La victime dans le procès pénal
Par Michel Huyette
Le titre de cet article est autre chose que ce qu'il semble être. En effet, c'est aussi le sujet de droit pénal distribué le 23 juin 2011 aux candidats à l'admission à l'école nationale de la magistrature (ENM, son site).
Les organisateurs se doutaient sans doute, en choississant ce sujet, qu'ils allaient plonger les candidats au coeur de l'actualité judiciaire, et, plus largement, au coeur d'un débat concernant toute la société française.
La veille de l'épreuve, nous nous interrogions ici même sur le viol, les incertitudes judiciaires et la motivation des décisions des cours d'assises (lire ici). Quelques jours avant, nous réfléchissions sur la possibilité offerte aux parties civiles (le mot "victime" ne devrait être en principe utilisé qu'une fois l'infraction reconnue par une juridiction) d'interjeter appel des décisions d'acquitement (lire ici). Et juste avant nous étions en plein débat sur la présomption d'innocence, à laquelle certains veulent opposer une présomption de véracité des accusations de certaines victimes, notamment des femmes victimes de viols (lire ici).
Et voià que le lendemain de l'épreuve, un accusé pour viol, condamné il y a quelques années à une longue peine de prison et qui bénéficie d'un troisième procès après la décision de la commission de révision des condamnation pénales est finalement acquitté, la "victime" ayant affirmé après le procès en appel avoir menti en le désignant comme son violeur.
Ces soubresauts judiciaires ne sont que le reflet des débats qui agitent la société dans son ensemble. D'un côté on constate que les "victimes" sont de plus en plus au centre de toutes les préoccupations. Mais d'un autre on redécouvre que les réalités sont souvent plus complexes qu'il n'y paraît au premier abord et que la justice, elle aussi, peut tomber dans le piège d'une attention excessive à la "victime".
Depuis quelques années la victime semble être devenue le centre des préoccupations politiques. Les victimes font l'objet de toutes les attentions, sont reçues jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat, et il est régulièrement affirmé, par un grand nombre d'élus que la justice n'est pas assez attentive à leur sort.
Certes, tout le monde a bien conscience que dans ces élans de compassion publiquement réitérés il y a une part non négligeable, et peut être un peu trop évidemment visible, de démagogie et de populisme. Quand des élus au plus haut niveau de l'Etat reçoivent certaines victimes (pas toutes au demeurant...) en faisant en sorte que tous les medias soient présents, quand les discours martèlent en permanence qu'il faut prendre en compte la souffrance des victimes, quand jour après jour la justice est montrée du doigt parce qu'elle ferait preuve, dit-on, de trop de timidité envers la délinquance à tel point qu'il faut adjoindre aux magistrats des citoyens qui, eux, condamneront plus souvent et plus sévèrement, le message est clair : il faut toujours écouter et entendre les personnes qui se déclarent victimes, et notamment les victimes de viol. Et satisfaire au mieux leurs attentes.
Les dérapages qui se produisent de temps en temps ne semblent même pas pouvoir enrayer ces processus. On se souvient encore, notamment, de l'histoire de cette jeune femme qui avait porté plainte pour un viol collectif subi dans une rame de RER. Tout le pays s'était indigné, relayé par des déclarations tonitruantes de certains élus. Cela avant que l'enquête démontre que cette jeune femme avait menti. Et que les jeunes gens placés en détention provisoire pour rien soient libérés (cf. Le Monde du 1er avril 2001).
Cet épisode ne s'est manifestement pas inscrit dans les mémoires individuelles ni dans la mémoire collective puisque de nouveau, à chaque fait divers, les uns et les autres prennent publiquement position avant même les premières conclusions des enquêtes judiciaires. Une victime se déclare, on s'offusque en s'en prenant à d'éventuels coupables. Et on enquête.. ensuite.
On ne peut qu'être perplexe quand on lit ceci dans le texte de présentation d'une proposition de loi "pour la reconnaissance du droit des victimes dans la procédure pénale" déposée à l'Assemblée nationale le 22 juin 2011 par divers parlementaires (texte ici) :
"(..) L’impossibilité (pour la victime) de s’exprimer, de faire appel, de rétablir un jugement considéré comme injuste, est souvent vécu comme un second traumatisme, comme nous l’enseigne l’histoire des victimes. La mère d’un jeune homme handicapé victime d’un violeur récidiviste a vu, en 2008, la cour d’assises acquitter le criminel. Faute d’un appel de la part du ministère public, alors même qu’il requérait une peine de réclusion de 15 ans, l’auteur des faits est aujourd’hui libre. L’incompréhension, l’écœurement face à une justice inégale, la douleur de son fils constituent, pour cette femme, un second préjudice qui alourdit encore le premier. "
Ainsi donc, pour ces parlementaires, l'individu qui a été acquitté c'est à dire jugé non coupable, et cela dans une décision aujourd'hui définitive, est quand même "l'auteur des faits". Pour ces parlementaires, l'acquitté est quand même le coupable et ils n'hésitent pas à l'affirmer dans un document public au mépris de la décision judiciaire et en sachant que même en cas d'appel un second acquittement pouvait être prononcé. Comment justifient-ils leur démarche ? Non par référence au dossier que certainement la plupart d'entre eux n'ont jamais lu. Mais uniquement parce que, comme ils l'écrivent, cet acquittement a occasionné un traumatisme à la "victime" et à sa famille et que la décision d'acquittement est "considérée" comme injuste par cette famille.
L'objectif prioritaire pour ces parlementaires est donc bien de satisfaire les exigences des victimes en condamnant à tout prix celui qui est considéré par celles-ci comme forcément coupable Même si, éventuellement, il ne l'est pas.
Mais la pression pour condamner à tout prix le coupable désigné dès qu'une victime est déclarée ne vient pas que des élus. Certains français, seuls ou regroupés en divers mouvements, martèlent également que la victime doit être le centre de tout. Et ils agissent en conséquence.
Il n'y a pas si longtemps, les yeux rivés vers le Pas de Calais, la France entière, à peine informée des soupçons qui pesaient sur certains adultes, réclamait la mise à mort immédiate des "monstres" qui osaient agresser sexuellement leurs enfant. Quelques années plus tard, la France entière, dans un grand revirement collectif, réclamait la tête des juges qui avaient mis ces gens en prison bien trop rapidement, oubliant que c'est exactement ce que tous réclamaient initialement.
Un peu plus loin dans le temps, dans les Alpes, des français, implicitement encouragés par de nombreux élus, sont allés en groupe lancer des pavés contre un palais de justice parce qu'un juge d'instruction, qui constatait que son dossier n'était pas suffisamment étayé contre lui, avait décidé de remettre en liberté l'un des deux "monstres" dont parlaient les medias et qui, affirmait-on partout, avaient ensemble tué un enfant. Avant que cet adulte ne soit acquitté par une cour d'assises qui a pris conscience qu'il n'y était pour rien. Mais comme cet homme injustement accusé n'était qu'un marginal, son histoire n'a pas ému grand monde. Il n'a pas été reçu dans les salons dorés comme d'autres acquittés plus médiatisés. Sans doute était-il trop différent pour susciter notre compassion.
Cette aptitude de certains élus et citoyens à réclamer à la justice, parfois avec hargne, toujours plus d'attention aux victimes et en conséquence plus de poursuites, plus de condamnations, plus de sévérité, plus de prison et toujours plus longtemps, puis, au gré des vents, à vitupérer contre les erreurs judiciaires qui en découlent, continuera à être un beau sujet d'études.
Mais au-delà de ces pressions extérieures permanentes, les mécanismes susceptible de conduire à des erreurs judiciaires apparaissent aussi à l'intérieur même de l'institution.
Un autre aspect de cette problématique est en effet le choc engendré par la souffrance de certaines parties civiles, celles qui ont été victimes de quelque chose, dont le parcours a été réellement chaotique, qui sont manifestement psychologiquement perturbées, et qui, au milieu du procès, viennent montrer et déposer leur mal-être parfois intense.
La réaction, qui peut être inconsciente, est alors le sentiment de devoir apporter une réponse, de devoir faire quelque chose, qui puisse atténuer cette soufrance. A l'audience, le spectateur des larmes, des doigts malmenés, des corps qui se tordent, se dit qu'il doit agir, qu'il ne peut pas laisser une personne qui souffre visiblement autant dans un tel état. A cet instant, le fait de ne rien avoir à proposer peut paraitre à certains insupportable. Et en présence d'un coupable désigné par cette victime, la déclaration de culpabilité judiciaire est un moyen, immédiatement à disposition, qui peut sembler de nature à apaiser la douleur.
Cela peut se doubler de l'idée, parfois tout aussi inconsciente, que si l'accusé qu'elle désigne n'est pas déclaré coupable cela va être pour la victime comme un nouveau coup de couteau dans le dos, d'où de nouvelles souffrances alors que la coupe semble déjà pleine.
Plus délicate a explorer, est la question du contenu des expertises psychologiques ou psychiatriques, notamment celles qui prennent position sur la logique et la cohérence du raisonnement et des propos de la victime, que l'on met trop hâtivement, quand la réponse est positive, en lien avec la véracité de ces propos. Pourtant on le sait, la notion de crédibilité ne contient pas celle de véracité.
Et pour peu que les psys décrivent la personne qu'ils examinent d'une part comme présentant les symptômes d'un stress post-traumatique et d'autre part comme ayant une attitude et un discours crédibles, la route vers la déclaration de culpabilité de l'agresseur désigné semble à certains suffisamment balisée, même si l'accusation est par ailleurs peu étayée.
Tout ce qui précède conduit à réduire la place du raisonnement distant, dépassionné, analytique, critique, ce qui est pourtant le seul moyen de ne pas se laisser emporter par les pressions ou les émotions.
Ce sont pourtant ces pressions et ces émotions que les juges (au ses large, les jurés sont juges pour quelques jours), doivent impérativement laisser de côté. Pour juger, il faut ne se sentir proche de personne. Juger n'est pas répondre à une demande, à une attente, d'où qu'elle vienne et de quelque nature qu'elle soit.
Sans aucun doute, les associations féministes ont-elles raison de s'exprimer publiquement sur l'ampleur des viols, les situations des femmes victimes, leurs difficultés à se faire entendre. Mais le parcours judiciaire peut comporter certains pièges. Nous en mentionnerons deux.
En permettant aux personnes se disant victimes de viol de porter plainte jusqu'à leurs 38 ans (20 ans après la majorité), la loi à ouvert la voie à des procès sans traces, sans preuves, sans témoins crédibles. Et à bien des désillusions.
Et pour en revenir à la récente proposition de loi permettant à la partie civile de faire appel d'une décision d'acquittement quand le ministère public ne fait pas lui même appel, cette partie civile risque de se trouver dans une situation très délicate si devant la cour d'assises d'appel elle soutient la culpabilité de l'accusé et qu'un autre magistrat du Parquet requiert un nouvel acquittement. Sans compter que quelques soient les positions des uns et des autres, si la cour d'assises d'appel acquitte à nouveau, cela peut avoir pour cette partie civile un effet bommerang dévastateur. Elle pourra être désignée comme celle qui s'acharne sans aucune raison valable contre un innocent.
Il est sans doute légitime de continuer à débattre de la place des victimes dans le procès pénal. Rien n'est figé et au fil du temps les textes peuvent être modifiés dans un sens ou dans un autre si cela apparaît opportun.
Mais derrière un discours simpliste, parfois démagogique, régulièrement électoraliste, se cachent des problématiques complexes qui, quand on les examine, font apparaître que même les meilleurs intentions n'aboutissent pas forcément à une amélioration de la situation de ceux auxquels elles sont destinées.
Les véritables victimes méritent mieux que cela.