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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


  Chaque année, le Conseil Supérieur de la Magistrature (son site) produit un rapport décrivant son activité et présentant ses réfléxions de l'année écoulée.

  Le CSM vient de rendre public son rapport pour l'année 2012 (texte intégral ici). Comme à chaque fois, le contenu du rapport est d'une très grande richesse et susceptible d'intéresser tant le grand public que, bien sûr, les magistrats.


  Un chapitre est consacré aux plaintes des justiciables (sur le principe, lire ici) (P. 95 svts). Il y est écrit, notamment :

  "Le volume du courrier reçu par le département des plaintes des justiciables a oscillé en 2012 entre 60 et 100 lettres par mois : 58 lettres en juin 2012, 82 lettres en septembre 2012, 100 lettres en octobre 2012. (..) En moyenne, 40 % de ces courriers aboutissent à l’enregistrement d’une plainte, tandis qu’une part importante est constituée de com- pléments d’informations ou de pièces justificatives supplémentaires destinés à un dossier de plainte déjà ouvert. Le reste du courrier, soit un tiers environ, correspond à des sollicitations diverses qui n’entrent pas dans le cadre des missions du Conseil. (..). Le nombre des requêtes enregistrées durant l’année 2012 par le Conseil a baissé par rapport à l’an dernier : 283 plaintes enregistrées (421 en 2011). (..) L’année 2011 n’était sans doute pas significative, car un certain nombre de requérants avaient écrit au Conseil dès 2009, dans l’attente de la nouvelle procédure et se sont manifestés dès son entrée en vigueur. En ce sens, l’année 2012 donne une vision plus réaliste de la portée de cette réforme auprès des justiciables." (..)

  "La commission d’admission des requêtes compétente à l’égard des magistrats du parquet a déclaré deux requêtes recevables, dont une seule a été renvoyée devant la formation du Conseil compétente en matière de discipline. L’autre a fait l’objet d’une décision de rejet. S’agissant du siège, onze requêtes ont été déclarées recevables en 2012 par les deux commissions d’admission des requêtes. Sur ces onze plaintes, une décision a renvoyé cinq plaintes visant le même magistrat devant la formation du Conseil compétente en matière de discipline. Parmi les autres plaintes déclarées recevables, quatre sont en cours d’examen et deux ont été rejetées." (..)

  "La distinction entre la critique de la décision de justice et celle du comportement du magistrat est au cœur d’un malentendu persistant et pèse sur l’efficacité de la procédure de plainte. En effet, parmi les motifs qui entraînent le rejet des requêtes, le principal se fonde sur le fait que le justiciable conteste une décision de justice sans critiquer le comportement d’un magistrat : près de 70 % des requêtes ont été rejetées pour ce motif en 2012." (..)

  "Parmi les magistrats du siège (hors tribunaux d’instance), 42 % des requêtes visent des juges exerçant en matière de droit civil sans spécialisation, 18% portent sur des juges aux affaires familiales, 13 % des juges d’instruction et 8 % des juges des enfants. Au sein des tribunaux d’instance, sont visés par la moitié des plaintes les juges d’instance statuant en matière civile, tandis que 33% des requêtes concernent des juges de proximité hors activités pénales. (..) Certaines plaintes peuvent viser une série de magistrats au sein d’une même juridiction et, dans le cadre du même contentieux, les magistrats de la juridiction de première instance puis ceux de la cour d’appel ayant eu à connaître de l’affaire. (..) S’agissant des magistrats du parquet, le choix statistique retenu consiste à identifier les champs de compétences sur lesquels portent les requêtes : 42;9 % d’entre elles intéressent les décisions de clas- sement sans suite et 28,6 % concernent les décisions prises pendant l’enquête préliminaire, tandis que dans 23,8 % des requêtes, c’est la phase d’engagement des poursuites qui est critiquée." (..) Enfin, parmi les critiques que l’ensemble des requêtes laissent apparaître, le comportement du magistrat à l’audience est fréquemment cité en ce qui concerne les magistrats du siège et quasiment jamais en ce qui concerne les magistrats du parquet.." (..)

  "Les commissions d’admission des requêtes, sur le fondement des textes applicables, ne disposent que de deux options : le rejet de la plainte ou la saisine de la formation disciplinaire. Or, face à des situations où le comportement reproché au magistrat ne relève pas du champ disciplinaire mais justifierait néanmoins une réponse d’ordre préventif, cette alternative devant laquelle les commissions se trouvent placée n’apparaît pas satisfaisante. En cas de rejet, cette issue ne permet pas toujours au magistrat de comprendre que le comportement qu’il a adopté ou la situation dans laquelle il s’est placé, même si les faits ne sont pas de nature à recevoir une qualification disciplinaire, relèvent d’un comporte- ment à améliorer au regard des exigences déontologiques. Pour tenter de sortir de cet écueil du «tout ou rien», et à deux reprises, les commissions d’admission des requêtes ont choisi, dans un but pédagogique et en vue d’amorcer un dialogue déontologique avec les magistrats, de motiver leurs décisions de rejet.

  "Les requêtes reçues par le Conseil ont révélé l’importance du rôle et de la responsabilité des chefs de cour sur le plan déontologique. Faute pour la Chancellerie d’avoir mis en place une structure spécifique susceptible de répondre aux questions des magistrats lorsqu’ils rencontrent des difficultés d’ordre déontologique, structure que certains appellent de leurs vœux et sur laquelle le Conseil réfléchit, les chefs de cour constituent des interlocuteurs précieux et peuvent, par leur expérience et leurs conseils, éclairer leurs collègues. Par ailleurs, il leur revient également de veiller à alerter tel magistrat de leur juridiction, s’ils sont avisés de critiques à son égard, en engageant un dialogue avec lui, voire en réalisant une enquête interne." (..)


  S'agissant du contenu des plaintes, le CSM, après avoir rappelé que la confidentialité des procédures ne lui permet pas de détailler la nature des réclamations examinées, précise :

  "Il convient de distinguer préalablement entre d’une part, la faute disciplinaire définie par l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, comme un manquement par le magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, ainsi que la violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive, et d’autre part, le comportement déontologiquement critiquable, de nature infra ou extra-disciplinaire, domaine souvent invoqué par les plaintes des justiciables.  (..) la discipline recouvre ceux des devoirs déontologiques dont les manquements constituent une faute (par exemple, le fait de monnayer une décision de justice). Mais elle renvoie également à d’autres manquements que ceux-là. Ainsi, le fait pour un magistrat d’avoir renseigné le prévenu, dans une procédure pénale où elle était assesseur du tribunal correctionnel appelé à le juger, et d’avoir tenu des propos d’incitation à la violence à la suite de l’agression dont avait été victime sa sœur et d’avoir voulu la venger sont autant de manquements traduisant, « de la part de ce magistrat du siège, une totale perte des repères déontologiques élémentaires »" (..)

  "On relève les propos suivants d’un justiciable dans une plainte adressée au Conseil en 2012 : « Je sais que l’affaire a été jugée au fond, mais je garde un profond sentiment d’indignation en pensant au véritable parcours du combattant qu’aura été mon expérience du monde de la justice et plus particulièrement un sentiment de non- respect de la dignité du simple justiciable ». Cette réaction retenue parmi beaucoup d’autres, traduit une réelle exigence de la part du public à l’égard de la justice et des magis- trats, et un véritable désarroi face à la complexité des procédures. Le Conseil supérieur de la magistrature ne peut être indifférent à cette attente forte des justiciables vis-à-vis de l’éthique profession- nelle des magistrats de l’ordre judiciaire."


  Le CSM aborde ensuite plusieurs problématiques spécifiques :

  - Le comportement à l'audience

  "L’audience est l’occasion du principal contact du justiciable avec la justice et le marque souvent profondément, parfois excessivement. Ainsi, malgré une décision favorable dans son principe, le requé- rant va soutenir que le comportement du juge lors de l’audience lui a porté préjudice. De même, une justiciable, sans même vou- loir attendre la décision de justice qui pourrait lui être favorable, met en cause le comportement du juge qui a traité son affaire et en saisit le Conseil. Il est révélateur que la critique du comportement à l’audience vise quasi-exclusivement des magistrats du siège, seuls en charge de la police de l’audience ; il peut en être déduit que les justiciables estiment légitime la prise de position du parquet à l’audience, quand bien même elle serait exprimée vigoureusement, car elle correspond au rôle institutionnel qu’il est supposé tenir ; mais, en revanche, le moindre signe d’une supposée partialité du juge apparaît inacceptable à certains justiciables. (..)"

  "(..) les courriers dénoncent souvent une conduite trop rapide des débats ne permettant pas au requérant de s’exprimer comme il l’aurait souhaité, l’interruption de la parole avant la fin d’un exposé ou des remarques ressenties comme désobligeantes de la part du magistrat visant à obtenir l’achèvement rapide d’un exposé : « À la fin des explications du bâtonnier X, j’ai levé la main en indiquant que je souhaitais fournir à mon tour deux explications complémentaires très brèves. Je me suis vu répondre : “Taisez- vous, j’ai la police de l’audience ; si vous dites un seul mot, je vous fais expulser” ».

  "Certains courriers révèlent une incompréhension de la manière dont l’audience se déroule." (..)

 
  - La motivation des décisions de justice

  "Les justiciables expriment souvent un sentiment de frustration lorsqu’ils ont l’impression qu’une pièce de leur dossier n’a pas été lue ou que des conclusions n’ont pas été reprises ou l’ont été, de leur point de vue, de manière erronée. (..) La plupart du temps, que le jugement soit ou non favorable au plaignant, la partialité invoquée dans une requête devant le CSM à l’encontre du magistrat, ne peut finalement être retenue à la lecture de la décision juridictionnelle intervenue. La qualité de la motivation suffit en effet souvent à écarter un tel soupçon d’atteinte à l’impartialité, même s’il est difficile pour le justiciable de l’admettre, notamment si la décision lui est défavorable."


  - L'impartialité

  "L’approche et le traitement impartiaux d’un dossier contentieux sont en effet exigés tant du tribunal que du juge. Cette impartialité doit être réelle, conformément à l’article 6 de la Convention euro- péenne des droits de l’homme, mais aussi apparente. Ainsi le magis- trat doit éviter « tout comportement de nature à entraîner le risque que son impartialité puisse être mise en doute ». La finalité étant que ne puisse être « atteinte l’autorité de l’institution judiciaire ».

  "Parfois les justiciables assimilent l’interprétation faite par le juge de pièces de la procédure lorsqu’elle ne leur est pas favorable, à de la partialité à leur encontre. En mettant en cause l’impartialité du magistrat, le justiciable critique en fait le processus intellectuel de l’interprétation juridique et l’aspect purement juridictionnel du travail du juge qui échappe, par nature, au domaine de la sanction disciplinaire – sauf « manquement grave et délibéré d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties constatée par une décision de justice devenue définitive ».


  - Le devoir de réserve et la liberté d'expression

  "À l’occasion d’une procédure disciplinaire dans laquelle étaient notamment reprochées à un magistrat du parquet ses déclarations à la presse locale, le Conseil supérieur de la magistrature énonçait, à propos de cette obligation de réserve, que « cette obligation, si elle n’oblige pas le magistrat au conformisme et ne porte pas atteinte à sa liberté de pensée et d’expression, lui interdit toute expression outrancière, toutes critiques de nature à porter atteinte à la confiance et au respect que sa fonction doit inspirer aux justiciables ».(..) Le Conseil précisait, dans un avis de la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet : « Considérant que l’obligation de réserve ne saurait servir à réduire le magistrat au silence ou au conformisme, mais doit se concilier avec le droit particulier à l’indépendance qui distingue fondamentalement le magistrat du fonctionnaire ». (..) Cependant, ce devoir de réserve interdit toute expression excessive susceptible de mettre en péril la sérénité de la justice et de porter atteinte au devoir de délicatesse prévu à l’article 43 du sta- tut à l’égard d’autres magistrats."

  "S’agissant de préserver « la dignité, l’impartialité et l’indépendance de la magistrature » (..), c’est en définitive une conception finaliste de l’obligation de réserve qui se dégage de la jurisprudence disciplinaire. Le devoir de réserve impose au magistrat de s’exprimer de façon prudente et mesurée, de s’abstenir de toute expression qui serait de nature à faire douter de son impartialité ou à porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges ou susceptible de donner de la justice une image dégradée ou partisane."


  Le CSM émet également diverses remarques sur l'usage par les magistrats des réseaux sociaux, notamment twitter et Facebook.


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M
<br /> cordiale remerciement<br />
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