Les juges peuvent-ils avoir tort de respecter la loi ? (à propos des étrangers arrêtés en Corse et remis en liberté)
Par Michel Huyette
Plusieurs organisations professionnelles de magistrats ont, ces derniers jours, vivement réagi après les propos tenus par un chroniqueur (Mr Zemmour) sur une chaîne de radio (RTL).
On sait qu'après l'arrestation de quelques dizaines de clandestins sur les plages du sud de la Corse, le gouvernement a ordonné leur transfert dans divers centres de rétention et déclenché des procédures d'éloignement.
Pour des raisons strictement juridiques, tous les magistrats saisis, sans exception, tant des juridictions judiciaires que des juridictions administratives, ont constaté que la procédure mise en place par le gouvernement n'était pas conforme aux règles juridiques en vigueur, et ont, en conséquence, mis fin aux mesures en cours.
On note en passant que le gouvernement n'a fait appel contre aucune de ces décisions, ce qui suppose qu'il les a considérées juridiquement indiscutables. En plus, le ministre de l'immigration a indiqué avoir décidé d'annuler les procédures engagées, confirmant une seconde fois que la voie choisie menait légalement à une impasse.
A priori rien de très extraordinaire.
Mais voilà que dans sa chronique radiophonique, le journaliste a très violemment dénoncé les décisions judiciaires, et, surtout, mis personnellement en cause les magistrats. Après avoir fait allusion au débat sur la garde à vue (1), il a notamment parlé de juges qui "dénichent facilement l'erreur de procédure qui ruinera tout le travail policier", qui "défont par leur pinaillage juridique ce que les policiers ont fait", qui "se drapent dans le respect du droit et défendent une morale droit de l'hommiste", qui "font jouer les conventions européennes contre le droit national alors qu'ils jugent au nom du peuple français", qui "mènent une guérilla contre une loi démocratiquement votée et voulue par les français", qui sont "les alliés objectifs des mafias de passeurs et des patrons exploiteurs de main d'peuvre bon marché", qui "pourrissent la vie des classes populaires".
En présence de tels propos, je suis toujours partagé.
Faut-il retenir plutôt leur excès manifeste et leur absurdité pour les oublier aussitôt entendus ? Il est souvent plus utile d'ignorer la bêtise et la mauvaise foi manifeste que de les commenter.
Ou bien faut-il essayer d'attirer l'attention de nos concitoyens sur ce qui est sous-jacent à un tel discours particulièrement dangereux pour les fondements de notre démocratie ?
La seconde option me semble aujourd'hui préférable.
Que nous dit ce journaliste :
1. Les juges ont parfois tort d'appliquer la loi.
2. Bien qu'elle fasse juridiquement partie de notre droit interne les juges doivent ignorer la convention européenne des droits de l'homme quand elle interdit au pouvoir de mener la politique qu'il veut.
3. Quand le gouvernement vote une loi les juges ne doivent jamais y trouver à redire quelle que soit la régularité de cette loi.
4. La fin, en matière d'immigration ou de délinquance, justifie tous les moyens y compris la violation par le pouvoir politique de la législation applicable.
Autrement dit, ce journaliste nous propose une société dans laquelle le respect des droits des citoyens, de tous les citoyens, n'est plus assuré par des juges indépendants mais est uniquement soumis au bon vouloir du pouvoir politique.
C'est ce qui s'appelle le totalitarisme.
La question n'est pas de savoir si des clandestins repérés sur une plage Corse doivent rester en France ou quitter notre territoire. Les juges sont indifférents à cela. Leur métier n'est pas de définir les règles mais de les appliquer.
Ce que chacun des français doit bien avoir en tête, c'est que si les juges ne sont plus autorisés à "pinailler" avec la loi, ce qui veut dire la respecter à la lettre, demain ce seront nos droits qui ne seront plus respectés.
Pourtant, il n'est pas certain que le jour où ce journaliste comparaîtra devant un tribunal et voudra faire respecter ses droits, il accepte que le juge dont il attend une solution favorable refuse d'entendre ses arguments juridiques et fasse, pour des raisons politiques, une application approximative de la législation en vigueur.
Je veux le respect du droit pour moi, mais pas pour les autres. Et au diable la démocratie. Voici la société rêvée par ce journaliste complaisamment relayé par une stadion de radio.
Reste un dernier détail.
En France le Président de la République est le gardien de l'indépendance des juges.
La ministre de la justice s'est engagée lors de sa prise de fonction à assurer la protection des juges injustement pris à partie.
Jusqu'à ce jour aucun des deux ne s'est exprimé sur les propos de ce journaliste malgré la demande des associations de magistrats.
Sont-ils tous en vacances ?
Ou sont-ils quelque peu satisfaits qu'un journaliste dise tout haut ce qu'ils ne sont pas loin de penser tout bas ?
---------
1. Il semble bien que le régime juridique actuel de la garde à vue, notamment en ce qu'il ne permet pas à un avocat d'assiter son client dans les moment essentiels dont font partie les interrogatoires, n'est pas conforme à la convention européenne des droits de l'homme, ceci d'après les termes d'une récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme.
A lire aussi : sur la législation européenne, sur l'habeas corpus
On sait qu'après l'arrestation de quelques dizaines de clandestins sur les plages du sud de la Corse, le gouvernement a ordonné leur transfert dans divers centres de rétention et déclenché des procédures d'éloignement.
Pour des raisons strictement juridiques, tous les magistrats saisis, sans exception, tant des juridictions judiciaires que des juridictions administratives, ont constaté que la procédure mise en place par le gouvernement n'était pas conforme aux règles juridiques en vigueur, et ont, en conséquence, mis fin aux mesures en cours.
On note en passant que le gouvernement n'a fait appel contre aucune de ces décisions, ce qui suppose qu'il les a considérées juridiquement indiscutables. En plus, le ministre de l'immigration a indiqué avoir décidé d'annuler les procédures engagées, confirmant une seconde fois que la voie choisie menait légalement à une impasse.
A priori rien de très extraordinaire.
Mais voilà que dans sa chronique radiophonique, le journaliste a très violemment dénoncé les décisions judiciaires, et, surtout, mis personnellement en cause les magistrats. Après avoir fait allusion au débat sur la garde à vue (1), il a notamment parlé de juges qui "dénichent facilement l'erreur de procédure qui ruinera tout le travail policier", qui "défont par leur pinaillage juridique ce que les policiers ont fait", qui "se drapent dans le respect du droit et défendent une morale droit de l'hommiste", qui "font jouer les conventions européennes contre le droit national alors qu'ils jugent au nom du peuple français", qui "mènent une guérilla contre une loi démocratiquement votée et voulue par les français", qui sont "les alliés objectifs des mafias de passeurs et des patrons exploiteurs de main d'peuvre bon marché", qui "pourrissent la vie des classes populaires".
En présence de tels propos, je suis toujours partagé.
Faut-il retenir plutôt leur excès manifeste et leur absurdité pour les oublier aussitôt entendus ? Il est souvent plus utile d'ignorer la bêtise et la mauvaise foi manifeste que de les commenter.
Ou bien faut-il essayer d'attirer l'attention de nos concitoyens sur ce qui est sous-jacent à un tel discours particulièrement dangereux pour les fondements de notre démocratie ?
La seconde option me semble aujourd'hui préférable.
Que nous dit ce journaliste :
1. Les juges ont parfois tort d'appliquer la loi.
2. Bien qu'elle fasse juridiquement partie de notre droit interne les juges doivent ignorer la convention européenne des droits de l'homme quand elle interdit au pouvoir de mener la politique qu'il veut.
3. Quand le gouvernement vote une loi les juges ne doivent jamais y trouver à redire quelle que soit la régularité de cette loi.
4. La fin, en matière d'immigration ou de délinquance, justifie tous les moyens y compris la violation par le pouvoir politique de la législation applicable.
Autrement dit, ce journaliste nous propose une société dans laquelle le respect des droits des citoyens, de tous les citoyens, n'est plus assuré par des juges indépendants mais est uniquement soumis au bon vouloir du pouvoir politique.
C'est ce qui s'appelle le totalitarisme.
La question n'est pas de savoir si des clandestins repérés sur une plage Corse doivent rester en France ou quitter notre territoire. Les juges sont indifférents à cela. Leur métier n'est pas de définir les règles mais de les appliquer.
Ce que chacun des français doit bien avoir en tête, c'est que si les juges ne sont plus autorisés à "pinailler" avec la loi, ce qui veut dire la respecter à la lettre, demain ce seront nos droits qui ne seront plus respectés.
Pourtant, il n'est pas certain que le jour où ce journaliste comparaîtra devant un tribunal et voudra faire respecter ses droits, il accepte que le juge dont il attend une solution favorable refuse d'entendre ses arguments juridiques et fasse, pour des raisons politiques, une application approximative de la législation en vigueur.
Je veux le respect du droit pour moi, mais pas pour les autres. Et au diable la démocratie. Voici la société rêvée par ce journaliste complaisamment relayé par une stadion de radio.
Reste un dernier détail.
En France le Président de la République est le gardien de l'indépendance des juges.
La ministre de la justice s'est engagée lors de sa prise de fonction à assurer la protection des juges injustement pris à partie.
Jusqu'à ce jour aucun des deux ne s'est exprimé sur les propos de ce journaliste malgré la demande des associations de magistrats.
Sont-ils tous en vacances ?
Ou sont-ils quelque peu satisfaits qu'un journaliste dise tout haut ce qu'ils ne sont pas loin de penser tout bas ?
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1. Il semble bien que le régime juridique actuel de la garde à vue, notamment en ce qu'il ne permet pas à un avocat d'assiter son client dans les moment essentiels dont font partie les interrogatoires, n'est pas conforme à la convention européenne des droits de l'homme, ceci d'après les termes d'une récente décision de la Cour européenne des droits de l'homme.
A lire aussi : sur la législation européenne, sur l'habeas corpus