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Publié par Parolesdejuges



  Quel que soit le sujet abordé et étudié, pour mieux comprendre le présent un regard en arrière est toujours utile.

  C'est en cela qu'est particulièrement intéressant le livre que Benoît Garnot vient de publier aux éditions Nouveau Monde (leur site), et qui est intitulé "Histoire des juges en France".

Garnot

  Professeur d'histoire, spécialiste de la justice et de la criminalité, B. Garnot part, dans son préambule, des fréquents malentendus entre l'opinion publique et les juges. Il raconte, exemples à l'appui, comment le regard porté sur les juges a évolué au fil du temps. Et il n'a pas toujours été flatteur.  Mais il relève aussi, à juste titre : "Les sondages d'opinion contemporains fournissent aussi des jugements globaux sur l'ensemble du corps judiciaire; ces jugements ne préjugent pas des opinions, souvent beaucoup plus positives, que peuvent avoir les justiciables sur tel ou tel juge avec lequel ils ont eu l'occasion d'entrer directement en rapport."


  Dans un premier chapitre, B. Garnot explique comment, à la fin du Moyen Age et pendant l'Ancien régime, la magistrature s'est constituée en un puissant corps social. Nous avons oublié, depuis longtemps, qu'à une époque bien des postes étaient des "offices" au prix d'achat parfois très élevé. Il explique également que la vénalité des offices et leur patrimonialité ont, à cette époque, permis la constitution de dynasties judiciaires. Certains jugent bénéficiaient alors d'une richesse considérable, étaient propriétaires de leur charge, et installés quasiment héréditairement dans leur fonction. Mais en même temps, pour les juges des juridictions inférieures, les revenus étaient très faibles et leurs avantages étaient essentiellement, comme il l'écrit, dans les honneurs et les privièges.

  B. Garnot explique aussi que pendant une période la compétence juridique n'a pas été le critère essentiel. Il était exigé des juges plutôt des qualités morales éminentes, au sens de l'époque. A tel point qu'il était observé comment il se comportaient en dehors de la juridiction, jusque leur façon de se déplacer dans la rue.

  Dans un deuxième chapitre B. Garnot décrit ce qu'il appelle les faiblesses sous-jacentes qui, dans l'Ancien Régime, ont empêché les juges d'occuper la place de premier plan qu'ils revendiquaient. Soit parce que l'activité professionnelle passait au second plan, la carrière n'étant pas une préoccupation, soit parce que les conditions matérielles de travail étaient mauvaises. Mais aussi du fait de la vénalité des charges.

  Il raconte par ailleurs les nombreux conflits entre les parlements et la monarchie.

  Le troisième chapitre s'intitule "L'illusion et le doute" et couvre la période 1798-1958. B. Garnot décrit comment la suppression de la vénalité des charges, remplacée par la nomination des juges, les a fait passer sous la coupe de l'Etat. La Révolution avait décidé de reconstruire entièrement l'ordre judiciaire.

  C'est l'occasion de découvrir tous les soubresauts législatifs autour du statut des magistrats et de leur plus ou moins grande indépendance, le principe affiché d'inamovibilité n'ayant pas toujours été un gage d'indépendance réelle. Car, comme il le raconte, il y a bien eu une prise en main de la justice par le pouvoir politique.


  B. Garnot nous raconte également la création des juges de paix par la Révolution et ses conséquences en termes de fracture du corps judiciaire.

  Le lecteur d'aujourd'hui trouvera étonnant de lire qu'à cette époque la magistrature du siège était de fait contrôlée par la magistrature du Parquet, ce dernier étant l'instrument de contrôle des gouvernants. Et apprendra que bien avant la seconde guerre mondiale il y avait eu d'autres épurations au sein de l'institution judiciaire.

  Peut-être les actuels présidents de cour d'assises liront-ils avec nostalgie qu'en application d'un décret de 1811 leurs prédécesseurs étaient rejoints avant leur arrivée au chef lieu du département par une escorte de gendarmerie venue à leur rencontre, puis accueillis et salués par les officiers de garnison, le maire, ses adjoints, et leurs collègues magistrats....

  Les magistrats d'aujourd'hui ne regretteront pas les années pendant lesquelles la formation des futurs magistrats était très limitée. Et B. Garnot nous indique que jusqu'en 1852 on trouvait dans les juridictions des magistrats nonagénaires, souvent infirmes, quelquefois séniles !

  Dans un quatrième chapitre B. Garnot décrit la mutation de la période allant de la fin du XIXème siècle à 1958, avec un corps judiciaire anémié et affaibli, une grave crise des recrutements, une banalisation du statut et une nettement moindre richesse personnelle. En même temps il constate que la magistrature de cette époque n'a pas su accompagner les changements de la société, et était souvent perçue comme surranée et anachronique.

  B. Garnot nous apprend que les femmes n'ont été admises dans la magistrature qu'en 1946 (une seule s'est présentée cette année là). Les premières ne se doutaient sans doute pas que quelques dizaines d'années plus tard elles seraient très majoritaires.

  Puis s'est produit ce que B. Garnot appelle "un nouveau départ", entre 1959 et l'époque actuelle.

  La profession a été réunifiée et revalorisée, avec de grandes réformes en 1958, la composition sociale du corps a évolué, avec l'arrivée de nombreux magistrats issus des classes moyennes en parralèle à un rajeunissement du personnel. Et, au coeur du dispositif, la nouvelle école créée pour les magistrats. Quand bien même, rappelle-t-il fort justement, l'Etat et sans doute la société française ne s'est jamais vraiment fait à l'idée qu'une bonne justice, avec un nombre de magistrats suffisants, supposait un investissement financier important.

  B. Garnot analyse aussi la considérable évolution des relations entre le pouvoir politique et la magistrature, la seconde s'autorisant progressivement à appliquer la loi à tous, sans exception.  Il s'interroge toutefois sur l'indépendance réelle de la magistrature, analyse l'arrivée du syndicalisme, le rôle du Conseil Supérieur de la Magistrature.

  Dans un chapitre 7 l'auteur s'interroge sur le "bien juger". Il retraverse les étapes successives d'une procédure, pénale ou civile, rappelle que depuis longtemps le rôle du juge est d'interpréter des textes qui souvent ne fixent que des principes généraux, d'où l'éternel débat sur la marge d'appréciation à laisser aux juges.

  Dans un dernier chapitre intitulé "Juger les juges" B. Garnot présente les modalités de mise en cause des magistrats à travers le temps, s'interroge sur la nature des fautes qui peuvent être commises et les sanctions envisageables, et tout autant sur la nécessaire protection de l'institution judiciaire.


  A fil des pages l'auteur présente quelques portraits qui viennent colorer les explications théoriques.


  Au final, un livre qui intéressera tous les magistrats mais au-delà tous ceux qui se sentent concernés par la justice.

 

 

 

 

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