-t-il contrainte morale ? Y a--t-il surprise ? Si oui sur le fondement de quels éléments factuels indiscutables ?
Une autre difficulté doit être envisagée, qui va au-delà de cette seule affaire et n'y existait peut-être pas.
Il est arrivé en effet que des personnes portent plainte pour viol non parce qu'elles ont été impliquées dans une relation sexuelle non consentie, mais parce que, après avoir accepté une telle relation, elles ont ressenti une telle gêne, voire une telle honte, que, consciemment ou non, pour modifier l'apparence de leur démarche, elles prétendent que la relation réellement consentie ne l'était pas.
Dans un dossier peu ancien également jugé par une cour d'assises il s'agissait de plusieurs adolescents (garçons) ayant eu des relations sexuelles avec un homme âgé d'une cinquantaine d'années. A l'issue des débats le viol est apparu certain pour quelques uns de ces jeunes gens.
Mais l'un d'entre eux, qui avait aussi porté plainte, avait rapidement déclaré aux policiers qu'il voulait voir ce que c'était une relation sexuelle avec un homme, qu'il avait entendu la proposition, avait hésité, puis l'avait acceptée parce qu'il était tenté par l'expérience. Et l'audience a montré que la plainte avait surtout permis à ce jeune homme d'éviter d'avoir à dire à ses proches : "oui j'ai accepté cette relation sexuelle avec cet homme bien plus âgé". La honte pour soi et pour ses proches, le remord, incitent parfois les intéressés à transformer a postériori la réalité quand elle dérange trop. La plainte dissimulait le consentement.
Le dossier soumis aux deux cours d'assises et concernant ce groupe qualifié de sectaire était particulièrement difficile à juger. Aucune issue juridique ne pouvait être écartée d'emblée, aucune solution n'était évidente.
Cela explique sans doute pourquoi la première cour d'assises a retenu le viol et non pas la seconde.
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1. M. Jacopin, Droit pénal spécial
2. Texte relatif aux agressions sexuelles en général