La paille, la poutre et... le niqab
Par Michel Huyette
La question du niqab, ce vêtement noir qui enveloppe tout le corps de certaines femmes musulmanes, à l'exception de leurs yeux, a déjà été abordée sur ce blog, notamment en terme de droits des femmes car c'est cela le coeur du débat. Le niqab ce n'est pas un problème de religion, c'est un problème de liberté individuelle au regard des droits fondamentaux des êtres humains, ici des femmes (1).
Comme je l'indiquais - une fois de plus - dans le précédent article, c'est très souvent la confrontation entre plusieurs informations, et leur télescopage, qui nous permet d'aller au-delà de la problématique de départ et d'élargir le périmètre du débat.
Il y a quelques jours, en même temps que gouvernement, partis politiques et élus faisaient connaître leurs propositions autour du projet d'interdire en France le port d'un tel vêtement, au moins dans la spère publique, nous arrivait une autre information : Une grande banque française vient d'être condamnée par une cour d'appel (Paris, décision du 5 mai 2010) pour avoir fait preuve de discrimination envers une salariée au moment où celle-ci est revenue à son poste après une période de congé maternité (cf Le Monde du 6 mai 2010).
Le rédacteur de l'article souligne que la cour d'appel a en plus mentionné dans sa décision (2) qu'il existe "une inégalité générale de traitement entre hommes et femme au sein de l'entreprise". Notons à propos de cette affaire, qu'elle a sans doute estimé emblématique, que la HALDE était présente lors des débats (3).
Toutefois dans cette affaire il n'y a rien de bien nouveau. Car les discriminations de toutes sortes envers les femmes, et dans le monde du travail, ne datent pas d'hier.
Sur la seule période récente, en 2005 le ministère de l'égalité professionnelle indiquait que la différence de rémunération moyenne entre hommes et femmes en situation comparable est d'environ 25 % (4), l'Union Européenne estimant au même moment l'écart moyen en Europe à 27 % du fait de mécanismes de sous-évaluation discriminatoires. Et les lois successives de 1983, 2001 et 2006 n'ont pas eu les effets escomptés (5).
Mais venons en... au niqab.
Quel est le lien entre ces deux problématiques ? C'est tout simplement qu'il est un peu surprenant que ce soit la France, un pays qui tolère et maintient depuis des décennies une discrimination permanente et générale envers les femmes, notamment en terme de rémunération et d'évolution de carrière, qui se permette d'affirmer que le niqab doit être interdit au motif qu'en France on veut respecter... les droits des femmes.
Autrement dit, peut-on se faire le chantre d'un principe, pour les autres, tout en refusant de se l'appliquer ?
Le débat autour du niqab est certainement utile, voire indispensable. Mais vis à vis de ces femmes, et plus largement de leur environnement, quelle crédibilité pouvons nous avoir si nous continuons à stigmatiser la paille sans un regard pour la poutre.
Mais il est vrai qu'il faut plus de courage pour regarder au fond de son oeil que dans celui du voisin.
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1. ch également : "Peut-on conduire avec un niqab ?"
2. Lire page 10 de la décision où il est écrit : "Pour tous les pôles d'activité de l'entreprise, les femmes perçoivent une rémunération inférieure à celle de leurs collègues salariés masculins ayant le même diplôme, une date d'entrée comparable, un âge comparable, et un même environnement professionnel".
3. Le communiqué publié par la HALDE sur cette affaire est accessible ici. Sa délibération est accessible ici.
4. cf Le Monde du 25 mars 2005. Ce chiffre était déjà mentionné dans les années 90...
5. cf Le Monde du 28 novembre 2007.