Il est toujours très difficile de juger les personnes psychologiquement gravement perturbées
Par Michel Huyette
En 2007 était publié sur ce blog un article intitulé "Faut-il juger les fous" (lire ici). L'actualité judiciaire récente incite à revenir sur ce sujet particulièrement délicat.
Rappelons d'abord que, contrairement à ce que l'on peut penser dans un premier temps, la gravité d'un acte et/ou son caractère spécialement révoltant n'impliquent pas systématiquement l'existence, chez son auteur, d'une forte perturbation mentale. A ce titre le visiteur pourra se reporter à un autre article publié sur ce blog et intitulé : "Des criminels presque ordinaires" (lire ici).
Il n'empêche que certains des auteurs de crimes présentent des troubles plus ou moins importants de la personnalité, pouvant aller jusqu'à de graves pathologies psychiatriques.
Il existe dans le code pénal des dispositions spécifiques permettant de répondre de façon adaptée à ce genre de situation, le principe de base étant simple quand bien même sa mise en oeuvre est très délicate : Une personne qui au moment où elle a commis son crime était dans un état mental tellement dégradé qu'elle n'était plus en état de contrôler ses actes ne peut pas être condamnée pénalement et doit faire l'objet d'une prise en charge psychiatrique aussi longtemps que cet état délabré et par voie de conséquence sa dangerosité persistent.
C'est ce que l'article 122-1 du code pénal (texte ici) prévoit en ces termes :
" N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime.".
Traduit en termes du langage ordinaire (dont il faut toutefois se méfier tant il peut y avoir de malentendus et d'incompréhension autour de certains mots) cela donne deux principes bien connus des étudiants en droit :
1. Une personne qui était tellement perturbée au moment de la commission de son crime qu'elle ne maîtrisait plus rien de ce qu'elle faisait ne peut pas être condamnée par une juridiction pénale, cela quand bien même il est démontré qu'elle a bien commis les faits criminels.
2. Une personne qui se rendait compte de ce qu'elle faisait tout en étant relativement perturbée doit être déclarée coupable mais doit bénéficier d'une réponse judiciaire adaptée. On précisera, sans s'y attarder car ce n'est pas le sujet du jour, que si l'idée du texte c'est de condamner moins sévèrement une personne partiellement perturbée, c'est fréquemment le contraire qui se produit car cette perturbation est souvent analysée comme un facteur de dangerosité et donc de récidive.
Enoncer et comprendre les principes juridiques précités est simple et accessible à tous. C'est leur mise en pratique qui est redoutablement difficile dans certaines situations.
D'abord parce que, à la différence des mathématiques, la psychiatrie n'est pas et ne sera jamais une science exacte. Rares sont les criminels dont l'état de santé mentale les fait rentrer clairement et simplement dans les catégories mentionnées dans les ouvrages de psychiatrie. Autrement dit, au-delà des rares cas d'école pour lesquels le diagnostic des professionnels est unanime, dans la grande majorité des situations il s'agit d'états intermédiaires. Pour le dire autrement encore il y a, entre le blanc et le noir aisément identifiables, d'infinies nuances de gris. Et ce sont la plupart du temps ces nuances subtiles que l'on demande aux psychiatres de décrire et de diagnostiquer.
C'est pour cela que, d'un point de vue théorique, on doit admettre que d'un psychiatre à l'autre l'examen d'un même individu aboutisse à des conclusions qui ne sont pas exactement les mêmes. Et cela sans pouvoir dire aisément, de l'extérieur, lequel à plus raison que l'autre. Et tout ceci n'a rien d'aberrant, sauf en cas d'erreur de diagnostic patente de l'un d'entre eux, ce qui est très peu fréquent.
En plus, dans les dossiers judiciaires, il faut bien avoir en tête que les psychiatres chargés d'expertiser la personne mise en examen dans une affaire criminelle ne vont pas la rencontrer de nombreuses fois, ni observer son évolution dans le temps. Ce ne sont pas des soignants qui observent et qui rencontrent régulièrement leur patient, et qui bénéficient des informations fournies par le personnel d'un établissement de soin. La plupart du temps, les psychologues et psychiatres expert rencontrent l'intéressé une fois, parfois deux, exceptionnellement plus pour les cas les plus complexes. Au demeurant, au regard de la faiblesse des rémunérations qui leur sont accordées, personne ne peut exiger plus de leur part (cf. ici).
Pour les magistrats et les jurés, quand les experts n'aboutissent pas aux mêmes conclusions, il est très difficile de trancher. La première option est de s'improviser expert à son tour, mais la plupart du temps le niveau du débat ne dépasse pas celui du café du commerce, faute des compétences requises. Ce n'est pas pour rien qu'un psychiatre ne le devient qu'après presque dix années d'études.
En plus, et c'est tout aussi important en matière de justice, il est exclu de s'orienter vers une décision pour satisfaire l'une des parties au procès, pour éviter une souffrance supplémentaire, ou pour aller dans le sens de l'opinion publique, si versatile d'une affaire à l'autre, ou vers un souhait politique souvent plus électoraliste qu'au service d'une véritable justice.
Alors une fois entrés dans la salle des délibérés, les trois magistrats professionnels et les 6 (9 en appel) jurés sont à la peine. Ils doivent tenter, à travers les éléments qui leur ont été apportés à l'audience, en réflechissant ensemble, de cheminer vers une décision raisonnable.
Quand bien même ils savent, quand l'affrontement entre des thèses opposées a été vif à l'audience, que la décision finale sera en même temps vigoureusement approuvée et fortement rejetée.
Mais plaire à tous ne sera jamais l'objectif d'un juge.