Comment sanctionner les enfants (suite) ?
Par Michel Huyette
Alors qu'aux Etats Unis une vive polémique vient de naître après la publication d'un livre prônant des corrections physiques sur les enfants, à l'aide de divers objets (lire not. ici), le débat n'est toujours pas clos en France sur la façon dont les adultes peuvent sanctionner des enfants au comportement imposant une réaction.
Nous avons déjà abordé la question de la fessée, que, souvenons nous, des parlementaires ont un jour voulu interdire par le biais d'une nouvelle loi (lire ici). Puis il a été question de réprimandes physiques d'adultes sur un enfant qui en blesse un autre (lire ici).
Récemment, des enseignants d'une école primaire ont décidé de créer une nouvelle sanction : le "carré d'isolement". Concrètement, dans la cour de l'école et à partir d'un mur, ils ont dessiné au sol et à la craie un espace de quelques mètres carrés, à l'intérieur duquel l'élève sanctionné doit demeurer pendant une partie de la récréation. Ceci afin d'éviter de nouveaux conflits avec les autres enfants ou avec les adultes.
Aussitôt des parents ont fait connaître leur désaccord, saisissant même l'inspection d'académie. De leur côté, les enseignants, qui ont décidé ensemble de créer ce carré d'isolement, ont expliqué à quel point il leur est difficile, parfois, de contenir des enfants souffrant de troubles du comportement et qui peuvent se montrer très perturbateurs quand ce n'est agressifs voire dangereux envers les autres élèves. Cela d'autant plus quand les assistants des enseignants sont supprimés pour cause de restrictions budgétaires (lire ici). Et que ces enseignants se retrouvent seuls face à une trentaine d'élèves, ce qui ne leur permet plus d'apporter une attention contenante aux plus difficiles.
La différence avec la fessée est que le carré d'isolement ne peut pas être qualifié de châtiment corporel. L'enfant est seulement isolé après qu'il lui ait été expliqué que son attitude vis à vis des autres, trop agressive, impose une mise à l'écart provisoire.
Par contre, les parents n'ont pas manqué de mettre en avant la possible humiliation de l'enfant. Mais toute punition n'est-elle pas plus ou moins humiliante ? Au-delà, le seul fait de se voir reprocher un comportement inapproprié est vexant, que l'on soit enfant ou adulte. Dès lors, le caractère désagréable de la remarque ou de la sanction peut-il à lui seul interdire toute réaction face à des comportements inadaptés qui ne peuvent pas perdurer sans risque pour la collectivité ? Probablement pas, sinon c'est le recours à toute sanction qui pourrait être prohibé.
Sans doute peut-on comprendre - au moins un peu - les parents qui ne supportent pas les reproches adressés à leurs enfants et qui, parfois, sont plus vexés que l'enfant lui-même. La tentation est alors forte, comme toujours, d'essayer de déplacer la problématique vers les enseignants en leur reprochant leur façon d'agir. Au moins, pendant ce temps, on ne parle plus de l'enfant fautif. Cela est un grand classique des débats. Quand une question dérange, le stratagème du changement de sujet est très utilisé.
Il n'en reste pas moins qu'une réalité ne peut pas être totalement niée. C'est que les enfants, et notamment les plus jeunes, sont tout sauf des "petits anges". Quelles qu'en soient les raisons, certains d'entre eux sont perturbés et adoptent des comportements intolérables et qui ne peuvent pas être acceptés dans une collectivité, notamment à l'école.
Au-delà, les professionnels savent que certains des comportements inappropriés des enfants trouvent, au moins pour partie, leur origine dans des comportements tout aussi inadaptés des adultes. Une institutrice racontait il y a peu de temps à quel point elle avait été stupéfaite de voir dans son bureau un très jeune enfant frapper fortement sa mère sans que celle-ci soit capable de la moindre réaction contenante et, de ce fait, sans qu'elle sache comment montrer à son enfant qu'il lui est interdit d'agir ainsi. D'où, par ricochet, un sentiment de toute puissance et d'autres comportements violents de cet enfant vis à vis de ses camarades de classe à la moindre frustration. Comportements agressifs que les parents des autres enfants reprocheront à l'institutrice de ne pas avoir su prévenir....
Quoi qu'il en soit, les adultes doivent souvent montrer aux enfants quelles sont les limites d'un comportement acceptable. Quand les paroles ne suffisent plus et lorsque la ligne rouge est franchie par l'enfant, les adultes ont inéluctablement besoin d'utiliser des sanctions, au sens le plus large du terme. Mais le choix de ces sanctions n'est pas simple.
D'un côté il faut veiller à n'introduire aucune sanction qui puisse ressembler à un châtiment corporel puisqu'il y aurait quelque chose d'aberrant à reprocher à des enfants des gestes de violences sur leurs camarades tout en utilisant la même méthode sur eux. Et plus largement toute violence volontaire d'un adulte sur un enfant est à proscrire. D'un autre côté il faut que les sanctions retenues aient un minimum d'efficacité, ce qui suppose par définition qu'elles soient désagréables tout en ayant un sens compréhensible par les plus jeunes.
Reste alors à définir la liste des sanctions acceptables. Et cela est une démarche complexe pour les écoles primaires puisque si pour les collèges et lycées les sanctions sont clairement énumérées dans le code de l'éducation (lire ici), les textes relatifs aux école du premier degré sont moins précis et laissent une marge d'appréciation aux enseignants.
Pour les écoles primaires, la référence est encore une circulaire de juin 1991 (texte ici). Il y est écrit notamment que "tout châtiment corporel est interdit", que "les manquements au règlement intérieur donnent lieu à des réprimandes", qu'il "est permis d'isoler de ses camarades, momentanément et sous surveillance, un enfant difficile ou dont le comportement peut-être dangereux pour lui même ou pour les autres.", enfin qu'en cas de "difficultés particulièrement graves affectant le comportement de l'élève" la situation est "soumise à l'examen de l'équipe éducative". (§ 3.2.2)
Dès lors la mise à distance d'un enfant dans un espace délimité et pendant la récréation peut sembler conforme à la règlementation, quand bien même les parents de l'enfant sanctionné à cause de son comportement perturbateur peuvent être gênés de voir la problématique familiale montrée ainsi au grand jour.
Certains répondront que quand des enfants présentent des troubles du comportement à l'école, les enseignants doivent intervenir par l'écoute, le dialogue, et la persuasion, mais non par la sanction. Cela pourrait éventuellement être envisagé si d'une part les enseignants étaient à la fois pédagogues et psychologues, et d'autre part si pendant la journée ils ne devaient pas s'occuper des autres enfants. De fait, il est illusoire, et injuste, de demander aux enseignants des écoles primaires d'aller au-delà du périmètre de leur métier.
En tous cas, le débat sur les sanctions applicables n'est pas clos. Mais si la vigilance s'impose afin que l'exaspération des adultes ne les conduisent pas à des sanctions inacceptables, ce débat ne doit pas avoir pour conséquence de priver les adultes de toute capacité de sanctionner les comportements les plus inadéquats.