Les propositions de réforme pour la justice
Par Michel Huyette
Traditionnellement, les campagnes qui précèdent l'élection présidentielle voient les candidats énoncer leurs projets dans différents domaines. La justice est souvent concernée par divers engagements. Des propositions ayant été récemment formulées par la majorité actuelle, il peut sembler utile de s'y arrêter quelques instants.
- La limitation des libérations conditionnelles au tiers de la peine
Actuellement, une libération conditionnelle peut être accordée à un condamné lorsque la durée de la peine accomplie est au moins égale à la durée de la peine restant à effectuer (de façon réductrice on parle habituellement de libération conditionnelle à mi-peine). Pour les condamnés en état de récidive, la durée de la peine accomplie doit être égale au moins au double de la peine restant à accomplir (on parle de libération au tiers de la peine). (art. 729 du code de procédure pénale, texte ici)
La proposition émise est de conditionner toutes les libérations conditionnelles par l'exécution des deux tiers de la peine, ce qui correspondrait à la situation actuelle des récidivistes. Cela supposerait, si la distinction est maintenue, que le droit à la libération conditionnelle de ces récidivistes soit revu à la baisse, avec une durée d'exécution de peine proportionnellement encore plus importante, par exemple les trois quarts.
- La limitation des aménagements de peine aux condamnations à une année de prison
Actuellement, les peines de prison ferme prononcées par les juridictions pénales peuvent être directement aménagées, c'est à dire transformées en une autre peine sans passage des intéressés par l'incarcération, si elles sont d'une durée maximale de deux années. Le régime proposé est donc plus sévère. (lire aussi ici)
Pour ce qui concerne ces deux propositions, il n'y aurait pas grand chose à dire sinon qu'il s'agit de choisir où placer le curseur entre plus de sévérité et plus de souplesse dans l'exécution des peines. Aucun système n'est aberrant. Le débat, plus largement, est autour de la notion de décideur, autrement dit qui, au final, prononce la sanction effectivement réalisée (lire ici).
On ne peut s'empêcher toutefois de rappeler qu'il y a quelques années les aménagements ne concernaient que les peines initiales d'une durée maximale d'une année, que c'est la majorité actuelle qui a décidé de porter ce seuil à deux années, et donc que ce sont les mêmes qui aujourd'hui proposent de revenir au système qu'ils viennent de modifier. En terme de cohérence de la politique pénale cela peut laisser perplexe.
Par ailleurs, la loi a été modifiée pour porter le seuil à deux années non pas par faveur envers les condamnés, loin s'en faut, mais pour désengorger les prisons qui sont sur-occupées depuis très longtemps à tel point que la France est parfois condamnée par la CEDH pour des modes de détention considérés comme inhumains et dégradants (c'est le cas quand plusieurs détenus s'entassent dans une très petite pièce et que certains dorment à même le sol.. lire ici)
Réduire la seuil d'aménagement des peines pourrait donc avoir un effet mécanique inverse, puisqu'il y aura plus de condamnées à de la prison ferme devant effectuer leur peine. Il y aura encore plus de détenus dans les établissements pénitentiaires, ou plus de peine non mises à exécution dans un délai acceptable.
- Le droit d'appel des parties civiles
Depuis quelques années le "droit des victimes" est devenu une constante du discours politique (lire ici). En même temps, divers textes sont venus renforcer les droits des parties civiles, et le Conseil constitutionnel est lui-aussi intervenu pour élargir ces droits au regard du principe de l'équilibre entre les droits des parties (lire ici).
Il est aujourd'hui proposé d'octroyer à une victime le droit d'interjeter appel contre les décisions pénales des cours d'assises, celles prises dans le domaine de l'exécution des peines, et parfois même les décisions autour de la détention provisoire.
Sur le droit de faire appel d'une décision d'acquittement, nous avons déjà traité cette problématique (lire ici). La question semble moins celle du droit en lui même, controversé, que celle de la cohérence de la place de la partie civile tout au long de la procédure pénale. Est-il logique de permettre juridiquement à la partie civile de discuter la culpabilité du prévenu jusqu'au terme du procès, et de lui interdire de faire appel de la décision de la juridiction pénale sur cette même culpabilité ? Chacun appréciera.
Pour ce qui concerne la détention provisoire, il est plus délicat d'adhérer à la proposition émise d'octroyer le droit à une partie civile de contester, car c'est de cela qu'il s'agira, une décision refusant la mise en détention provisoire de la personne désignée comme auteur d'une infraction (on imagine mal la victime faisant appel pour que son agresseur placé en détention soit libéré...).
Il faut d'abord clarifier le vocabulaire, bien trop ambigü. Dans une procédure judiciaire, au départ, il y a une partie civile, non une victime. Pourquoi ? Parce qu'il arrive parfois, nous en avons déjà parlé, que des personnes portent plainte contre des tiers pour des infractions qui n'ont pas été commises. En clair, ce sont des plaintes mensongères. Et cela se produit aussi, même si c'est rare, en matière d'agressions sexuelles (lire encore ici).
La détention provisoire étant ordonnée avant le procès, donc avant que la personne poursuivie soit déclarée coupable ou relaxée (devant le tribunal correctionnel) ou acquittée (devant la cour d'assises), offrir le droit au plaignant de contester le maintien en liberté de la personne désignée aurait pour conséquence de donner un droit de faire appel sur une question aussi grave que celle de la privation de liberté à une personne dont il n'est pas encore admis, définitivement, qu'elle a bien été victime d'une agression de la part du tiers désigné.
On relèvera toutefois qu'il a été précisé récemment dans un discours public que ce n'est pas à la victime de choisir la sanction. La précision est utile car il est parfois avancé que la victime devrait aussi avoir le droit de former un recours sur le quantum de la peine. Mais l'appréciation de la sanction est, pour la victime, rendue subjective par le ressentiment légitime envers le condamné.
Je me souviens encore de cette jeune femme victime de viol qui a très calmement mais très fermement déclaré à la cour d'assises que la seule chose qu'elle attendait c'est que son violeur (reconnu comme tel en fin de procès et condamné) traverse la rue devant sa voiture pour qu'elle puisse l'écraser et le tuer. Même si on peut tout à fait comprendre cette haine persistante, cela ne justifie peut être pas de rétablir la peine de mort....
Il semble donc difficilement envisageable de permettre à des victimes dont le ressentiment est inéluctablement fort contre les auteurs d'infractions de rechercher désespérément la sanction la plus élevée possible. Au demeurant, sans appel du ministère public et de l'accusé condamné, il semble juridiquement délicat de prévoir une aggravation de la sanction sur le seul appel de la victime.
Il en va de même en matière d'exécution des peines.
La loi, qu'elle soit considérée comme appropriée ou non, fixe les seuils de mise en oeuvre des mesures telles la libération conditionnelle, et énumère les conditions pour qu'il soit fait droit aux demandes (textes ici).
Une victime, trouvant que la sanction initiale est déjà trop bienveillante, pourrait trouver insupportable, par principe et sans prendre en compte les critères légaux, que la libération conditionnelle vienne encore réduire le temps d'emprisonnement effectif. Or si d'un point de vue humain cela peut se comprendre, il est difficile d'envisager qu'une victime, au seul motif de son ressentiment contre un condamné, vienne s'opposer à l'application d'une mesure quand bien même celle-ci découle de la mise en oeuvre des critères légaux.
Rappelons enfin pour mémoire que l'avocat de la partie civile (et non la partie civile elle même) peut émettre un avis sur la mesure sollicitée par un condamné lors de l'audience du tribunal d'application des peines (texte ici) ou, en appel, de la chambre de l'application des peines (texte ici) Mais il ne s'agira à chaque fois que de simples observations émises avant les réquisitions du ministère public.
La victime (en supposant ici la véracité du fait dénoncé) doit être accueillie, entendue, et avoir une large place dans le processus pénal. Sa parole est très importante et elle doit être entendue à chaque fois que cela est raisonnablement envisageable.
Mais une victime doit rester à sa place de victime. La justice ne peut avoir pour objectif de répondre à ses souhaits, conditionnés par ce qu'elle a subi et l'éventuelle haine contre la personne poursuivie.
Au prétexte que pendant des années la situation a été excessivement déséquilibrée au détriment des victimes, il ne doit pas être créé un système inverse accordant à celle-ci des avantages injustifiés. Cela d'autant plus qu'une quête inlassable de la sanction la plus forte peut, en cas de réponses négatives successives, être de nature à augmenter à chaque fois les souffrances de ces victimes.
Les laisser tomber dans le piège ne serait probablement pas leur rendre service.