Faut-il mieux protéger papy et mamie ?
Par Michel Huyette
Et c'est reparti.
A peine apprend-on l'agression dont ont été victimes deux personnes âgées, que, selon les medias, le ministre de l'intérieur promet de durcir les sanctions contre ceux qui s'en prennent à nos aînés.
L'envie est forte de n'accorder à cela qu'une attention minimale, tant le procédé qui consiste à proclamer que l'on va modifier la législation en vigueur à chaque fait divers est devenu une constante dans la pratique politique depuis quelques années. Les mots remplacent de plus en plus l'action, l'objectif étant de montrer au citoyen-électeur que le pouvoir est présent au plus près de ses préoccupations. Au demeurant, à l'approche d'élections régionales, il peut être intéressant de flatter un troisième âge de plus en plus nombreux.
Ce qui a toutefois changé cette fois-ci, c'est la réaction de la ministre de la justice, qui a fait valoir d'une part l'inutilité d'une modification de la loi, et d'autre part le risque de l'empilement législatif désordonné et précipité. C'est exactement ce que les professionnels rappellent fréquemment, sans malheureusement être toujours entendus.
* S'agissant de l'utilité de modifier la loi, la réponse, négative, saute aux yeux à la lecture du code pénal.
Le meurtre est, déjà, puni de 30 ans de prison (art. 221-1 du code pénal). Et il existe une circonstance aggravante, qui porte la peine encourue à la réclusion à perpétuité quand le meurtre est commis sur "une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge (..) est apparente ou connue de son auteur" (art. 221-4, 3° du code pénal). Cette aggravation de la sanction est donc applicable quand, par exemple, le cambrioleur armé voit parfaitement que la personne qui lui fait face est très âgée et que pourtant il tire sur elle pour permettre sa fuite. Le seul débat consiste à se demander à partir de quel âge une personne est par nature vulnérable. De nos jours papy et mamie sont parfois très alertes et en plein forme.
La peine encourue pour le meurtre d'une personne âgée étant déjà maximale, soit la réclusion à perpétuité, le ministre de l'intérieur va rencontrer quelques difficultés au moment de ré-écrire le texte pour en aggraver les effets.
Cette circonstance aggravante se retrouve dans le code pénal s'agissant des coups entraînant la mort sans intention de la donner. C'est le cas quand un cambrioleur pour se sauver bouscule violemment une personne âgée, qui tombe, dont la tête heurte une surface dure, et qui en conséquence décède. La peine normalement encourue est de 15 années de prison (art. 222-7), et la vulnérabilité de la victime due à son âge (même formulation que pour le meurtre) la porte à 20 années (art. 222-8, 2°).
Sans doute peut-on ici aggraver la sanction, et la porter à 30 années de prison. Mais cela aurait pour effet d'assimiler la mort issue de violences données sans aucune intention de tuer et le meutre ,c'est à dire la volonté consciente et ferme de tuer. Cela serait incompréhensible.
Il en va de même pour les autres violences (art. 222-9 et svts), ou pour le viol : 15 ans d'ordinaire, 20 ans sur une personne vulnérable du fait de son âge (art. 222-23 et svts).
Notons enfin que, pour ce qui concerne des faits plus fréquents, que le vol puni de 3 ans de prison devient punissable de 5 ans de prison quand "il est facilité par l'état d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge (..) est apparente ou connue de son auteur" (art. 311-4).
* Mais venons en à l'essentiel autour de ce débat.
Sur les ondes d'une station de radio, le ministre de l'intérieur a déclaré, entre autres annonces, envisager que la peine maximale, actuellement de 7 années pour le vol commis avec des violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de 8 jours (art. 311-5) soit portée à 10 années de prison si une personne âgée est victime.
Vous qui (parmi les non spécialistes du droit pénal) visitez ce blog en ce moment, connaissiez-vous avant de parcourir la première partie de cet article les peines encourues pour chacune des infractions citées ? Et si vous avez des enfants mineurs, connaissent-ils, eux, les sanctions applicables ? Vos enfants savent-ils par ailleurs que si jusque 16 ans le maximum de la peine qui peut leur être infligé est la moitié de la peine encourue par les adultes, à 17 et 18 ans cette réduction de moitié n'est plus automatiquement appliquée ?
Non ? Ne vous tracassez pas, on ne peut pas tout savoir.....
Quoi qu'il en soit, cela nous conduit à l'interrogation suivante.
L'aggravation des sanctions nous est présentée comme un moyen de réduire le nombre des actes de délinquance. C'est la peine considérée comme instrument efficace de dissuasion.
Cela est réel dans certains cas. Par exemple, depuis quelques années les automobilistes font beaucoup plus attention à leur conduite parce que tous connaissent les risques encourus et notamment le mécanisme du retrait de points.
Mais il est absurde d'imaginer qu'en faisant passer les peines encourues pour telle infraction de 5 à 7 ans, ou de 7 à 10 ans, on va réduire la délinquance quand si peu de personnes connaissent les peines actuelles. Le cambrioleur qui n'a pas la moindre idée précise de ce qu'il risque (à part "de la prison") s'il fracture la porte du pavillon ne restera pas sur le trottoir parce qu'une loi dont il n'aura jamais entendu parler lui fera risquer 2 ou 3 années de plus.
Pour que l'aggravation des sanctions soit efficace, il faudrait mettre devant chaque pavillon de retraité une petite pancarte rappelant les peines encourues en cas de vol ou d'agression, en précisant bien visiblement l'âge des habitants, ou, au moins, diffuser à tous les français, à chaque vote d'une nouvelle loi, un document écrit expliquant les modifications du code pénal.
Cela ne semble pas envisagé par le ministre de l'intérieur.
* Il faut savoir que, même en l'état des textes en vigueur, il est statistiquement rare que les peines maximales soient prononcées par les juges. Cela signifie que pour un délit puni de 5 ans de prison, si l'on constate que les peines prononcées sont pour la plupart situées entre 1 et 3 années, l'utilité de porter le maximum à 7 pour les mêmes faits est incertaine.
Autrement dit, pour une infraction déterminée, la modification de la peine maximale n'a de sens que s'il apparaît que la peine actuelle encourue est très souvent prononcée et que les magistrats, procureurs et juges, regrettent au regard des faits et des personnalités de ne pas pouvoir prononcer plus souvent des peines nettement plus sévères que celles inscrites dans le code pénal.
Enfin, il est peu logique d'augmenter les peines encourues quand les sanctions aujourd'hui prononcées, moindres que le maximum encouru la plupart du temps, ne sont pas contestées par la voie de l'appel par un ministère public pourtant directement rattaché au gouvernement.
Papy et mamie sont peut-être ravis qu'au gouvernement on soit soucieux de leur bien être. Peut-être sauront-ils s'en souvenir au moment de mettre leur prochain bulletin de vote dans l'urne. L'effet finalement souhaité sera peut-être obtenu.
Mais du côté du juriste, et du citoyen qui regarde la politique avec un peu d'esprit critique, on ne trouve là rien de bien sérieux.
On rendra grâce à la ministre de la justice de l'avoir publiquement rappelé.
A peine apprend-on l'agression dont ont été victimes deux personnes âgées, que, selon les medias, le ministre de l'intérieur promet de durcir les sanctions contre ceux qui s'en prennent à nos aînés.
L'envie est forte de n'accorder à cela qu'une attention minimale, tant le procédé qui consiste à proclamer que l'on va modifier la législation en vigueur à chaque fait divers est devenu une constante dans la pratique politique depuis quelques années. Les mots remplacent de plus en plus l'action, l'objectif étant de montrer au citoyen-électeur que le pouvoir est présent au plus près de ses préoccupations. Au demeurant, à l'approche d'élections régionales, il peut être intéressant de flatter un troisième âge de plus en plus nombreux.
Ce qui a toutefois changé cette fois-ci, c'est la réaction de la ministre de la justice, qui a fait valoir d'une part l'inutilité d'une modification de la loi, et d'autre part le risque de l'empilement législatif désordonné et précipité. C'est exactement ce que les professionnels rappellent fréquemment, sans malheureusement être toujours entendus.
* S'agissant de l'utilité de modifier la loi, la réponse, négative, saute aux yeux à la lecture du code pénal.
Le meurtre est, déjà, puni de 30 ans de prison (art. 221-1 du code pénal). Et il existe une circonstance aggravante, qui porte la peine encourue à la réclusion à perpétuité quand le meurtre est commis sur "une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge (..) est apparente ou connue de son auteur" (art. 221-4, 3° du code pénal). Cette aggravation de la sanction est donc applicable quand, par exemple, le cambrioleur armé voit parfaitement que la personne qui lui fait face est très âgée et que pourtant il tire sur elle pour permettre sa fuite. Le seul débat consiste à se demander à partir de quel âge une personne est par nature vulnérable. De nos jours papy et mamie sont parfois très alertes et en plein forme.
La peine encourue pour le meurtre d'une personne âgée étant déjà maximale, soit la réclusion à perpétuité, le ministre de l'intérieur va rencontrer quelques difficultés au moment de ré-écrire le texte pour en aggraver les effets.
Cette circonstance aggravante se retrouve dans le code pénal s'agissant des coups entraînant la mort sans intention de la donner. C'est le cas quand un cambrioleur pour se sauver bouscule violemment une personne âgée, qui tombe, dont la tête heurte une surface dure, et qui en conséquence décède. La peine normalement encourue est de 15 années de prison (art. 222-7), et la vulnérabilité de la victime due à son âge (même formulation que pour le meurtre) la porte à 20 années (art. 222-8, 2°).
Sans doute peut-on ici aggraver la sanction, et la porter à 30 années de prison. Mais cela aurait pour effet d'assimiler la mort issue de violences données sans aucune intention de tuer et le meutre ,c'est à dire la volonté consciente et ferme de tuer. Cela serait incompréhensible.
Il en va de même pour les autres violences (art. 222-9 et svts), ou pour le viol : 15 ans d'ordinaire, 20 ans sur une personne vulnérable du fait de son âge (art. 222-23 et svts).
Notons enfin que, pour ce qui concerne des faits plus fréquents, que le vol puni de 3 ans de prison devient punissable de 5 ans de prison quand "il est facilité par l'état d'une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge (..) est apparente ou connue de son auteur" (art. 311-4).
* Mais venons en à l'essentiel autour de ce débat.
Sur les ondes d'une station de radio, le ministre de l'intérieur a déclaré, entre autres annonces, envisager que la peine maximale, actuellement de 7 années pour le vol commis avec des violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de 8 jours (art. 311-5) soit portée à 10 années de prison si une personne âgée est victime.
Vous qui (parmi les non spécialistes du droit pénal) visitez ce blog en ce moment, connaissiez-vous avant de parcourir la première partie de cet article les peines encourues pour chacune des infractions citées ? Et si vous avez des enfants mineurs, connaissent-ils, eux, les sanctions applicables ? Vos enfants savent-ils par ailleurs que si jusque 16 ans le maximum de la peine qui peut leur être infligé est la moitié de la peine encourue par les adultes, à 17 et 18 ans cette réduction de moitié n'est plus automatiquement appliquée ?
Non ? Ne vous tracassez pas, on ne peut pas tout savoir.....
Quoi qu'il en soit, cela nous conduit à l'interrogation suivante.
L'aggravation des sanctions nous est présentée comme un moyen de réduire le nombre des actes de délinquance. C'est la peine considérée comme instrument efficace de dissuasion.
Cela est réel dans certains cas. Par exemple, depuis quelques années les automobilistes font beaucoup plus attention à leur conduite parce que tous connaissent les risques encourus et notamment le mécanisme du retrait de points.
Mais il est absurde d'imaginer qu'en faisant passer les peines encourues pour telle infraction de 5 à 7 ans, ou de 7 à 10 ans, on va réduire la délinquance quand si peu de personnes connaissent les peines actuelles. Le cambrioleur qui n'a pas la moindre idée précise de ce qu'il risque (à part "de la prison") s'il fracture la porte du pavillon ne restera pas sur le trottoir parce qu'une loi dont il n'aura jamais entendu parler lui fera risquer 2 ou 3 années de plus.
Pour que l'aggravation des sanctions soit efficace, il faudrait mettre devant chaque pavillon de retraité une petite pancarte rappelant les peines encourues en cas de vol ou d'agression, en précisant bien visiblement l'âge des habitants, ou, au moins, diffuser à tous les français, à chaque vote d'une nouvelle loi, un document écrit expliquant les modifications du code pénal.
Cela ne semble pas envisagé par le ministre de l'intérieur.
* Il faut savoir que, même en l'état des textes en vigueur, il est statistiquement rare que les peines maximales soient prononcées par les juges. Cela signifie que pour un délit puni de 5 ans de prison, si l'on constate que les peines prononcées sont pour la plupart situées entre 1 et 3 années, l'utilité de porter le maximum à 7 pour les mêmes faits est incertaine.
Autrement dit, pour une infraction déterminée, la modification de la peine maximale n'a de sens que s'il apparaît que la peine actuelle encourue est très souvent prononcée et que les magistrats, procureurs et juges, regrettent au regard des faits et des personnalités de ne pas pouvoir prononcer plus souvent des peines nettement plus sévères que celles inscrites dans le code pénal.
Enfin, il est peu logique d'augmenter les peines encourues quand les sanctions aujourd'hui prononcées, moindres que le maximum encouru la plupart du temps, ne sont pas contestées par la voie de l'appel par un ministère public pourtant directement rattaché au gouvernement.
Papy et mamie sont peut-être ravis qu'au gouvernement on soit soucieux de leur bien être. Peut-être sauront-ils s'en souvenir au moment de mettre leur prochain bulletin de vote dans l'urne. L'effet finalement souhaité sera peut-être obtenu.
Mais du côté du juriste, et du citoyen qui regarde la politique avec un peu d'esprit critique, on ne trouve là rien de bien sérieux.
On rendra grâce à la ministre de la justice de l'avoir publiquement rappelé.