Les propositions de Terra Nova pour la justice
par Michel Huyette
Le groupe Terra Nova, qui se présente comme une "fondation progressiste" (son site), vient de publier un rapport consacré à la justice. Il est intitulé "La justice, un pouvoir de la démocratie" (texte ici). Les auteurs principaux en sont Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, et Daniel Ludet, conseiller à la cour de cassation (1).
Selon ces auteurs, le rapport "vise à repenser l’institution judiciaire dans l’ordre constitutionnel de notre pays".
Ils soulignent d'abord que la justice n'a jamais été considérée comme un pouvoir indépendant, notant que "Les déséquilibres actuels atteignent un niveau tel qu’ils mettent en cause les fondements même de notre démocratie. Face à ces déséquilibres, ce n’est pas d’une énième réforme judiciaire dont la justice française a besoin, c’est d’une grande réforme démocratique. C’est ce que propose Terra Nova : renverser la tendance actuelle et faire du pouvoir judiciaire, enfin, le troisième pouvoir de notre démocratie."
Ils émettent ensuite une série de propositions (2) :
- La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour en faire un Conseil supérieur de la justice.
Ils écrivent que "L’idée est de faire muter le Conseil supérieur de la magistrature en un Conseil supérieur de la Justice, gardien de l’indépendance de la justice. Le CSJ, autorité constitutionnelle indépendante, se verrait transférer l’intégralité des compétences de nomination et de gestion de la carrière des magistrats, du siège comme du parquet. Le CSJ détiendrait le pouvoir de sanction disciplinaire et se verrait rattacher l’Inspection générale des services judiciaires. Il aurait également compétence sur la formation et à ce titre tutelle sur l’Ecole nationale de la magistrature. Le CSJ serait enfin compétent en matière de budget et gérerait les dotations aux juridictions.
- La création d'un procureur général de la justice, indépendant.
Selon eux "Pour éviter les risques d’influence dans les affaires sensibles, ni tomber dans une justice à plusieurs vitesses, le ministre de la justice ne doit plus être en mesure de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet". "Le Garde des Sceaux ne doit plus être le chef de l’action publique. Terra Nova propose que ce rôle soit transféré à un Procureur général, magistrat choisi pour son indépendance, sa compétence et son intégrité, irrévocable, et dont le statut serait reconnu constitutionnellement. Lui seul disposerait du pouvoir hiérarchique sur les membres du parquet. Il dirigerait l’action publique, en application de la politique pénale définie par le gouvernement.".
Ils ajoutent que "Une fois l’indépendance du parquet garantie par la création d’un tel Procureur général, alors la suppression du juge d’instruction pourrait être mise en œuvre. Pour éviter un système à l’américaine où l’instruction est à charge, ce qui crée une justice à deux vitesses selon que le justiciable a les moyens ou non de financer sa défense, un principe d’impartialité des investigations serait introduit : les enquêtes et les instructions seraient menées à charge et à décharge."
Prolongeant le raisonnement ils s'interrogent : "Quel rôle resterait-il, dès lors, au ministère de la justice ? La gestion de la carrière des magistrats transférée au CSJ, l’action publique confiée au Procureur général de la République, le ministère serait recentré sur la définition de la politique pénale, à travers les circulaires générales qui continueraient d’être élaborées par le Garde des Sceaux. Le ministère de la justice demeurerait pleinement compétent sur ses autres fonctions actuelles : législation civile, pénale et commerciale ; administration pénitentiaire ; protection judiciaire de la jeunesse ; réglementation des professions juridiques ; coopération internationale ; instruction des demandes de grâce ; état civil, nationalité. ".
- La création d'une cour constitutionnelle
Pour les rédacteurs du rapport, "Latente depuis longtemps, la question de la création d’une vraie Cour constitutionnelle a été relancéeavec la révision constitutionnelle de juillet 2008, qui a introduit la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). (..) "Terra Nova propose d’achever la transformation de l’ordre juridique français avec la création d’une vraie Cour constitutionnelle, soit en donnant la possibilité de faire appel des non-saisines auprès du Conseil constitutionnel, soit en donnant à tous les juges le pouvoir de juger directement de la constitutionnalité des lois, avec la possibilité de faire appel devant la Cour constitutionnelle."
Le rapport considère par ailleurs que "Un autre moyen pour approcher (la légitimité des juges) est de nommer les principaux magistrats sur la base d’un accord transpartisan. C’est ce que propose le rapport : faire désigner les membres du Conseil supérieur de la Justice le Procureur général de la République ainsi que les juges constitutionnels par le Parlement, par un vote à la majorité des deux-tiers et après auditions publiques."
- La participation des citoyens à la justice
Les auteurs estimentt que "Juger « au nom du peuple français » nécessite une certaine proximité avec les citoyens. La justice ne doit pas rester dans sa « bulle », elle doit se mettre au diapason de la société française et être plus proche d’elle. Pour être légitime, elle doit créer un pacte de confiance avec les citoyens. En l’absence de représentation par le suffrage universel, Terra Nova plaide pour la participation directe des citoyens. Les citoyens peuvent d’abord participer à la gestion du service public de la justice. Le rapport propose des états généraux de la justice destinés à préciser les modalités de participation des citoyensusagers à la gestion des tribunaux et à l’élaboration d’une politique nationale de la justice. A l’issue, une « conférence nationale de la justice » serait le lieu de concertation permanent entre les acteurs du système judiciaire, les citoyens et leurs représentants (associations de victimes, associations familiales, protection des droits de l’homme, défense des étrangers, détenus…). Les tribunaux pourraient avoir le statut d’« établissements publics de justice », dotés de conseil d’administration avec présence des citoyens-usagers."
Et ils se prononcent "pour l’introduction de l’échevinage, aboutissant à un modèle de justice mixte où des juges citoyens, non professionnels, rendraient la justice aux côtés des juges professionnels."
Pour finir le rapport s'attarde sur la responsabilité des magistrats, en retenant que "A côté de la responsabilité-sanction, qui se met en place, la responsabilité-prévention est également à développer. Cela passe par la qualité du recrutement et de la formation. Cela passe aussi par l’émergence d’une déontologie judiciaire. Il faut certes sanctionner la faute, mais encore mieux prévenir la mauvaise décision ou le comportement inadéquat. L’idée est d’élaborer un recueil des principes de déontologie, sur le modèle des « Principes de déontologie judiciaire » du Canada, et de créer un Comité consultatif de déontologie, afin de donner un avis aux magistrats qui le solliciteraient." (3)
Que l'on soit en accord ou non avec chacune des propositions, ce rapport reste une contribution utile à un débat toujours en cours.
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1. Le rapport est issu d’un groupe de travail de Terra Nova présidé par Dominique Rousseau (professeur de droit constitutionnel) et Daniel Ludet (magistrat, conseiller à la Cour de cassation). Les rapporteurs du groupe sont Hélène Davo (magistrate) et Sonya Djemini-Wagner (magistrate). Le groupe était composé de : Dominique Blanc, Gaxuxe Lacoste, Agnès Martinel, Denis Salas, JeanPaul Jean (magistrats), Frank Natali (avocat) et Dominique Raimbourg (député).
2. Ce qui suit est extrait de la synthèse du rapport.
3. Sur ce dernier point lire aussi ici. et ici.