Doit-on rejuger un acquitté de nouveau soupçonné ?
Par Michel Huyette
Les medias portent ces jours-ci à notre connaissance un évènement particulièrement rare : après qu'un homme ait été poursuivi pour séquestration et meurtre (femme tuée puis mutilée en 1987), condamné par deux cours d'assises puis acquitté par une troisième en 2008, de nouveaux éléments (expertise ADN de sang trouvé dans une poche du pantalon de la victime) apparus très récemment seraient de nature à démontrer son implication dans ce crime.
Il ne s'agira pas ici, évidemment, de commenter ces éléments, mais de s'interroger, au niveau du principe, sur ce qui peut être fait dans la cas où, après un acquittement, un nouvel élément vient rendre envisageable la participation au crime de la personne acquittée.
Il faut, pour comprendre l'enjeu du débat, rappeler une réalité préalable.
Comme nous l'avions déjà indiqué sur ce blog (lire ici), et comme chacun le sait tant cela est évident, les personnes déclarées non coupables par une juridiction pénale ne sont pas toutes innocentes. Parmi les personnes acquittées par les cours d'assises (ou relaxées par les tribunaux correctionnels pour les délits), il y celles qui sont effectivement non coupables, qui véritablement n'ont pas commis le crime poursuivi, et celles qui, bien qu'ayant participé à la commission du crime, échappent à la sanction parce que les enquêteurs n'ont pas réussi à réunir suffisamment de preuves.
Mais comme nous l'avons souligné aussi avec force, il est hors de question, pour quiconque est acquitté, de sous-entendre quoi que ce soit. Un acquitté doit toujours être considéré comme n'ayant pas commis le crime un point c'est tout. Cela pour une raison simple.
Supposons que sur dix personnes acquittées deux (ce chiffre est pris au hasard, uniquement pour le raisonnement) soient quand même auteur du crime. Cela signifie que les huit autres sont véritablement innocentes et n'ont commis aucun crime.
Si l'on accepte les insinuations - "oui sans doute a-t-il été acquitté mais, qui sait, il pourrait bien être quand même coupable" - cela va atteindre non seulement les deux véritables criminels mais tout autant les huit personnes qui n'ont rien fait du tout. Ce qui pour ces huit est insupportable et inacceptable.
C'est pourquoi, faute de pouvoir affirmer sans aucun doute possible que tel accusé est vraiment innocent alors que tel l'autre n'a fait qu'échapper à la sanction, toute insinuation doit être fermement proscrite concernant tous les acquittés. Sans jamais aucune exception.
Quoi qu'il en soit, et pour revenir vers notre sujet, il est manifeste, au niveau du principe, que certains des accusés acquttés ont pourtant bien commis le crime pour lequel ils sont poursuivis. Ce qui a pour conséquence que, dans une première étape de la réflexion, il n'est pas aberrant de réfléchir à l'hypothèse de la découverte, postérieurement à la décision d'acquittement, d'un élément de nature à démontrer cette implication.
Quand une décision n'est pas appropriée par rapport à l'affaire traitée, la logique est de la changer et de la remplacer par une nouvelle décision, différente et plus appropriée. C'est l'une des raisons du droit d'appel. L'objectif de celui qui fait appel est bien d'obtenir, à l'occasion du second examen de son affaire, une décision différente de celle retenue par la juridiction de premier degré.
En matière pénale, outre l'appel, il existe, quand l'affaire s'est terminée par une décision définitive de condamnation (c'est à dire contre laquelle il n'existe plus de possibilité de recours ordinaire, appel ou pourvoi en cassation), une procédure de révision (pour plus d'explications sur cette procédure lire ici, et textes ici).
Mais cette procédure ne permet la révision que des décisions de condamnation. Elle ne fonctionne pas en sens inverse, c'est à dire que si un élément nouveau de nature à faire naître un doute sur la culpabilité va entraîner la remise en cause de la décision de condamnation, l'apparition d'un élément nouveau de nature à faire naîre un doute sur l'innocence n'a, en droit français actuel, aucun effet.
Le principe est inscrit dans l'article 368 du code de procédure pénale : " Aucune personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente." (texte ici)
Dans un premier temps, cette restriction peut surprendre. En effet, si après une décision d'acquittement il est trouvé un élément qui rend la culpabilité de l'accusé dorénavant certaine, on ne comprend pas aisément au nom de quel principe celui-ci, puisqu'il est démontré qu'il a bien commis le crime, devrait échapper à une sanction pénale (sous réserve des règles de la prescription dans le temps - lire ici, ici, ici, ici).
Mais dans la réalité cela est bien moins simple qu'il n'y paraît.
En théorie, on part souvent du principe que l'élément nouveau est de nature à démontrer la culpabilité de l'accusé acquitté. Autrement dit on considère, avant même la nouvelle audience, qu'en cas de nouveau procès une décision le déclarant coupable est inéluctable.
La difficulté majeure provient du fait qu'une nouvelle régle juridique ne pourrait poser qu'un principe théorique général, celui selon lequel un élément inconnu lors du dernier procès et de nature à entraîner une autre lecture de l'affaire, dans le sens de la culpabilité, justifie que l'accusé comparaisse une nouvelle fois devant la cour d'assises.
Mais, en pratique, les éléments nouveaux peuvent être de toutes sortes. La force probante de chacun d'eux ne sera pas la même. Certains peuvent être très en faveur de la culpabilité, ou en tous cas d'une implication de l'accusé acquitté dans la démarche criminelle, mais d'autres peuvent être des éléments de force probante moyenne, et, même nouveaux, susceptibles d'être contredits par d'autres éléments du dossier.
Et même si la commission de révision des condamnations pénales émettait un avis en faveur d'une force probante non négligeable de l'élément nouveau, devant la cour d'assises nouvellement saisie l'accusé acquitté ne manquerait pas d'en discuter cette force, parfois avec raison et avec succès.
Cela signifie, et nous arrivons à la problématique essentielle, que, inéluctablement, dans certains cas, un accusé acquitté puis reconvoqué devant une nouvelle cour d'assises après apparition d'un élément nouveau serait de nouveau acquitté. Il serait impossible, dans aucun cas, de poser comme principe que l'apparition puis l'examen de l'élément nouveau, avant le nouveau procès, impose à la cour d'assises de condamner l'accusé précédemment acquitté.
On imagine alors les terribles ravages de ce nouveau procès se terminant par un nouvel acquittement, tant pour l'accusé que pour la victime du crime (ou ses proches en cas de décès). Quelle épreuve nouvelle et destructrice pour le premier, quelle déception et traumatisme pour la seconde.
Mais il faut aller encore plus loin et aborder l'autre difficulté.
Supposons que dans une affaire un élément nouveau apparaisse, que l'accusé soit renvoyé devant une nouvelle cour d'assises, et qu'il soit encore une fois acquitté. Devrait-on admettre, une fois la nouvelle règle juridique posée, que postérieurement au deuxième acquittement puisse apparaitre encore une fois un autre élément nouveau justifiant de faire passer une quatrième/cinquième fois l'accusé devant une cour d'assises ? Et rien n'empêche d'imaginer qu'il soit encore une fois acquitté. Puis qu'apparaisse un élément nouveau.....
Quelle serait la limite ? Faudrait-il mentionner dans la loi qu'une révision en ce sens n'est possible qu'une fois ? Deux fois ? Plus ? Faudrait-il admettre, quatre, cinq, six procès successifs ? Un tel processus, sans limite, pourrait atteindre l'absurde.
C'est bien pourquoi, une fois tous les aspects du débat pris en compte, il est beaucoup moins facile qu'il ne semblait au départ de proclamer sans la moindre hésitation que bien sûr il faut autoriser la tenue d'un nouveau procès à chaque fois qu'un élément nouveau est susceptible de démontrer (peut-être...) la culpabilité d'un accusé acquitté.
Le système actuel qui, c'est incontestable, permet à des criminels d'échapper définitivement à la sanction peut ne pas satisfaire.
Mais toute la question est de savoir si l'on est bien certain, en cas de changement de cadre juridique allant vers une remise en cause autorisée des décisions définitives d'acquittement, de le remplacer par un système sans faiblesse, sans faille, et sans risque dépassant l'acceptable tant pour les accusés que pour les victimes.
Cela n'est pas forcément le cas.