L'enfant et sa parole en justice (Défenseur des droits)
Par Michel Huyette
A côté du Défenseur des droits (son site), travaille le défenseur des enfants. Ils viennent de publier un rapport intitulé : "L'enfant et sa parole en justice" (doc. intégral ici). Il s'agit d'un document qui contient de très nombreuses informations et qui ouvre de multiples pistes de réflexion Il intéressera un vaste public bien au-delà du cercle des professionnels de la justice.
Après un rappel de l'évolution historique de la problématique, on y lit dans une première partie du rapport, notamment :
"Une parole sacralisée à tort. Au fil des textes, des procès, des évènements divers, une atti-tude générale évolue. La confiance – pour certains on peut dire : la foi – est devenue si grande dans la vertu et la qualité de l’expression de l’enfant, dans le contenu de sa parole, que bien des professionnels, quel que soit leur champ d’action, en viennent à être convaincus que: «les enfants ne mentent pas» ou à affirmer « croire les enfants ». Aveuglés par la souffrance qu’ils perçoivent chez ces derniers, ils prennent les propos entendus au pied de la lettre et leur accordent une confiance immodérée. (..) De confinée dans la loi du silence, la parole de l’enfant, notamment pour tout ce qui touche aux violences corporelles, a subi une sacralisation. Elle ne peut plus être examinée, évaluée, confrontée à des critères techniques sans donner l’impression que l’auditeur se détourne de l’histoire de l’enfant et ajoute à sa souffrance. (..) Ceci a ouvert la voie à des dérives et erreurs d’envergure variable mais toujours chèrement payées, désastreuses pour la recherche de la vérité et pour l’intérêt de l’enfant. (..) La parole de l’enfant et de l’adolescent est contingente, elle doit être contextualisée afin de tenir compte de son dévelop- pement cognitif et affectif et de son cadre de vie. L’expérience a montré, douloureusement, que la parole de l’enfant «n’est pas à prendre au pied de la lettre» mais à recueillir et examiner en fonction d’éléments techniques qui s’appuient sur des repères partagés." (..)
"Devenir une arme entre des parents perdus dans une séparation très conflictuelle place l’enfant ou l’adolescent dans un tiraillement permanent, un conflit de loyauté qui fausse son expression, celle de ses sentiments et de ses désirs. Parfois, à l’encontre de ce qu’il souhaite réellement, il tient un discours en faveur d’un parent qu’il a « choisi », parce qu’il se sent investi de la mission de soutenir ce parent qui souffre." (..)
"L’audition de l’enfant a pour objectif, principalement dans les procédures pénales, d’éclairer les faits, de contribuer à l’enquête. Dans les procédures civiles, elle s’inscrit davantage dans la faculté offerte à l’enfant de faire part de son vécu afin que le magistrat puisse prendre une décision qui le concerne en étant éclairé au mieux. Dans tous les cas elle est un élément d’une décision judiciaire à fort retentissement sur la vie de l’enfant, ses proches ou d’autres personnes. L’appréciation de la valeur informative des propos tenus est donc déterminante, particulièrement lorsque cette parole constitue le seul élément de preuve faute d’autres constatations matérielles (dans le cas de violences sexuelles par exemple) et que la situation se présente comme la parole de l’enfant contre la parole du mis en cause. Que la gêne à parler des faits soit un gage de crédibilité entre désormais dans la catégorie des idées reçues. D’expérience, bien des professionnels déplorent que, dans cette recherche de faits, la parole de l’enfant puisse être dévoyée sous la forme de certificats, d’attestations, non conformes et non demandés par la justice bien que présentés et utilisés par l’une ou l’autre des parties." (..)
"Différentes études de psychologie du développement mettent en évidence que les enfants ont très tôt (3 ans) la capacité de faire des déclarations fausses mais sans vouloir tromper l’autre, il s’agit davantage de fabulations. La capacité à avancer un mensonge crédible et à repérer le mensonge d’autrui est nettement plus tardive (7 ans). Le contexte de vie de l’enfant et de l’adolescent, les enjeux de la situation influent sur son attitude. Empêtré dans un conflit de loyauté l’enfant peut en arriver à mentir, tromper délibérément ses auditeurs afin de protéger un proche aimé ou craint. Les adolescents se montrent efficaces dans ce registre. Comme chacun, mais plus encore de par son immaturité intel- lectuelle et psychique, l’enfant est vulnérable et suggestible, sensible à « l’interaction avec l’interrogateur et les modalités de l’interrogatoire». L’âge, les faits, la pression sociale, l’effet du groupe auquel il appartient, l’attitude de son interlocuteur-enquêteur, le poussent à répondre et à se conformer aux attentes qu’il perçoit chez cet interlocuteur." (..)
"Les processus, notamment judiciaires, des adultes : cohérence, précision, clarté, temporalité, argumentaire construit et justifié, réclament de prendre en considération les capacités des enfants. Il arrive que les propos recueillis soient dénaturés par l’une ou l’autre partie pour nourrir le conflit: un mot, une expression extraits d’un ensemble, dont le sens, isolé du contexte, se perd ou se transforme, au mépris du respect de l’expression de l’enfant."
Le rapport dans une autre partie aborde le cadre juridique applicable en France aux auditions de mineurs. Il y est écrit, notamment :
"Il paraît opportun que l’enfant qui le demande puisse exprimer son opinion dans toute procédure qui aura une influence ou fera intervenir un tiers dans sa vie. Ainsi, doit-il notamment avoir la possibilité de pouvoir donner son avis et faire connaître son sentiment dans le cadre d’une procédure ayant pour objet le droit de visite d’un tiers à son égard." (..)
"L’audition de l’enfant lorsqu’il en fait la demande est conditionnée par l’exigence de son discernement. Le discernement est une notion sur laquelle se fondent de nombreux textes. Ainsi, dès lors qu’il est doté de discernement le mineur doit être associé aux décisions qui le concernent par ses parents, ou participer à toute décision d’ordre médical. Le droit pénal conditionne également la responsabilité pénale à la capacité de discernement. Cependant, la définition ou les critères d’évaluation du discernement n’ont pas été précisés par la loi." (..)
"L’évaluation du discernement sur le seul critère de l’âge peut par ailleurs conduire à méconnaître le droit de l’enfant d’être entendu. Dans ce contexte force est de constater que les magistrats ne sont pas formés spécifiquement à l’évaluation du discernement." (..)
" (..) le Défenseur des droits a recommandé de rappeler par tous les moyens qu’entendre le mineur pour lui permettre d’exprimer son opinion dans toute procédure le concernant dès lors qu’il est capable de discernement est un droit fondamental de l’enfant affirmé par la CIDE ; que le refus d’audition du mineur doit être motivé de manière explicite et concrète ; que le caractère manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant de l’audition peut fonder le refus d’audition conformément à l’article 373-2-6 du code civil ; que l’évaluation du discernement soit réalisée in concreto en fonction de l’âge, des aptitudes réelles de l’enfant et du contexte dans lequel il évolue. L’évaluation implique ainsi nécessairement un premier contact avec l’enfant soit dans le cadre d’une enquête sociale, soit par une expertise psychologique soit par une audition préalable." (..)
"Corollaire du droit d’être entendu, le droit au silence devrait être fondamental en matière d’audition de l’enfant. Ainsi, lorsque l’audition est sollicitée par l’un des parents, ou par le magistrat, l’enfant devrait avoir la possibilité de refuser de s’exprimer." (..)
"Que devient la parole de l’enfant ? Si quelques magistrats ne rédigent pas d’écrit et indiquent seulement que le mineur a été entendu, le décret relatif à l’audition de l’enfant en justice stipule que « dans le respect de son intérêt il est fait un compte- rendu». Ce type de compte-rendu diffère d’un procès-verbal. L’enfant, en principe, s’exprime avec liberté devant le juge aux affaires familiales. Dans certaines séparations, en particulier celles qui sont fortement conflictuelles, on peut craindre que la connaissance qu’ont les parents des propos et sentiments de l’enfant ne lui soit préjudiciable. Sa liberté de parole, son droit d’expression se retourneraient alors contre lui. En même temps, il est nécessaire de respecter le principe du contradictoire ; un équilibre est donc à trouver entre ce qui est dit, transcrit et ce qui peut en être tiré par les parties, afin d’assurer protection de l’enfant et principe du contradictoire. (..) Entre respect du droit de l’enfant et souci de sa protection, risque du poids du secret, nécessité de respecter le contradictoire, les pratiques, certes garantes du droit, doivent conserver une marge d’adaptation."
Dans le domaine pénal, le rapport revient sur les auditions libres de mineurs. Il y est écrit, notamment :
"Entendu en audition libre, l’enfant, théoriquement, n’est pas sous le régime de la contrainte: il pourrait quitter quand il le veut les locaux de la police ou de la gendarmerie où il est entendu et où il serait venu de sa propre volonté. Généralement, il reconnaît dans le procès-verbal d’audition qu’il a été informé de la nature et de la date de l’infraction qu’on le soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie. Sa liberté d’aller et venir, sa présence volontaire dans ces lieux et donc son droit de mettre fin à tout moment à l’audition apparaissent cependant comme une affirmation de principe, l’adolescent ou, plus encore l’enfant, osent-ils affirmer cette liberté ? Ils restent impressionnés par le contexte. De plus, ses parents ne sont pas avertis de sa présence, il ne dispose pas d’un avocat et ses déclarations ne sont pas enregistrées. La question du consentement à l’audition se pose très clairement. L’enfant, dépourvu de capacité juridique, peut-il consentir à son audition et ce d’autant que l’audition hors garde à vue n’est pas conditionnée à un âge minimum, comme cela peut être le cas en matière de rétention ou de garde à vue ? Ainsi, comme souligné précédemment, un enfant de moins de dix ans peut être entendu dans le cadre d’une audition libre. Or, a-t-il le discernement suffisant pour comprendre les tenants et les aboutissants de la procédure, et, en connaissance de cause, accepter de s’y soumettre ?" (..)
"Paradoxalement, l’enfant entendu en audition libre est moins protégé que s’il était en garde à vue c’est-à-dire privé de liberté. Certes il n’est pas question de renoncer à l’audition libre au profit d’une garde à vue systématique, mais que, l’audition hors garde à vue soit « impérativement encadrée par la loi.»
A propos des avocats d'enfants le défenseur écrit :
"(..) les avocats, comme le soulignent ceux rencontrés par la Défenseure des enfants, insistent sur leur rôle de «passeur de parole». Les jeunes concernés ayant souvent de grandes difficultés pour s’exprimer (comme le reconnaissent tous les professionnels), une verbalisation et la mentalisation de leurs actes souvent difficiles. Par exemple, en matière d’agression, sexuelle notamment, avocats comme magistrats et professionnels du monde médico-social partagent le même constat : la grande majorité des mineurs auteurs ont été, ou sont eux-mêmes victimes de telles agressions." (..)
"Les magistrats insistent sur l’importance pour un jeune d’être défendu par le même avocat tout au long de son parcours judiciaire, qu’il s’agisse d’une seule procédure ou de la même procédure en appel; ou encore, comme c’est souvent le cas, de plusieurs procédures le concernant. Par exemple, un avocat peut intervenir lors de la garde à vue et un autre dans la suite de la procédure. L’avocat et le jeune se connaissant, au fil du temps la confiance est plus assurée et l’avocat défend son client en ayant mieux approché sa personnalité et ses capacités. C’est loin d’être le cas. Le rôle de l’avocat ne cesse pas au moment du verdict et devrait trouver toute sa place et son efficience lorsque le mineur est incarcéré. Il serait opportun qu’il puisse intervenir au cours de l’exécution des peines et jouer un rôle déterminant dans les aménagements de peine."
Parmi les proposition formulées on retiendra celles-ci :
- Reconnaître une présomption de discernement à tout enfant qui demande à être entendu par le juge dans une procédure qui le concerne. Le magistrat entendant l’enfant qui le demande pourra alors apprécier son discernement et sa maturité.
- Conférer à l’enfant témoin un statut juridique précis qui lui garantisse des droits et prenne en compte la vulnérabilité due à sa minorité. Ce statut serait réservé aux enfants témoins des affaires les plus graves.
- Promouvoir activement auprès des enfants et adolescents des éléments d’information et de compréhension d’une «justice adaptée aux enfants» afin qu’ils soient en mesure de connaître les processus judiciaires, les droits qui sont les leurs, la façon de les exercer et les accompagnements dont ils peuvent bénéficier.
- Faire connaître à l’enfant avec pédagogie ce que devient la parole qu’il a exprimée devant la justice.
- Inciter les juges aux affaires familiales, sous l’impulsion de la chambre de la famille, à harmoniser leurs pratiques afin d’éviter des inégalités de traitement entre les enfants, d’assurer le respect du principe du contradictoire, de protéger l’enfant contre l’instrumentalisation de ses propos.