Le droit des femmes d'accoucher "sous x" et le droit des enfants de connaître leur mère
Par Michel Huyette
A l'occasion d'une nouvelle QPC (lire ici et la rubrique dédiée de ce blog), le Conseil Constitutionnel vient d'aborder une problématique particulièrement délicate et qui, souvent, génère beaucoup de souffrances. Il s'agit de l'accouchement anonyme (la mère qui accouche ne donne pas d'éléments d'identité et aucun lien n'est établi avec l'enfant qu'elle met au monde) et, par voie de conséquence, de l'impossibilité pour les enfants concernés de connaître leurs parents et, au moins, leur mère.
La législation actuellement en vigueur prévoit le droit pour toute mère d'une part d'accoucher sans faire inscrire son identité sur les registres de l'Etat civil, ce que l'on appelle l'accouchement "sous x", et d'autre part de décider si des informations la concernant et concernant son enfant pourront être divulguées à celui-ci en cas de demande.
C'est donc la mère qui, aujourd'hui, décide seule si l'enfant qu'elle met au monde aura ou n'aura pas la possibilité de connaître ses origines.
L'article L 222-6 du code de l'action sociale et des familles (CASF, article ici) est rédigé ainsi :
"Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6. Elle est également informée qu'elle peut à tout moment donner son identité sous pli fermé ou compléter les renseignements qu'elle a donnés au moment de la naissance. Les prénoms donnés à l'enfant et, le cas échéant, mention du fait qu'ils l'ont été par la mère, ainsi que le sexe de l'enfant et la date, le lieu et l'heure de sa naissance sont mentionnés à l'extérieur de ce pli. Ces formalités sont accomplies par les personnes visées à l'article L. 223-7 avisées sous la responsabilité du directeur de l'établissement de santé. A défaut, elles sont accomplies sous la responsabilité de ce directeur. (..)"
L'article 147-6 du même code (lire ici), inséré dans un chapitre (textes ici) concernant le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP, son site), dont le but est de "faciliter l'accès aux origines personnelles", prévoit de son côté les conditions dans lesquelles, quand la mère l'a expressément accepté, les informations la concernant et relatives à la naissance peuvent être communiquées au demandeur (1).
Le conseil a pour mission de s'assurer que la mère a décidé de lever le secret demandé lors de la naissance. Si la mère est décédée, le conseil communique à l'enfant les données initialement secrètes sous réserve que la mère n'ait pas anticipé la situation et déclaré s'opposer à une telle démarche.
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'Etat qui, dans une décision en date du 16 mars 2012 (décision ici) a estimé que "les articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris, au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, soulève une question qui, sans être nouvelle, présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée".
Le Conseil constitutionnel vient de déclarer ces deux textes non contraires à la constitution, dans une décision du 16 mai 2012 (lire ici).
Il a jugé que :
"en permettant à la mère de s'opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l'accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l'accès de l'enfant à la connaissance de ses origines personnelles ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l'équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant ; que les dispositions contestées n'ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé ; qu'elles n'ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale."
La problématique au coeur de ce débat juridique est importante. Les accouchements "sous x" auraient été au nombre de 680 en 2009 (article ici) pour 800 000 naissances comptabilisées la même année. Il est mentionné dans cet article que les mères concernées ont un âge moyen de 26 ans et sont pour la plupart seules et sans enfant, et que contrairement à une idée reçue elles ne sont pas toutes dans une situation matérielle catastrophique puisque 25 % sont indépendantes financièrement. Il y est également précisé que la France et l'Italie sont les seuls pays européens à offrir la possibilité aux mères d'accoucher sans donner d'élément d'identité.
Dans son rapport d'acivité de 2011 (document ici), le CNAOP mentionne que sur la période 2002/2011 (inclus) 5500 demande ont été déposées dont 460 nouvelles demandes pour l'année 2011, que dans 1576 cas les informations concernant le parent ont été communiquées à l'enfant dont 548 cas du fait de l'accord donné par la mère pour lever le secret initial, 518 cas de décès de la mère, et 510 cas de naissance sans demande de secret.
Quoi qu'il en soit, ce qui est à retenir de la décision du Conseil Constitutionnel, plus encore que la déclaration de conformité des textes à la constitution française, c'est qu'il écrit clairement "qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l'équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant".
Nous avons déjà sur ce blog abordé la question de la répartition des compétences entre le législateur et les juges, pour souligner à plusieurs reprises combien il est essentiel en démocratie que le juge n'ait pas compétence pour prendre des décisions qui imposent des choix de société qui relèvent d'abord et avant tout des options majoritaires chez les français représentés aux Parlement par les élus (lire not. ici).
Il ne serait pas acceptable que sous couvert d'une interprétation de textes, qui souvent peuvent servir de support à une solution mais tout autant à la solution contraire, une poignée de juges, même qualifiés de "sages" (bien que la sagesse ne se décrète pas mais se démontre..), décident à la place des citoyens quand le problème rencontré n'est pas un problème juridique mais un problème humain.
Autrement dit, quand il s'agit de trouver une solution à des problématiques comme le droit de connaître ses origines, le droit doit être la mise en forme des choix de société, il ne doit pas les précéder et les imposer.
Alors reste la question de fond : entre la volonté d'une mère d'accoucher sans donner son identité et le besoin exprimé par un enfant de connaître ses origines, lequel doit prendre le pas sur l'autre ? Chacun répondra à cette question en fonction de ses convictions.
Il n'en reste pas moins que nombreux sont ces enfants non reconnus à la naissance qui, devenus adultes, expliquent combien il est difficile de vivre avec ce trou dans une histoire personnelle impossible à contruire dans la durée. La réponse à la question précédente ne peut être choisie qu'en prenant en compte d'un côté les raisons qui incitent des femmes à ne pas créer de lien avec l'enfant qu'elles mettent au monde, et de l'autre les souffrances parfois intenses de ceux qui pendant des années cherchent à savoir d'où ils viennent.
Souffrance d'un côté et souffrance de l'autre. Cela explique pourquoi les choix sont si difficiles à faire.
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1. La révélation de l'identité de la mère à l'enfant qu'elle a mis au monde n'a aucune conséquence sur la filiation juridique, qui reste inexistante, ni sur la place de l'enfant dans la famille maternelle, qui ne l'intègre pas. Aucun droit ou obligation n'est créé entre les intéressés, dans un sens ou dans un autre.