Les prisons sont-elles comme les bouteilles d'un litre (à propos de la surpopulation carcérale)
Par Michel Huyette
Cet article a été mis en ligne une première fois en août 2011. Une récente actualité justifie une nouvelle diffusion en août 2013
Si vous prenez une bouteille d'un litre et que vous avez une plus grande quantité de liquide, vous pouvez vous y prendre de n'importe quelle façon, vous n'arriverez pas à y faire rentrer plus que sa contenance maximale. Il vous faudra alors vous procurer une autre bouteille ou attendre que le contenu de celle dont vous disposez soit utilisé et qu'un nouvel espace disponible se libère. Si vous ne respectez pas cette règle la bouteille déborde, ou explose, et cela peut occasionner quelques dégâts.
Les prisons sont-elles comme des bouteilles d'un litre, où le contenant pénitentiaire est-il extensible à l'infini ?
Le fait est connu depuis de nombreuses années. Certaines prisons françaises sont en état de sur-effectif et accueillent bien plus de détenus que leur capacité théorique (1). Au 1er juillet 2011, le surpeuplement était de 32 % dans les maisons d'arrêt (40 % en Outre Mer).
Le procureur de la République de Dunkerque, constatant "le surencombrement de la maison d'arrêt de cette ville et des autres établissements pénitentiaires du ressort", a, le 25 juillet 2001, donné comme consigne aux services de police et de gendarmerie de "suspendre l'exécution des écrous jusqu'au 5 septembre 2011, sauf en ce qui concerne les condamnations pour des faits de nature sexuelle, les faits de violence en récidive, et les faits de violence sur les conjoints, les concubins et les enfants" (2).
Mais rapidement le ministère de la justice a imposé que cette note de service soit annulée, ce qu'a fait l'intéressé, hiérarchiquement soumis aux injonctions ministérielles.
Cette situation appelle quelques observations.
Plusieurs magistrats l'ont confirmé officieusement, une telle note de service n'est pas une première, des procureurs ayant déjà différé des incarcérations à cause de la surpopulation des établissements pénitentiaires de leur ressort. Et sans que cela n'entraîne de réaction de la hiérarchie judiciaire ou du ministère de la justice. La différence de traitement pourrait donc provenir de la médiatisation de cette situation récente, les cas antérieurs n'ayant pas forcément été rapportés dans la presse. Autrement dit on fait, mais on ne veut pas que cela se sache.
Il est d'autant plus difficile de comprendre la raison d'être de l'injonction du ministère de la justice qui a imposé au procureur de la République de rapporter son instruction que, comme l'ont signalé certains medias, le même ministère avait diffusé le 21 juillet 2011 une note intitulée "Synthèse nationale annuelle des conférences régionales semestrielles sur les aménagements de peine et les alternatives à l'incarcération tenues en 2010" (texte en ligne ici sur le site de Rue89).
Il y est écrit (page 4 de la synthèse) :
"Grâce à une collaboration renforcée entre l'administration pénitentiaire et le parquet, des protocoles ont été élaborés fixant un nombre d'écrous au-dessus duquel, compte tenu des capacités d'accueil des établissements pénitentiaires, les mises à exécution des peines d'emprisonnement étaient reportées ou la possibilité de procéder à des conversions de peine systématiquement étudiées."
Cela semble assez bien correspondre à la situation prise en compte par le procureur de Dunkerque.
Par ailleurs, la surpopulation pénitentiaire est source de dysfonctionnements d'une gravité indiscutable. La présence de trop nombreuses personnes dans un espace réduit augmente considérablement les risques d'incidents tant l'absence d'espace disponible et la permanente présence des autres génèrent de malaises, de tensions et de frustrations. D'où le risque élevé d'une multiplication des incidents pouvant aller jusqu'à des épisodes de violence grave.
Cela crée une dangerosité permanente non seulement pour les détenus mais aussi pour le personnel de surveillance, dont la sécurité se trouve compromise par ricochet.
Pour ces raisons on comprend aisément les craintes du représentant des personnels de direction de l'administration pénitentiaire qui a déclaré : "La situation est relativement critique. Nous sommes engagés dans des protocoles d'humanisation des conditions de détention, mais ce qui nous affole le plus, c'est cette promiscuité, cette dangerosité des détenus. Il y a en ce moment un pic exceptionnel d'agressions, que nous n'avons pas connu les autres années, et les personnels de surveillance souffrent de cette gestion des flux" (Le Monde du 3 août 2011).
Au-delà, imposer à des détenus de vivre dans des conditions de surpopulation humainement insupportables peut caractériser un traitement inhumain ou dégradant au sens de la convention européenne des droits de l'homme. Au demeurant, cela a déjà entraîné, et à plusieurs reprises, la condamnation de l'Etat français par les tribunaux administratifs. (lire ici, ici)
Il ne semble donc pas immédiatement aberrant, quand ponctuellement et localement la surpopulation en prison est telle qu'il ne peut pas être raisonnablement envisagé de l'augmenter, de retarder de quelques jours ou semaines l'arrivée de nouveaux condamnés dans l'attente que quelques places se libèrent. Cela semble même exigé par la recherche d'un équilibre indispensable entre exécution nécessaire des peines et prévention des violences en détention.
Au final, le ministère a enjoint à un procureur de la République de rapporter une note de service, limitée dans le temps et ne concernant pas toutes les infractions, qui était dans le droit fil des pratiques générales du moment acceptées par tous en interne, qui était de nature à limiter les tensions si ce n'est les incidents graves dans les lieux de détention, et qui permettait de préserver un minimum d'humanité et de respecter les normes juridiques fondamentales en vigueur.
Quelques explications complémentaires sur les raisons d'être de la réaction du ministère n'auraient pas été inutiles....
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1. Pour des statistiques très précises, vous pouvez consulter ce document, notamment pages 30 svts pour ce qui concerne le surpeuplement au 1er juillet 2011.
2. Document publié par Le Monde du 29 juillet 2011.