Peut-on se défendre de n'importe quelle façon ?
Par Michel Huyette
Récemment, un homme est poursuivi pour des agressions sexuelles commises sur deux petites filles. Il est condamné à de la prison par un tribunal correctionnel. Il fait appel.
Devant la Cour d'appel, les deux jeunes victimes sont présentes. Dès qu'elles s'approchent de la barre, chacun dans la salle constate à quelle point leur émotion est forte, et combien est encore présent et pesant le poids de la douleur. Elles s'expriment avec retenue, posément, arrivent à décrire de façon calme et mesurée tout ce qu'elles ont subi, mais elles se tortillent les mains, les mots ont parfois du mal à sortir, des larmes coulent de leurs yeux à certains moments de leur récit quand elles évoquent des faits trop pénibles.
L'homme poursuivi pour les avoir agressées sexuellement nie être responsable de quoi que ce soit. Et c'est parfaitement son droit.
Lorsque les juges l'interrogent sur ce qui, à son avis, pourrait inciter les jeunes filles à mentir et à s'engager dans une longue et difficile procédure pour rien (Pour la victime, porter plainte suppose de supporter des expertises médicales et psychologiques, des auditions par des policiers, par un juge d'instruction, des confrontations avec leur éventuel agresseur, puis un ou deux procès s'il y a appel. C'est un véritable chemin de croix), il ne sait pas trop quoi dire.
Puis, après les réquisitions du procureur général, viennent les plaidoiries des deux avocats du prévenu.
Le rôle des avocats, c'est de permettre et de favoriser l'expression de leur client, de l'aider à préparer ses arguments, bref, de l'aider à se défendre. Mais comme l'expliquent certains avocats qui s'imposent des limites éthiques et morales, un client ne peut pas leur imposer de dire ce que eux-mêmes ne sont pas d'accord pour plaider. Autrement dit l'avocat n'est pas le répétiteur mécanique des arguments de son client.
Dans cette affaire, les avocats du prévenu discutent le contenu du dossier, et soutiennent bien sûr que leur client n'a rien fait.
Mais à un moment de leurs plaidoiries, ces avocats commencent à plaider que les deux jeunes filles, sont forcément de fausses victimes puisque leur client est innocent, et qu'elles ont certainement porté plainte et voulu un procès pour… obtenir de l'argent. Autrement dit, nous serions en présence de deux jeunes filles qui auraient, ensemble, préparé un plan et auraient lancé tout une procédure judiciaire uniquement pour obtenir des dommages-intérêts sur la base d'une dénonciation mensongère.
Quand les avocats ont commencé à soutenir la cupidité des deux jeunes filles, les juges ont vu celles-ci s'effondrer devant eux. Leur douleur était alors multipliée par dix, elles se tordaient, pleuraient, tellement entendre dire qu'elle n'étaient que des menteuses et des profiteuses était insupportable, autant sans doute que les agressions dont elles avaient été victimes.
La Cour, après le tribunal, a déclaré le prévenu coupable (sans s'appuyer sur les seules accusations des victimes évidemment mais sur un ensemble d'éléments du dossier), et a prononcé une peine de prison. La déclaration de culpabilité a été examinée par la Cour de cassation qui l'a avalisée. Cet homme est donc aujourd'hui déclaré définitivement coupable.
Finalement, ce que l'on se demande, c'est comment un prévenu, mais plus encore ses avocats, arrivent sans la moindre gêne à utiliser des arguments, qu'ils savent mensongers, en ayant sous leurs yeux le spectacle de deux victimes anéanties par chacun de leurs mots, chacune de leurs phrases.
D'autres à leur place, sensibles au mal être des jeunes victimes, auraient la voix bloquée dès le milieu de la première phrase, et feraient très vite le choix de leur éviter un calvaire supplémentaire.
Sans doute chacun a-t-il le droit de se défendre. Sans doute la parole est-elle libre dans un palais de justice.
Mais n'y a-t-il aucune limite ? Les conséquences des propos tenus sont-elles totalement indifférentes à celui qui les prononce ? Même lorsqu'un homme est prêt à tout tenter pour éviter une condamnation, ce que l'on peut comprendre d'un point de vue humain, ses avocats ne peuvent-ils pas lui expliquer que si lui peut accuser les jeunes victimes de mentir et de vouloir de l'argent, eux se refusent à le faire et préfèrent mettre d'autres arguments en avant ?
En tous cas, dans cette affaire, les avocats qui ont lancé ces accusations aux deux jeunes victimes qui se trouvaient à leur côté n'ont à aucun moment semblé ressentir la moindre gêne.
Les juges, eux, se souviennent encore de la scène…