A propos du procès Colonna, et de la cour d'assises en général
Par Michel Huyette
La cour de cassation vient d'annuler la condamnation par la cour d'assises spéciale d'appel de Paris (cour d'assises qui siège sans jurés en matière de terrorisme) qui, après la première cour d'assises, a de nouveau déclaré coupable et condamné Monsieur Colonna pour une participation à l'assassinat de Monsieur Erignac, alors préfet en fonction en Corse. (la décision du 30 juin 2010)
C'est peu dire que ce procès a été et reste l'objet d'un emballement juridico-politico-médiatique d'une ampleur inhabituelle. C'est pourquoi la toute première difficulté, avant de pouvoir aborder le sujet, est d'arriver à prendre suffisamment de distance pour préserver sérénité et objectivité du commentaire. Sous ces réserves, quelques brèves remarques peuvent être faites.
Il n'est peut-être pas inutile, pour commencer, de rappeler que ce qui vient de se passer à la cour de cassation n'a rien d'extraordinaire. Au cours de l'année 2009, la chambre criminelle de la cour de cassation a annulé totalement 11 décisions de cours d'assises (1). Et au cours du premier semestre 2010, elle a annulé 6 décisions (2). La décision concernant Monsieur Colonna n'est donc qu'une parmi d'autres, et une décision que personne ne remarquerait spécialement si la personne poursuivie avait un autre nom et si l'affaire était moins inhabituelle.
Il faut rappeler par ailleurs que la cour de cassation contrôle uniquement la régularité de la procédure suivie, et en rien le fond de l'affaire. Et elle a l'obligation d'annuler une décision de cour d'assises si cette dernière a violé une règle importante du code de procédure pénale (cf. art 567 du cpp). Elle le fait au demeurant que la déclaration de culpabilité et la sanction prononcée lui paraissent justifiées ou non, étant souligné que la cour de cassation n'a pas à sa disposition le dossier d'instruction et donc ne connaît pas les détails de l'affaire (nb. l'article sera complété dès la décision publiée)
Au-delà, et sans aborder le fond de l'affaire sur laquelle seuls ceux qui ont personnellement lu tout le dossier et assisté à toutes les audiences peuvent avoir un avis autorisé, il n'en reste pas moins que, de l'extérieur, on ne peut que se rappeler que lors du premier procès aucun des journalistes présents, pourtant habituellement peu indulgents avec les juges, n'a vilipendé la décision de la cour d'assises. Ceux qui sont intéressés par cette affaire se reporteront aux articles de l'époque.
Mais cela n'exclut évidemment en rien la possibilité que la troisième cour d'assises ait une lecture différente du dossier et une conviction nouvelle à l'issue des débats. L'avenir nous dira ce qu'il en est.
Sur un terrain plus polémique, ce qui retient l'attention est le communiqué publié par le ministère de la justice dès que la décision de la cour de cassation a été connue. La ministre aurait déclaré : "Cette décision ne porte en rien sur la question de fond de la culpabilité d'Yvan Colonna" (3). Or, comme l'ont fait remarquer aussitôt les commentateurs, il est tentant de lire à travers cette phrase la réaffirmation d'une conviction de la culpabilité de Monsieur Colonna, alors qu'à ce jour celui-ci n'a pas encore été définitivement condamné.
Cela n'est pas sans rappeler la déclaration du président de la République qui, lorsque les gendarmes ont appréhendé Monsieur Colonna dans le maquis corse, a déclaré lors d'un meeting : "La police vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac", toutes les autorités présentes à côté de lui sur la tribune applaudissant généreusement. Ce n'était d'ailleurs pas la première prise de position en ce sens (cf. ici).
On relèvera également que pendant son allocution, le président de la République a ajouté "Voilà la conception de l'Etat de droit qui est la nôtre". La présomption d'innocence ne fait peut-être pas partie de cet Etat de droit là...
Ce qui est le plus étonnant dans la prise de position de la ministre, c'est que depuis le début de la procédure judiciaire les avocats de Monsieur Colonna n'ont de cesse d'affirmer qu'il s'agit d'une "affaire d'Etat", avec un pouvoir qui imposerait sa volonté aux juges. Le but de cette stratégie est clair : détourner l'attention des éléments du dossier pour, à l'avance, discréditer toute décision de culpabilité et de condamnation.
De telles façons de faire ne sont pas totalement nouvelles. On se souvient avec une pointe d'amusement, car c'est un peu passé de mode, de ces cohortes d'élus, condamnés pour diverses malversations, et dont les avocats se précipitaient devant les journalistes à l'issue du procès pour dénoncer un "complot politico-judiciaire". L'objectif était déjà le même. Faire en sorte que l'on parle le moins possible du contenu du dossier en déplaçant le débat vers autre chose que la responsabilité de la personne poursuivie.
En tous cas, était-il indispensable, si son propos a été bien interprété par les commentateurs, que la ministre de la justice donne aux avocats de Monsieur Colonna un nouvel argument pour dénoncer une procédure pipée à cause de la pression du pouvoir politique sur l'institution judiciaire ?
Ce qui se passe incite enfin à revenir sur un autre point déjà abordé sur ce blog : la motivation des décisions de la cour d'assises (cf. ici).
Que les accusés, et pour eux leurs avocats qu'ils rémunèrent, critiquent les décisions judiciaires défavorables, cela est assez normal dans une démocratie. En général, peu nombreux sont les êtres humains qui ont commis des fautes et qui se précipitent pour les reconnaître, surtout publiquement.
Quoi qu'il en soit, en présence de telles critiques, la seule façon de se faire une opinion sur le bien fondé de la décision contestée c'est... sa motivation. Autrement dit, ce n'est qu'à travers la motivation de leurs décisions que les juges peuvent faire obstacle aux critiques injustifiées en démontrant que leur conclusion est issue d'un raisonnement plausible et sérieusement argumenté.
C'est pourquoi, en présence d'avocats qui, avec une vigueur inhabituelle, dénoncent jour après jour un fonctionnement judiciaire corrompu, les juges devraient pouvoir leur opposer une décision judiciaire contenant, si tel est bien le cas dans l'affaire jugée, la démonstration imparable de la culpabilité de la personne condamnée.
Oui mais voilà, s'agissant de la cour d'assises, les avocats, et bien au delà du seul cas de Monsieur Colonna, peuvent autant qu'ils le souhaitent et même s'ils sont eux-mêmes convaincus de la culpabilité de leur client proclamer que la décision en ce sens est aberrante puisqu'ils savent que les juges (et les jurés) de la cour d'assises, qui aujourd'hui ne rendent aucune décision motivée mais répondent seulement par oui ou par non à des questions, n'ont aucun moyen d'expliquer en quoi leur décision s'appuie sur un raisonnement sérieux et des éléments incontestables.
C'est donc bien la législation actuelle qui pour partie permet toutes ces polémiques.
Il est donc urgent de modifier le code de procédure pénale et de prévoir la motivation des décisions des cours d'assises, étant précisé que s'agissant de celles qui ne comportent aucun juré est sans valeur l''argument qui consiste à dire que rédiger avec des non professionnels est impossible.
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1. La cour de cassation a annulé 5 autres décisions mais sans renvoyer l'examen de l'affaire à une troisième cour d'assises. Tel est le cas quand elle rectifie une sanction injustifiée par "voie de retranchement" ou qu'elle applique un correctif à un seuil de peine dépassé. Dans l'une des affaires la cassation n'a porté que sur la décision civile (indemnisation des victimes).
2. Plus une annulation par voie de retranchement, et sans renvoi vers une troisième juridiction.
3. Le Monde, 1er juillet 2010.