Le Conseil Constitutionnel modifie encore le code de procédure pénale (à propos des expertises)
Par Michel Huyette
Nous en avons très souvent parlé ici, depuis la création des questions prioritaires de constitutionnalité (cf. la rubrique dédiée) le Conseil Constitutionnel a modifié de nombreuses règles inscrites dans nos codes, et notamment en matière pénale.
Une décision du 23 novembre 2012 en est une nouvelle illustration.
La problématique soulevée est simple et peut se résumer de la façon suivante :
Quand un juge d'instruction est désigné pour instruire une affaire pénale, les "parties" (la personne poursuivie et la partie civile) n'ont pas l'obligation d'être assistées d'un avocat (1). Pendant cette instruction, le magistrat prend de nombreuses décisions qui doivent être notifiées aux intéressés. Il en va ainsi quand il désigne un expert.
S'agissant des décisions ordonnant une expertise, l'article 161-1 du code de procédure pénale (texte ici), texte contesté devant le Conseil Constitutionnel, prévoit notamment que : "Copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix (..).
Cela signifie, à l'envers, que la décision n'est pas envoyée aux personnes qui ont choisi de ne pas être assistées d'un avocat, qui, par voie de conséquence, ne peuvent présenter aucune observation ni demande contrairement aux avocats des autres parties.
Une partie civile impliquée dans une instruction judiciaire, à l'occasion d'un pourvoi devant la cour de cassation, avait fait valoir que "en prévoyant que la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise est réservée aux avocats des parties et en plaçant les parties non assistées ou représentées par un avocat dans l'impossibilité de formuler des observations ou des demandes au vu de cette décision, la disposition contestée porte atteinte aux droits de la défense, au principe du contradictoire ainsi qu'au principe d'égalité des citoyens devant la loi." La cour de cassation a admis le sérieux de l'argument et l'a transmis au Conseil Constitutionnel (cf. ici)
Le Conseil Constitutionnel a lui aussi reçu cet argument et jugé (décision ici) :
" Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense."
"la différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu'elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'instruction."
"dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense impose que la copie de la décision ordonnant l'expertise soit portée à la connaissance de toutes les parties."
Et il a conclu :
"dans le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : « avocats des » ont pour effet de réserver aux avocats assistant les parties la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise et la faculté de demander au juge d'instruction d'adjoindre un expert ou de modifier ou compléter les questions qui lui sont posées ; que, par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution."
Cette décision est logique. En effet deux possibilités se présentent : soit la présence de l'avocat est rendue obligatoire pendant l'instruction parce que l'on estime qu'une personne seule n'est pas en situation de participer pleinement à cette phase d'investigations, et les actes sont alors notifiés aux avocats de toutes les parties, soit l'on considère à l'inverse que les particuliers sans avocat sont capables de participer pleinement mais alors, et sauf exception argumentée, il n'existe pas de raison de principe pour qu'ils aient moins de droits que ceux qui sont assistés d'un avocat.
Le Conseil Constitutionnel continue donc le processus de rééquilibrage entre les droits des parties dans notre procédure pénale.
Précisons pour finir que la décision du Conseil Constitutionnel est immédiatement applicable à toutes les instructions en cours.
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1. A la cour d'assises, et pour la durée de l'audience, l'accusé doit obligatoirement être assisté d'un avocat. Et les mineurs (au moment des faits) sont toujours assistés d'un avocat.