A propos, encore, de la récidive
Par Michel Huyette
Il est toujours difficile d'analyser avec recul et sérénité les évènements les plus épouvantables, ceux qui nous révoltent, qui nous insupportent. Pourtant, rien ne peut progresser tant que la réflexion est laissée de côté au profit de l'émotion, quand ce n'est de la récupération ou de la démagogie. Il en va pourtant ainsi du débat sans fin autour de la récidive.
Une toute jeune femme a disparu dans une ville de l'ouest de la France et chaque jour une issue fatale est de plus en plus à craindre. Il se trouve que l'individu arrêté puis placé en détention provisoire, parce que soupçonné d'être l'agresseur, a déjà été condamné. Alors, une fois de plus - et ce n'est sans doute pas la dernière - il a aussitôt été fait allusion à un dysfonctionnement de l'institution judiciaire et, sans surprise, à une modification législative.
S'agissant d'une nouvelle loi "fait divers', que cette fois-ci même les députés de la majorité ne sont pas enthousiastes à envisager, rappelons qu'entre 2004 et 2010 notre législation pénale a été modifiée à plusieurs reprises avec comme motif annoncé, à chaque fois, de lutter contre la récidive : loi du 12 décembre 2005 (texte ici), loi du 10 août 2007 (texte ici), loi du 25 février 2008 (texte ici), loi du 10 mars 2010 (texte ici). Et jusqu'à ce jour il n'a été effectué aucun bilan de l'application des derniers textes. D'où cette interrogation sur la nécessité de modifier des règles dont on ne sait si elles sont bonnes ou mauvaises, et sans savoir ce qui pourrait être une façon appropriée de faire mieux. Bref, une fois encore, c'est : agissons d'abord, nous réfléchirons après....
Cela étant dit, il n'est pas inutile de rappeler certains des termes du débat. (1)
D'abord, on sait de façon indiscutable que la récidive en matière criminelle est et reste faible. Le taux de récidive général en matière criminelle se maintient entre 3 et 4 %, ce qui est déjà peu, et en matière de viol il est encore légèrement inférieur : il était de 1,3 % sur l'année 2004 (cf. ici) et de 2,7 % en 2007 (cf. ici). Pour les meurtres, le taux de récidive était en 2007 de 2,9 %. Il s'agit donc d'un phénomène de faible ampleur.
Le très faible taux de récidive criminelle est objectivement encourageant, en tous cas fait apparaître un fonctionnement très correct et manifestement efficace de l'institution judiciaire et notamment des services de l'application des peines. Pourtant, c'est souvent l'inverse qui est proclamé. Mais, alors que le gouvernement veut mettre en place une prime au mérite pour les responsables de l'éducation nationale, dira-t-on demain qu'un principal de lycée dont les élèves réussissent au bac à 97,3 % et échouent à 2,7 % est un bon ou un mauvais principal ?
Quoi qu'il en soit, chacun constate que les élus, quand ils montrent du doigt un fait de récidive, ne mentionnent jamais le taux de non récidive. On se demande pourquoi...
Bien sûr, une récidive criminelle est bien plus lourde de conséquences qu'une récidive de vol, puisque souvent à un premier drame en succède un second. Mais cela ne doit pas autoriser une quelconque manipulation de la réalité qui impose de reconnaître, au regard des taux précités, que les résultats judiciaires et médico-sociaux sont excellents même si, dans l'absolu, on doit toujours chercher à réduire encore les taux même les plus faibles. Tout en sachant que plus le taux est bas plus il est difficile de le faire chuter encore plus bas.
Ensuite, il faut avoir en tête une réalité tout aussi indiscutable : il ne sera jamais possible de prévenir totalement la récidive. En effet, les récidivistes sont parfois des individus qui se sont parfaitement comportés pendant leur détention, ont scrupuleusement respecté toutes les obligations imposées, et ont obtenu des avis favorables unanimes quand ils ont demandé le bénéfice d'une libération conditionnelle (2).
Il y a quelques jours un juge d'instruction expliquait, dossier en main, qu'il venait de mettre en examen pour viol un homme qui dans les années précédant son arrestation s'était comporté parfaitement à tous points de vue : rendez-vous honorés avec le service d'application des peines, suivi sans accroc et dans la durée par le psychiatre et le médecin, respect de toutes les consignes imposées par les magistrats. Autrement dit un individu à propos de qui personne n'aurait jamais pu prédire la récidive. Sauf à considérer que toute personne qui commet un jour une infraction criminelle présente inéluctablement et pour toujours un risque élevé de récidive, quel que soit son comportement. et son évolution Ce qui pourrait inciter à condamner à perpétuité tout auteur d'un premier crime en le considérant par hypothèse forcément et définitivement dangereux. C'est une autre piste...
Habituellement, quand se produisent de nouveaux drames, les élus, au plus haut niveau de l'Etat, ressentent le besoin de désigner des responsables. Mais la plupart du temps ils oublient un paramètre non négligeable.
Il a été indiqué qu'au palais de justice de Nantes, dont dépendait l'agresseur (désigné comme tel même s'il n'a pas été encore jugé) de la jeune fille, il y a normalement 4 juges d'application des peines, mais que depuis des mois ils ne sont que 3. Cela signifie qu'il manque 25 % des magistrats. Et il a été précisé que, faute de temps pour traiter tous les dossiers (y compris ceux du 4ème poste) avec une qualité minimale, les 3 autres magistrats doivent faire des choix et s'imposer des priorités, tout en sachant que cela est totalement insatisfaisant.
Par ailleurs, il a été indiqué qu'au service de probation de Nantes le manque de travailleurs sociaux est tel, à cause des limitations de crédits, que 800 détenus ne font l'objet d'aucune prise en charge, chaque agent disponible devant s'occuper en permanence de 135 personnes (3).
On ne peut s'empêcher de penser aussi à ces infirmières qui travaillent dans les hôpitaux et qui les une après les autres racontent comment, à cause des réductions permanentes de personnel, elles doivent courir d'une chambre à l'autre, n'ont même plus le temps de s'attarder un peu avec les patients pour les réconforter. Alors, forcément, quand l'objectif n'est plus de faire un travail de qualité, faute de moyens, et que la seule solution est de courir toujours plus vite d'une mission à l'autre, le risque de commettre une erreur augmente considérablement. Mais bien sûr, le jour où une infirmière dépassée par la quantité de travail qui lui est imposée, épuisée par un rythme frénétique, commet une erreur ayant des conséquences sur la santé d'un patient, elle est aussitôt désignée comme la seule et unique responsable.
Il en va de même dans l'éducation nationale. On ne compte plus le nombre d'institutrices qui expliquent qu'à cause de la réduction du nombre des enseignants et l'augmentation parallèle du nombre des élèves par classe, leur travail n'est plus un travail d'éducation mais de gardiennage. Il n'empêche que si les résultats à la fin de l'année ne sont pas probants, elles aussi seront évidemment désignées comme les seules responsables.
Pour en revenir à l'institution judiciaire, on sait également que dans plusieurs départements quand un juge des enfants ordonne une mesure éducative pour un mineur en difficulté et qui présente des troubles du comportement, il peut se passer six mois à un an avant que cette mesure soit effectivement prise en charge par un travailleur social. Cela uniquement parce que le budget des services éducatifs sont réduits, par voie de conséquence que le nombre de travailleurs sociaux est insuffisant, et dès lors qu'il n'y a pas assez de monde pour s'occuper efficacement de tous les enfants qui en ont besoin. Là encore, en cas d'incident, ces personnels seront désignés seuls responsables (4).
Le pire est sans doute que toutes ces personnes, magistrats, travailleurs sociaux, personnel des institutions médicales, enseignants, sont pour la plupart des gens de bonne volonté qui ne demandent pas mieux que de consacrer plus de temps à chacune de leurs missions. Ce sont les premiers à regretter, tout en le reconnaissant, que leur travail ne peut pas être un travail de qualité optimale. Mais ce qui est inacceptable, c'est que ceux qui, en pleine connaissance de cause, décident de réduire les moyens matériels et humains et donc d'interdire à ces professionnel de travailler dans des conditions acceptables n'hésitent pas un instant, en cas de dysfonctionnement, à les désigner comme seuls responsables dans le but d'éluder leurs responsabilités de décideurs des budgets.
Et quand on sait qu'il a été annoncé pour l'année prochaine la disparition d'une centaine de postes de magistrats, alors que la justice manque encore cruellement de personnel pour pouvoir garantir des prestations de qualité optimale, l'institution peut se dire que le retour du beau temps n'est pas pour demain. Et les premiers à en subir les conséquences seront les justiciables.
Que l'on ne se trompe pas. Les constats qui précèdent ne doivent en rien servir de paravent pour masquer d'éventuelles fautes personnelles. Cela a déjà été écrit à de nombreuses reprises ici, le pouvoir et les responsabilités confiés aux magistrats ont nécessairement comme contrepartie un examen pointilleux de leur travail et une forte exigence de bien faire. Mais à condition que toute enquête, comme celle qui vient d'être décidée par la chancellerie après le drame dont nous parlons, prenne en compte les conditions de travail.
Chacun le pressent aisément. Cette bruyante dénonciation des professionnels par les élus a pour objectif, entre autres, de masquer les responsabilités étatiques. Il est plus simple pour les gouvernants de clouer au pilori une infirmière, un enseignant, ou un magistrat, que de reconnaître que la politique de réduction permanente des moyens est l'une des raisons d'être des dysfonctionnements dénoncés.
Dans une sorte de légitime défense anticipée, les professionnels devraient peut-être faire valoir plus souvent qu'actuellement, auprès de leur hiérarchie, leurs difficultés à effectuer un travail de qualité optimale. Au sein de l'institution judiciaire, plutôt que se contenter de signer chaque fin d'année un tableau récapitulant uniquement le nombre de décisions rendues, les magistrats devraient, de leur propre initiative puisque cela est rarement demandé par les chefs de juridiction, ajouter un paragraphe sur leurs conditions matérielles de travail. Car en ne se plaignant pas, en acceptant passivement les consignes de produire toujours plus avec toujours moins de moyens, les professionnels, indirectement, permettent aux décideurs de continuer la mise en oeuvre d'une politique de restrictions.
Le débat sur la récidive est un débat indispensable auquel doivent être associés les français. Mais ils méritent mieux que les discours populistes répétitifs qui, trop souvent, masquent plus ou moins efficacement la vacuité de la pensée.
--
1. cf aussi ici, ici, ici,
2. Etant précisé que c'est le mécanisme de la libération conditionnelle, sous contrôle, qui fait chuter le taux de récidive par rapport aux sorties dites sèches, sans contrôle ni soutien.
3. Le même jours nous apprenons qu'au tribunal de Marseille il n'y a plus d'argent pour payer les factures d'eau et d'électricité, et que des experts ont refusé de travailler pour la juridiction faute d'être payés.
4. Dans les jours qui ont suivi ces faits et constats, les ministre de l'intérieur et de la justice ont dénoncé des dysfonctionnements au sein de la police et de la justice, et exigé la prise en compte de tous les dossiers en attente au service de probation de Nantes. Mais sans annoncer le recrutement ne serait-ce que d'un seul travailleur social. Ceux qui restent n'ont plus qu'à travailler la nuit et les fins de semaines une fois leurs journées terminées....