Les rebondissements de l'affaire DSK, entre vérités et mensonges
Par Michel Huyette
Voici quelques semaines, l'ancien directeur français du fonds monétaire inernational (FMI) était arrêté à New York, puis jeté plusieurs jours en prison, puis soumis à un contrôle judiciaire strict contenant, notamment, l'obligation de verser une caution très élevée (lire ici). Ceci parce qu'une femme de chambre de l'hôtel dans lequel il avait séjourné avait affirmé avoir été victime d'une agression sexuelle de sa part (lire ici). Les propos des avocats de l'intéressé incitent à penser que sa thèse est celle de la réalité d'un rapport sexuel, mais d'une relation consentie et non contrainte. Or la contrainte est l'un des éléments constitutifs du viol.
L'affaire semble avoir pris ces derniers jours un véritable virage. En effet le procureur de New York a annoncé lui-même, et il l'a écrit aux avocats de l'intéressé, que la plaignante avait par le passé fait à plusieurs reprises de fausses déclarations sur son histoire, ses conditions de vie dans son pays d'origine, ainsi qu'à l'occasion de sa demande de visa. Par ailleurs, dans sa vie personnelle, plusieurs éléments troublants ont été mis en avant : fausse déclaration d'enfant pour obtenir des avantages sociaux, possession de plusieurs abonnements téléphoniques, sommes d'argent très importantes ayant transité sur son compte en banque, liens avec des personnes emprisonnées pour trafic de drogue. Mais surtout elle aurait menti sur son activité juste après les faits dénoncés. Pire, elle aurait menti au jury chargé de décider de l'incuplation, ce qui pourrait, à son tour, lui valoir quelques soucis avec la justce américaine.
C'est pourquoi les medias, se précipitant sur ces éléments nouveaux, ont affirmé que la voie était grande ouverte à un arrêt des poursuites, autrement dit une reconnaissance de l'innocence de l'intéressé.
Ce qui se joue actuellement mérite quelques commentaires tant les enjeux nous interpellent.
1. Il est peut-être un peu hâtif d'affirmer que parce que la plaignante a menti sur certains points, elle a menti sur tout. Dans les affaires criminelles, les avocats qui défendent des clients en mauvaise posture utilisent traditionnellement cette méthode quand un témoin apporte des éléments en défaveur de leur client : trouver un point faible dans la déposition et tenter de faire croire que l'existence de ce point faible interdit de prendre en compte la totalité des propos. Un grand classique des juridictions correctionnelles.
Pourtant, en théorie, une personne qui va présenter une pluralité d'éléments peut se tromper voire mentir sur l'un d'entre eux sans que cela, inéluctablement, impose d'écarter les éléments qui ne sont pas efficacement contredit.
Cela s'applique aux affirmations d'une victime d'agression. Une telle victime peut par exemple se tromper sur un élément vestimentaire de son agresseur sans que cela remette en cause la réalité de l'agression. Il en va de même si cette victime pour une raison tenant à sa vie privée ment sur la raison pour laquelle elle se trouvait à tel endroit à tel moment.
Par ailleurs, même une femme ayant commis des actes de délinquance, ou étant en relation avec des personnes condamnées, peut évidemment être victime d'un viol. La protection contre les agressions ne doit pas être réservée aux femmes de bonnes familles ni à celles qui ont une personnalité et un parcours apparemment sans aspérité.
Il n'empêche que quand une plaignante est prise en flagrant délit de mensonge, cela suscite légitimement de la méfiance chez ses interlocuteurs, et sur l'ensemble de ses déclarations. L'effet bommerang est inévitable.
Toutefois, la difficulté principale ne découle pas directement de l'existence d'erreurs ou de mensonges dans les déclarations, mais de la notion de preuve suffisante dans les affaires de viol.
2. De nombreux journalistes ont repris à n'en plus finir la même phrase : "Les poursuites risquent d'être abandonnées car comme dans ces affaires tout repose sur la crédibilité de la plaignante, et comme la femme de chambre new-yorkaise a menti sur divers sujets, le procureur ne va plus pouvoir convaincre un jury qu'elle est crédible et donc que l'ancien directeur du FMI est coupable de viol".
C'est le "tout repose sur la crédibilité de la plaignante" qui choque, et qui bloque.
En effet, cela voudrait dire qu'une plainte pour viol par une femme qui n'a jamais été prise en défaut dans ses déclarations successives et dont la personnalité est sans tache peut suffire à entraîner la condamnation de l'agresseur désigné par elle.
Or il est un principe essentiel dans la justice : aucune condamnation ne peut reposer sur l'unique affirmation d'une personne se présentant comme victime, sans aucune autre preuve complémentaire, quand bien même la plaignante apparaît comme crédible.
Ecarter cette règle essentielle, ce serait oublier un peu vite ce que sont les êtres humains, à quel point leur personnalité est complexe, et combien les apparences peuvent être trompeuses. Souvenons nous que la jeune femme qui avait faussement prétendu avoir été victime d'agressions sexuelles dans un RER (lire ici) était membre des services de police, et pouvait à ce titre sembler particulièrement crédible. Tel n'était pourtant pas le cas.
C'est pourquoi, à la cour d'assises, une partie des débats doit être consacrée à l'examen de ces éventuels autres éléments susceptibles de venir donner du poids aux affirmations de la partie civile. Par exemple, et en piochant dans un dossier réel, un élement important, parmi d'autres, pourra être le fait que l'agresseur désigné a été vu s'arrêtant dans un endroit inhabituel et isolé avec sa jeune victime membre de sa famille, sans être capable de fournir la moindre explication plausible sur ce qui justifiait un arrêt à cet endroit.
3. En tous cas ce qui précède montre une fois encore que dans de telles affaires l'approche judiciaire doit être à la fois attentive et prudente. L'expérience et la connaissance des êtres humains qui, on le sait, sont capables de tout, imposent d'avoir en tête en permanence que de nombreux scénarios sont toujours possibles, et qu'il faut attendre que les enquêtes aient abouti à quelque chose de solide avant de commencer à envisager une conclusion, de quelque nature qu'elle soit.
4. Cela devrait faire totalement obstacle à la méthode utilisée par la police et la justice américaines. La police a, intentionnellement, fait passer l'ancien directeur du FMI devant les caméras de télévision menotté dans le dos et encadré de plusieurs policiers le tenant par les bras. La justice a le même jour décidé de son placement en détention provisoire.
Pourtant, des éléments importants ont été récoltés après ces deux phases. Et l'on a vu à la télévision le juge décidant de l'emprisonnement après avoir seulement entendu les affirmations verbales du procureur, sans la moindre vérification du contenu du dossier au moment du choix de la détention, et sans que l'intéressé puisse prononcer ne serait-ce que quelques mots.
Autrement dit, la méthode utilisée semble consister d'abord à traiter la personne soupçonnée comme un délinquant reconnu dangereux, et à vérifier, ensuite, si la plainte ayant conduit à l'arrestation est suffisamment étayée. Cela est quand même troublant, l'inverse pouvant sembler une méthode objectivement plus respectueuse de la présomption d'innocence, réaffirmée chez nous avec force dans l'article préliminaire du code de procédure pénale (texte ici).
5. La nécessaire prudence apparaît également en contradiction avec les mouvements de foule et les prises de position des medias. Pour ce qui concerne les Etats Unis, la télévision a montré ces dizaines d'employées d'hôtel criant devant le palais de justice de Manhattan et au passage de l'ancien directeur du FMI : "Honte à vous". Nous avons également tous vu la une d'un quotidien new-yorkais, certes spécialisé dans la médisance, ce gros titre à côté d'une image de l'intéressé : "Le pervers". Ces jours-ci le même journal s'en prend avec vigueur à la plaignante qu'il soupçonne même de se prostituer avec les clients de l'hôtel.
En France, considérant certaine la culpabilité de l'intéressé, des membres du parti au pouvoir ont vite affirmé que c'est tout le parti auquel appartient l'ancien directeur du FMI qui est discrédité sur le plan de la morale.... avant qu'un ministre de la majorité ne soit mis en examen lui aussi pour des agressions sexuelles (à propos desquelles, au demeurant, il n'a pas été fait allusion au discrédit de son propre parti....).
Sans compter les micro trottoirs et tous ces propos sur le fait que l'ancien directeur du FMI est évidemment coupable ou évidemment innocent. Selon l'humeur du moment, ou selon la direction du vent.
6. L'observation du passé, qui est pourtant un support essentiel de toute avancée pour l'avenir, ne semble jamais une préoccupation. Aucune leçon ne semble pouvoir être tirée des soubresauts judiciaires successifs alors que peuvent être citées par dizaines les affaires qui ont démontré que toute prise de position hâtive est injustifiée et dangereuse, et peut avoir des effets dévastateurs. Les affaires se suivent, les rapports s'entassent, les commission d'enquête se constituent et se séparent. Les observations judicieuses et les conclusions opportunes s'empilent les une sur les autres, mais finissent au fond d'un tiroir. On se promet de faire autrement et mieux la prochaine fois. Mais à la première occasion on oublie tout et on ouvre de nouveau la porte au n'importe quoi.
Outreau, les procédures en révision après les revirements des plaignants, les mises en cause virulentes suivies d'un non lieu ou d'un acquittement, tout devrait nous inciter à appréhender les affaires judiciaires avec prudence et retenue, surtout les plus spectaculaires dont on sait qu'elles déchaînent les passions les moins contrôlées.
Pourtant, il est à peu près certain que demain, à la première occasion, le même scénario se reproduira. Les medias et une partie de la population veulent du sang et des larmes.
Demain d'autres individus seront lynchés sur la place publique avant d'être innocentés. Et parmi les premiers à jeter les pierres ont trouvera ceux qui ont considéré Outreau comme un scandale et versé une larme sur les acquittés.
Tout en étant prêts, dès le lendemain, à crucifier sur le champ d'autres personnes soupçonnées sans attendre qu'il soit certain qu'elles sont vraiment coupables.