Encore un recul de la peine mort
Par Michel Huyette (magistrat)
Le 9 mars 2011, l'Etat de l'Illinois, aux USA, a décidé de supprimer la peine de mort de son arsenal répressif. Il devient ainsi le 16ème Etat abolitionniste (1).
Le débat autour de la peine de mort est aussi ancien que le châtiment lui-même, et il n'est sans doute pas arrivé à son terme, plusieurs pays appliquant encore aujourd'hui cette sanction définitive.
Il ne sera pas question aujourd'hui de relancer le débat, dont les paramètres sont connus. S'y retrouvent et s'y entrechoquent des considérations morales, philosophiques, religieuses, criminologiques, pour ou contre cette sanction. L'argumentaire est parfois sérieux, parfois il ne l'est pas. Et l'irrationnel y tient une bonne place.
Quoi qu'il en soit, il existe une raison, une seule, mais qui est imparable, de refuser la peine de mort. Et cette raison indiscutable, nous la trouvons dans la plupart des législations des pays démocratiques, et, en premier lieu, dans la loi française.
En effet, les articles 622 et suivants du code de procédure pénale (textes ici) prévoient une procédure de révision. Nous en avions déjà parlé (cf. ici) et je n'y reviens pas en détail. Rappelons seulement que cette procédure permet, quand un individu a été définitivement (2) condamné, et quand apparaissent postérieurement des éléments de nature à démontrer son innocence, d'annuler la condamnation et d'organiser un nouveau procès susceptible de déboucher sur un acquittement.
Même si les observateurs de la justice affirment parfois, à tort ou à raison, que la cour de cassation répugne à accepter la remise en cause de décisions pénales, il n'en reste pas moins que des révisions ont été décidées récemment en France.
Il y a environ une année (cf. ici pour plus de détails), la cour de cassation a ordonné la révision de deux procès. Dans l'un d'entre eux le condamné avait initialement reconnu être l'auteur d'un meurtre (lire ici) avant que de nouveaux éléments incitent sérieusement à penser qu'il n'est pas l'auteur du crime.
Rappelons également, comme cela a déjà été indiqué (cf. ici) qu'aux Etats Unis 6 individus condamnés à mort ont ensuite été innocentés en 2004, 12 en 2003, et 9 en 2002, et qu'en 2010 le gouverneur du Texas s'est ému de la situation d'un homme, Tim Cole, condamné pour viol en 1985 puis exécuté, et qui finalement a été innocenté grâce à des expertises ADN.
En 1999, Anthony Porter, un noir condamné à mort en 1983, a été libéré 48 heures avant son exécution puis innocenté (3)
Dans ces mêmes USA, des étudiants s'étant donné pour mission de vérifier la qualité de nombreux procès ont permis d'innocenté 216 condamnés (qui avaient à eux tous effectué 2.660 années de prison, et dont 70 % sont des noirs et 30 % des blancs...), dont 16 condamnés à mort (4).
Et une étude menée dans les années 90 a permis de repérer 381 cas d'erreurs judiciaires dans des affaires de meurtre (5).
Nous avons également appris en 2009 qu'en Grande Bretagne un homme de 57 ans condamné à la prison à vie pour meurtre et viol, et qui a passé 27 années derrière les barreaux, a finalement été innocenté grâce à de nouvelles analyses biologiques (cf. ici).
La conclusion apparaît vite inéluctable : puisque les erreurs parsèment l'histoire judiciaire de nombreux pays, et ont été découvertes y compris pour des personnes condamnées à tort à la peine capitale puis exécutées, et parce qu'il existe une procédure en révision, le fait que l'on puisse mettre à exécution une peine capitale injustifiée, en clair que l'on exécute un innocent, rend à lui seul totalement et définitivement impossible le maintien de la peine de mort dans un quelconque code pénal.
S'il est sans doute difficile d'aller expliquer à quelqu'un qui est resté pendant une longue période en prison que la peine lui a été infligée à tort et qu'il a perdu pour rien des années de son existence, il n'en reste pas moins que l'intéressé peut, au moins, tenter de profiter un peu plus heureusement de la période de vie qui lui reste.
Aller s'incliner devant une pierre tombale en regrettant que celui qui se trouve sous terre ait été exécuté sans raisons risque pour lui, et ses proches, d'être peu réconfortant.
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1. Le Monde du 10 mars 2011.
2. Définitivement signifie que tous les recours ont été utilisés (ou les délais expirés), autrement dit qu'il n'existe plus de juridiction supérieure à saisir.
3. Le Monde du 6 mars 2005.
4. Le Monde du 8 août 2008.
5. Le Monde du 4 février 2000.