La saisine du CSM par les justiciables mécontents
Par Michel Huyette
Ce mois de janvier 2011 est une date importante pour la justice française puisque dorénavant les justiciables peuvent directement saisir le conseil supérieur de la magistrature (CSM, son site) pour se plaindre du comportement des magistrats. Mais encore faut-il bien comprendre de quoi il s'agit.
Il a été inscrit dans l'article 65 de la constitution (texte ici) la disposition suivante : "Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique".
Parrallèlement, l'ordonnance relative au statut de la magistrature (texte ici) a été modifiée. Il y est indiqué que :
"Tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège (ou du parquet) dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire peut saisir le Conseil supérieur de la magistrature."
La procédure à suivre est succinctement la suivante (1) :
- La plainte du justiciable, qui "ne peut être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure" (2), doit "contenir l'indication détaillée des faits et griefs allégués". Elle "ne peut être présentée après l'expiration d'un délai d'un an suivant une décision irrévocable mettant fin à la procédure", et elle "doit être signée par le justiciable et indiquer son identité, son adresse ainsi que les éléments permettant d'identifier la procédure en cause".
- La plainte est confiée à une "commission d'admission des requêtes" au sein du CSM. Le président de la commission peut rejeter celles qui sont "manifestement infondées ou manifestement irrecevables". Si elle l'estime recevable la commission enquête sur les faits dénoncés.
- Si "les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, la commission d'admission des requêtes du Conseil supérieur renvoie l'examen de la plainte au conseil de discipline".
- la formation disciplinaire (siège ou parquet) du CSM rend sa décision après des débats en audience publique, étant précisé que pour les magistrats du parquet il ne s'agit que d'un avis, la décision finale relevant du Garde des sceaux, alors que pour les magistrats du siège le CSM sanctionne lui-même.
Une précision importante s'impose. Pour que la plainte du justiciable ait une éventuelle possibilité d'aboutir, encore faut-il qu'elle fasse apparaître une "faute disciplinaire" (cf ici). La critique ne pourra jamais porter sur le contenu d'une décision judiciaire (3).
L'article 43 du statut de la magistrature précise que "Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l'honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive."
Tous les commentateurs l'ont souligné dès le vote de ces nouvelles dispositions, vont probablement saisir le CSM, pour partie, des justiciables déçus de la décision rendue, en colère de n'avoir pas eu gain de cause, et qui vont tenter, plutôt que de reconnaître les manques de leur dossier, de mettre en avant la responsabilité du juge pour justifier leur échec. La justice étant un lieu où sont déposés les conflits, où se cristallisent les tensions voire de fortes animosités entre les parties au procès, il est fréquent que celle qui a perdu dénonce une justice aberrante et des juges incapables, alors que son adversaire qui a gagné son procès ne manque pas de souligner les formidables compétences des magistrats. Il en va ainsi de la nature humaine.
Alors que peut-on envisager comme motif légitime de saisine du CSM, parmi bien d'autres : de la part d'un magistrat un comportement grossier ou injurieux vis à vis d'un justiciable, un refus aberrant de laisser une personne s'exprimer à l'audience, un avantage octroyé injustement à une partie du fait d'une proximité amicale ou affective avec elle.. En cela le "Recueil des obligations déontologiques des magistrats", édité l'an passé par le CSM, sera certainement un repère utile et un point de départ de la réflexion.
Mais encore faudra-t-il que le justiciable apporte la preuve du comportement aberrant du magistrat qu'il dénonce. Et cela peut poser des difficultés si, à l'audience où le manquement se produit, par exemple une attitude injurieuse, personne ne fait constater l'incident dans un quelconque écrit.
Au-delà on sait qu'il arrive, au cours d'une audience, qu'un président impose de se taire à une partie qui a un comportement inadmissible. Cela ne permettra certainement pas ensuite à ce justiciable de venir soutenir qu'on l'a privé délibérément de son droit de s'exprimer et qu'en agissant ainsi le président a violé ses obligations.
La possibilité offerte aux justiciables de saisir le CSM est sans doute une bonne chose dans son principe. Mais, pour que ce mécanisme conserve toute sa valeur, il est impératif qu'il ne soit pas dévoyé par des justiciables surtout soucieux de régler des comptes avec des juges qui ont comme seul tort de ne pas avoir accédé à leur demande.
Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser, le risque principal n'est pas pour les magistrats. Tout professionnel qui sait avoir fait honnêtement et correctement son travail peut/doit rester indifférent aux mouvements d'humeur injustifiés. Non, le risque c'est que les plaintes sérieuses soient moins aisément repérées du fait d'un trop grand nombre de plaintes sans fondement.
Mais peut être découvrira-t-on qu'au moment de passer à l'acte et de prendre leur plume, certains râleurs qui savent au fond d'eux-même qu'ils n'ont rien de sérieux à faire valoir perdent un peu de leur énergie...
En tous cas, les semaines et les mois qui viennent permettront de savoir comment les français vont s'emparer de ce texte, et s'ils en font un usage intelligent et raisonnable.
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1. Infos sur le site du CSM ici.
2. D'où une différence importante entre le magistrat qui intervient ponctuellement, et celui qui suit un dossier pendant des mois ou des années, tel un juge des enfants ou un juge d'instruction.
3. Sauf peut-être si le contenu de la décision fait apparaître en lui-même un manquement à la délicatesse (cf. ici)