Le mariage homosexuel, la CEDH et le conseil constitutionnel
Par Michel Huyette
Cet article a été mis en ligne une première fois en janvier 2011. Le débat autour de cette problématique étant relancé en ce milieu d'année 2012, il est de nouveau proposé aux visiteurs.
L'une des revendications des couples homosexuels est le droit de se marier, dans le même cadre juridique que les couples hétérosexuels. Leur combat est notamment judiciaire, et les plus hautes instances françaises et européennes ont été successivement saisies.
Rappelons brièvement les termes du débat juridique.
Même si cela n'est pas écrit exactement en ces termes dans le code civil, le mariage est manifestement, dans notre loi, l'union d'un homme et d'une femme. L'article 144 (texte ici) mentionne que "L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant 18 ans". Il est aussi écrit au dernier aminéa de l'article 75 (texte ici) que le jour de la cérémonie l'officier d'Etat civil reçoit la déclaration des personnes concernées "qu'elles veulent se prendre pour mari et femme". De la même façon, l'article 163 (texte ici) interdit le mariage "entre l'oncle et la nièce, la tante et le neveu". A l'inverse l'article 515-1 (texte ici) relatif au PACS précise que c'est un contrat conclu "par deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de même sexe".
C'est donc conformément au droit que la cour de cassation a jugé que "selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme" (décision du 13 mars 2007, lire ici).
Se trouvant devant une impasse au niveau national, les couples homosexuels ont d'abord tenté d'obtenir gain de cause auprès de la cour européenne des droits de l'homme.
Dans une décision du 24 juin 2010 (décision ici, en anglais) (1), la CEDH, constatant l'absence de consensus entre les différents Etats européens, soulignant les connotations sociales et culturelles qui sous tendent tout débat autour du mariage, a refusé de considérer qu'en interdisant le mariage entre deux personnes du même sexe un Etat viole un droit reconnu par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Ne baissant pas les bras, les intéressés ont utilisé une autre méthode : la QPC (question prioritaire de constitutionnalité, cf ici et cf. ici). C'est la nouvelle procédure qui permet à un justiciable français, à qui on oppose une loi française, de demander la saisine du conseil constitutionnel afin que celui-ci dise si cette règle est ou non conforme à notre constitution.
C'est la cour de cassation qui a accepté de transmettre au conseil constitutionnel une QPC demandée par deux femmes qui avaient comme projet de se marier. Dans un arrêt du 16 novembre 2010 (décision ici) elle a écrit que lui sont posées deux questions qui "font aujourd'hui l'objet d'un large débat dans la société, en raison, notamment, de l'évolution des moeurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers", à savoir : "Les articles 144 et 75, dernier alinéa, du code civil sont-ils contraires, dans leur application, au préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 en ce qu'ils limitent la liberté individuelle d'un citoyen français de contracter mariage avec une personne du même sexe ?" et "Les articles 144 et 75 du code civil sont-ils contraires, dans leur application, aux dispositions de l'article 66 de la Constitution de 1958 en ce qu'ils interdisent au juge judiciaire d'autoriser de contracter mariage entre personnes du même sexe".
Dans sa décision du 28 janvier 2011 (décision ici), le conseil constitutionnel, à son tour, oppose une fin de non recevoir. Il retient que :
"(..) aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de l'article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit",
"l'article 66 de la Constitution prohibe la détention arbitraire et confie à l'autorité judiciaire, dans les conditions prévues par la loi, la protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les dispositions contestées n'affectent pas la liberté individuelle ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de l'article 66 de la Constitution est inopérant",
"la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel",
"le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ; que le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l'article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie familiale normale",
"l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté".
Traduction : la loi française actuelle n'est pas contraire à la constitution, des règles différentes peuvent être appliquées à des situations différentes, mais au final il appartient pour l'avenir au législateur (gouvernement et Parlement) de dire si une différence de régime, en ce qui concerne le mariage, doit être maintenue en fonction du sexe de ceux qui veulent s'unir dans ce cadre juridique.
Cette décision doit être approuvée, mais pas pour des raisons de fond.
Il est certain que lors de sa rédaction et de son adoption en 1958, les auteurs de la constitution (texte ici) n'avaient pas en tête le mariage de personnes du même sexe. Cette question, à l'époque, n'aurait probablement jamais été posée ou, si elle l'avait été, aurait entraîné au sein de la population et des élus des réactions très majoritairement opposées si ce n'est offusquées.
Surtout, la question du mariage entre personnes du même sexe n'est pas une question juridique. Autour d'une telle problématique, le droit ne peut servir qu'à formaliser des choix qui sont des choix de société, qui intéressent chacun d'entre nous, et qui ont des composantes humaine, psychologique, sociologique.
La réflexion sur un tel sujet ne doit pas commencer par l'examen critique du cadre juridique, mais par une interrogation sur ce qu'est, aujourd'hui, le mariage, dans toutes ses composantes. Seule la réponse à cette question peut aider à résoudre la seconde qui concerne la mariage de personnes du même sexe.
Par ailleurs, il faut prendre le temps de mesurer et de comprendre où en est l'évolution des mentalités dans notre pays, afin qu'une éventuelle évolution du cadre juridique n'intervienne ni trop tôt et trop brutalement, ni trop tard au détriment des intéressés. On sait, par exemple, qu'il y a quelques dizaines d'années toute forme de lien officiel entre des personnes du même sexe était considérée par de nombreux français comme une monstruosité et la première étape d'un cheminement qui allait permettre à des homosexuels, vus comme déviants, de former un couple reconnu et, pire, d'élever des enfants. Aujourd'hui le PACS est entré dans les moeurs, concerne beaucoup plus les hétérosexuels que les homosexuels (lire ici) (2), et plus personne n'y fait attention.
Ce n'est donc pas à onze personnes (liste ici), quelle que soit leur domaine de compétence, de prendre parti, dans un sens ou un autre, sur un fait de société sur lequel elles n'ont aucune légitimité pour se prononcer, même en se réfugiant éventuellement derrière l'analyse de la constitution.
Il en va de même de tous les juges.
Il est essentiel dans un pays démocratique que les choix essentiels de société soient des choix du peuple, soit directement sous forme de référendum quand cela est possible, soit, plus ordinairement, par le biais de ses représentants que sont les députés, avec l'intervention des sénateurs.
C'est bien pourquoi, que l'on soit pour ou contre le mariage homosexuel, il faut se féliciter des décisions de la CEDH et du conseil constitutionnel.
Même si, c'est vrai, elles ne font pas avancer le problème d'un pouce....
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1 Cette décision n'existe pas en version française. Une analyse intéressante se trouve sur le site du CREDOF. cf ici.
2 S'ils étaient 25 % des "pacsés" en 2000, les homosexuels n'étaient plus que 7 % en 2006.