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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


   La démarche du Parquet de Paris qui vient d'ouvrir une information judiciaire concernant la société France Telecom pour harcèlement moral est importante à plus d'un titre. 

  Elle l'est d'abord parce que c'est, semble-t-il, la première fois qu'une enquête est ouverte concernant le fonctionnement d'une entreprise dans son ensemble. Elle l'est ensuite par son objet, le harcèlement éventuel des salariés.

  L'infraction de harcèlement moral est définie à l'article 222-33-2 du code pénal, de la façon suivante :

  "Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende."

  Le harcèlement moral est également défini dans le code du travail à l'article L 1152-1, en des termes semblables :

  "Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel."

  Dans le champ du droit du travail, les dossiers soumis aux juridictions spécialisées (conseil de prud'homme, chambre sociale de cour d'appel, chambre sociale de la cour de cassation) concernent la plupart du temps des salarié(e)s qui se plaignent, individuellement, d'un comportement à leur égard qu'ils estiment anormal et constitutif d'un harcèlement.

  Le harceleur peut-être soit le dirigeant de l'entreprise, soit un membre de l'encadrement, soit un(e) collègue (1).  Le salarié qui s'estime victime doit établir l'existence de faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement, à charge pour l'employeur de rapporter la preuve que les comportements critiqués sont raisonnables et justifiés.

  La chambre sociale de la cour de cassation a dans une période récente apporté d'intéressantes  et importantes précisions.

  Elle a rappelé le 9 décembre 2009 que, conformément à la définition légale, il devait y avoir des agissements répétés, un fait unique critiquable, même maintenu dans le temps, ne rentrant pas dans les prévisions de la loi.

  Après avoir rappelé le 1er juillet 2009 que "l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral", elle a aussi précisé le 3 février 2010 que tout employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat (2) et que lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par un collègue, ce salarié peut considérer que son contrat de travail a été rompu aux torts de son employeur (il perçoit alors les mêmes sommes que pour un licenciement injustifié) quand bien même l'employeur " aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements".

  Dans un arrêt important du 28 janvier 2010, la cour de cassation a affirmé que : "le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel" (cf. aussi 16 décembre 2009).

  Cela signifie que le harcèlement moral n'est pas conditionné par une intention de nuire de son auteur. Ce sont des comportements objectifs qui permettent de le retenir, quand ceux-ci ont eu des conséquences néfastes sur la santé du salarié victime.

  Cette jurisprudence semble conforme au texte précité puisque celui-ci retient deux hyptohèses, forcément distinctes, d'agissements ayant soit pour objet (c'est l'intention) soit pour effet (c'est l'absence d'intention) d'altérer la santé du salarié.

  Dans une décision complémentaire des précédentes, en date du 10 novembre 2009 la cour de cassation a ajouté que : "peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (cf. aussi 3 février 2010).

  En clair, l'organisation du travail au sein d'une entreprise, en elle-même et si elle est à l'origine de la dégradation de la santé des salariés, peut caractériser un harcèlement moral au sens du droit du travail et, sans doute de la même façon puisque les éléments constitutifs sont les mêmes, au sens du droit pénal.

  C'est ici une limite très claire au pouvoir de gestion et de management de l'employeur. Autrement dit, oui à l'autonomie du décideur dans la définition de la politique de l'entreprise, mais non aux méthodes susceptibles de porter atteinte à la santé des salariés.

  Il s'agit d'une avancée majeure dans la définition du droit de la protection de la santé des salariés.

  Pour en revenir à l'enquête qui va être diligentée à l'intérieur de France Telecom, la nouveauté est, également, qu'il s'agit de la voie pénale.

  Quand un salarié va devant la juridiction prud'homale pour faire reconnaître un harcèlement, il doit apporter lui-même la preuve des faits qu'il allègue. Et c'est là le principal obstacle auquel se heurtent les intéressés. Il n'est pas simple d'obtenir de salariés encore en poste, et qui peuvent craindre des mesures de rétorsion, des témoignages susceptibles de faire condamner l'employeur. Et les méthodes de management ne sont pas toujours formalisée dans des écrits pouvant être produit en justice.

  C'est pourquoi il est certain, même si le phénomène est impossible à quantifier, que de nombreux salariés réellement victimes de harcèlement moral soit ne saisissent pas le conseil de prud'hommes, soit intentent une action et perdent leur procès par manque de justificatifs de ce qu'ils allèguent.

  A l'inverse, dans une procédure pénale, c'est le ministère public ou le juge d'instruction s'il est saisi, qui dirigent les investigations et peuvent mettre en oeuvre des recherches de grande ampleur. Cela permet alors de faire apparaître des pratiques que des salariés, isolément, n'ont pas les moyens de démontrer.

  Notons par ailleurs que chez France Telecom, et d'après les medias, un rapport très critique sur les méthodes de management a été rédigé par un inspecteur du travail (3) qui a souligné des pratiques anormalement dures envers les salariés dans le but, tel que cela est rapporté par certains journalistes, de déprimer des salariés pour les inciter à quitter l'entreprise alors qu'une réduction importante des effectifs éait souhaitée. 

  L'enquête pénale fera peut-être apparaître un lien entre de telles pratiques, si elles ont réellement existé, et les suicides de salariés de cette entreprise au cours de l'année écoulée et que les medias ont également rapporté.

  Reste un dernier point à aborder.

  Si le déclenchement d'une vaste enquête pénale chez une première grande entreprise est susceptible de permettre de mieux connaître ce qui s'y passe exactement, il ne faut pas oublier l'envers de la médaille.

  Comme je l'avais déjà souligné dans un précédent article, cela fait de nombreuses années que les clignotants sont au rouge. Le phénomène est connu, les conséquences analysées depuis suffisamment longtemps pour que l'on soit autorisé à penser que les méthodes les plus dures de management, qui ont des conséquences dramatiques sur la santé physique et psychologique de certains salariés, sont mises en place en parfaite connaissance de cause des enjeux par des organes dirigeant qui ne peuvent pas ignorer les risques qu'ils prennent en terme de santé des salariés (4).

  Les responsables seront donc probablement interrogés en ce sens si les  pratiques dénoncées par les salariés et l'inspection du travail sont avérées.

  Il n'est pas exclu que les bonus, primes, et autres suppléments de salaires aux montants parfois astronomiques que perçoivent certains dirigeants des plus grandes entreprises constituent une sorte de voile qui ne leur permet plus, quand ils ont les yeux rivés sur les courbes de rentabilité et les dividendes à distribuer aux actionnaires, d'avoir en tête que quelques étages en dessous des  êtres humains souffrent de n'être plus considérés comme la première richesse de l'entreprise.

 

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1. Exemples récents de décisions ayant retenu l'éventualité d'un harcèlement moral :  31 mars 2010, 31 mars 2010 (2), 31 mars 2010 (3), 24 mars 2010, 9 février 2010, 27 janvier 2010, 16 décembre 2009, 16 décembre 2009 (2), 15 décembre 2009,

2. "de résultat" signifie que l'employeur est toujours responsable quand la sécurité d'un salarié est atteinte à cause d'un dysfonctionnement interne à l'entreprise, par exemple le comportement d'autres salariés.

3. Le rapport est accessible en cliquant ici.

4. Un accord national interprofessionnel sur le harcèlement au travail a été signé le 26 mars 2010.Il transpose un accord cadre européen en date du 25 décembre 2006. Cela montre une fois de plus, si besoin était, que personne ne peut ignorer ce qu'il en est dans ce domaine depuis des années.


 

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A
la répression du harcèlement moral au travail est difficile à mettre en œuvre, les mesures de prévention sont fondamentales : voir : La prévention du harcèlement moral au travail : http://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/psychologie-du-travail/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=163&dossid=403
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V
<br /> <br /> article plus qu'intéressant...<br /> <br /> <br /> je me permets d'ailleurs d'ajouter un lien vers celui-ci sur mon blog<br /> <br /> <br /> Je vous propose également un article un peu plus centré sur la question qui concerne France Telecom<br /> <br /> <br /> Le journaliste de France info Matthieu Aron donnait l'information dès jeudi soir : le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire suite aux suicides chez France Télécom.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il y a eu une plainte pour harcèlement moral et mise en danger de la vie d'autrui déposée par le syndicat SUD mais aussi et peut-être surtout un rapport accablant de l'inspection du travail (rendu public par rue89) adressé le<br /> 4 janvier au parquet de Paris.<br /> Celui-ci montre notamment comment les responsables de France Télécom se sont fixés pour objectif le départ de 22000 personnes du groupe,les pressions sur le personnel ainsi que les dizaines<br /> d’alertes venues des médecins du travail, des messages alarmistes sur la santé mentale d’une partie des salariés jamais pris en compte... la suite est là<br /> <br /> <br /> <br />
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