L'absentéisme scolaire et la suppression des allocations familiales
Par Michel Huyette
Ce texte a été mis en ligne le 21 avril 2010, puis mis à jour le 22
Faut-il vraiment commenter l'annonce du chef de l'Etat qui, en déplacement, a indiqué pour la enième fois que dorénavant, en cas d'absentéisme scolaire persistant des enfants, les allocations familiales seraient "systématiquement" supprimées aux parents ?
Non si l'on a en tête que la même affirmation est lancée une demi douzaine de fois par an, dès qu'il semble nécessaire aux autorités de reprendre la main sur le débat politique et pour cela de se replacer sur le terrain de la sécurtié, comme avant chaque élection importante.
Oui si l'on considère qu'il s'agit d'un sujet très important et qu'il est parfois indispensable de mettre en lumière les contre-vérités les plus grossières et de remettre certaines choses à leur place.
Rappelons d'abord que la suspension des prestations familiales n'est pas une nouveauté. C'est même un véritable serpent de mer législatif qui apparaît puis disparaît au fil du temps et des changements de majorité politique. Actuellement, mentionnons "le contrat de responsabilité parentale" (art. L 222-4-1 du code de l'action sociale et des familles) qui permet au président de chaque conseil général, "lorsqu'il constate que les obligations incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n'ont pas été respectées", de "demander au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales la suspension du versement de tout ou partie des prestations afférentes à l'enfant". Il semblerait que cette disposition ne soit que très peu voire jamais appliquée par les départements.
Quoi qu'il en soit, personne ne doute qu'il soit indispensable de lutter contre l'absentéisme scolaire, dont les conséquences sont souvent dramatiques et cela sur le long terme : impossibilité de poursuivre des études, orientation vers des filières non souhaitées, perte d'estime de soi, marginalisation, rapprochement avec d'autres mineurs à la dérive, constitution de bandes, comportements déstructurés, délinquance. Tous les professionnels de terrain savent parfaitement que l'absentéisme scolaire est le point de départ de bien des dérives.
Certes. mais le problème essentiel n'est pas là.
Comme je l'ai déjà souligné dans un précédent article, à propos d'une idée voisine qui est la mise sous tutelle des allocations familiales des parents de mineurs qui commettent des actes de délinquance, il serait intéressant que les responsable politiques nous expliquent en quoi une action sur les allocations familiales est de nature à favoriser un meilleur fonctionnement de la famille.
D'abord, la suppression des allocations familiales est envisagée en termes de sanction. Autrement dit, ce qui est annoncé c'est qu'en cas d'absentéisme scolaire d'enfants on veut punir leurs parents. Cela suppose donc que les parents soient eux-mêmes à l'origine de cet absentéisme. Sinon punir des personnes qui ne sont pas responsables de la défaillance pointée du doigt est aberrant.
Mais a-t-on entendu une seule fois des responsables politiques nous expliquer être allé personnellement dans les tribunaux pour enfants, dans les services éducatifs publics et privés, avoir lu de nombreux rapports de travailleurs sociaux, et y avoir trouvé la preuve que l'absentéisme a pour origine principale une défaillance des parents ? Non, jamais.
Quand nous ont-il expliqué avoir constaté, preuves à l'appui, que la suppression des allocations familiales permet efficacement de résoudre le problème de l'absentéisme scolaire ? Jamais.
Au demeurant ils seraient bien en peine de le faire, cela pour des raisons simples.
Un enfant ne choisit pas de fuir l'école pour le plaisir de se marginaliser. Et l'objectif des parents est rarement de voir leur enfant grandir aussi mal que possible (1). La plupart du temps, l'absentéisme n'est qu'un moyen de ne plus se retrouver en trop grande difficulté dans une école où l'on est devenu le mauvais élève qui au mieux laisse indifférent, au pire agace et suscite désapprobation et sarcasmes. Pour certains enfants, la souffrance qui découle de l'incapacité à comprendre les enseignements et à intégrer le groupe est telle que, inconsciemment, vient l'envie d'être ailleurs, afin de ne plus avoir à baisser la tête dans la crainte d'être interrogé et, une fois de plus, de ne pas savoir répondre.
Le refus d'aller à l'école peut aussi, chez l'enfant, être la conséquence d'un malaise qui trouve son origine principale dans un conflit sévère avec un enseignant, des violences ou du racket de la part d'autres élèves, des troubles de la personnalité, et cela sans que les parents en aient connaissance ou suffisamment conscience.
C'est pourquoi poser un principe de suppression des allocations familiales en sous-entendant qu'il n'y a pas lieu de s"interroger sur les motifs de l'absentéisme a quelque chose de surréaliste.
Les parents, ceux que les professionnels rencontrent tous les jours, sont pour la grande majorité d'entre eux particulièrement démunis.Et certains d'entre eux, comme la loi leur permet, décident de demander de l'aide au service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) de leur département (art. L 221-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles) voire directement au juge des enfants (art. 375 du code civil). On imagine difficilement, dans de telles configurations de reconnaissance des difficultés et de demandes d'aide, une réponse des professionnels en termes de : "d'accord vous êtes conscients des problèmes et vous voulez vraiment trouver des solutions, mais on va commencer par vous supprimer les allocations familiales, on verra ensuite ce que l'on peut faire pour vous aider". Scénario absurde ? Non puisque le chef de l'Etat a parlé de suppression des allocations "systématique" en cas d'absentéisme. Enfin, si les mots ont un sens....
Sans doute certains parents sont-ils parfois maladroits, sans doute ne savent-ils pas toujours négocier au mieux avec les institutions qui les sollicitent, sans doute se braquent-ils parfois trop vite quand ils se sentent mis en cause. Mais quoi qu'il en soit, plus que rares sont les parents qui encouragent, ou au moins tolèrent passivement l'absentéisme scolaire de leurs enfants. Et nombreux sont ceux qui demandent avec insistance aux professionnels de les aider à résoudre les difficultés rencontrées avec leurs enfants. C'est pourquoi, à supposer même que cela puisse être efficace, proposer de sanctionner l'absentéisme par la suppression des allocations familiales sans faire la distinction entre les familles dans lesquelles les parents sont indifférents voire encouragent leurs enfants et celles dans lesquelles ils font tout ce qu'ils peuvent pour empêcher ou au moins freiner cet absentéisme a, répétons le, quelque chose d'aberrant.
On sait également que dans certaines régions, des familles sont frappées de plein fouet par la crise économique, notament après des restructurations ou disparitions d'entreprises ayant entraîné des licenciements économiques. Pendant certaines périodes, les allocations familiales sont pour des familles la bouée de sauvetage leur permettant tout juste de ne pas sombrer dans la grande pauvreté. Qui va nous expliquer en quoi il peut être utile, pour toute la famille, de supprimer tout ou partie de la ressource principale au seul motif que l'un des enfants manque l'école ? En quoi le fait de rajouter de nouvelles difficultés importantes, tant matérielles que psychologiques (les soucis financiers sont souvent à l'origine de graves conflits entre les adultes) va aider les familles concernées à remonter la pente ?
Par ailleurs, lier absentéisme scolaire et suppression des allocations familiales, c'est mettre entre les mains des enfants le devenir de leur famille. Est-il raisonnable de transmettre le message à un mineur que s'il retourne à l'école l'argent rentre dans la famille, et qu'au contraire s'il n'y va pas l'argent est supprimé ? Supposons un instant que le mineur soit en conflit avec ses parents. Ne va-t-il pas être tenté, consciemment ou non, de se maintenir en dehors de l'école s'il veut infliger un désagrément à ses parents ? Il y a sans doute plus efficace pour aider une telle famille à remonter la pente.
Terminons par l'essentiel.
L'expérience du terrain nous le montre de façon flagrante. Ce dont les familles en grandes difficultés ont d'abord besoin, c'est d'un soutien massif que la plupart réclament et sont prêtes à mettre en oeuvre. Dans le domaine de la scolarité, ce qui fait encore défaut même si des progrès ont été accomplis, c'est la mise en oeuvre immédiate d'un soutien scolaire d'ampleur dès la première apparition d'une difficulté importante d'apprentissage (2). En clair, le seul objectif politique raisonnable et utile n'est pas de sanctionner quand le mal est fait. C'est d'empêcher qu'un premier retard d'apprentissage se transforme en retard important, puis en échec scolaire, puis en fuite de l'école. Au demeurant, cela est une problématique qui va bien au-delà du seul préimètre scolaire (3).
Mais voilà, cela suppose d'interroger les politiques publiques et, de fait, notre capacité à la solidarité.
Pour cela il faut du courage politique, le courage de mettre en avant ce qui est fait, mais aussi ce qui ne l'est pas. Alors, quand ce courage n'existe pas, il est plus simple, une fois encore, de désigner des responsables sur qui va pouvoir être transférée et peser la responsabilité des échecs. C'est le traditionnel "c'est pas moi c'est les autres". On le comprend de la part des enfants de la cour d'école quand ils se font prendre sur le fait par l'instituteur.
Mais comme projet politique c'est peu enthousiasmant.
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1. A propos de la délinquance des mineurs, cf. cet autre article.
2. Sur l'échec scolaire un autre article.
3. Quand une famille comprenant plusieurs enfants ne se voit proposer qu'un petit logement qui impose de mettre plusieurs enfants dans la même chambre, sans même un petit espace individuel et tranquille, comment s'étonner que les leçons soient mal intégrées.