La justice poignardée
Par Michel Huyette
Un juge des enfants du tribunal de Metz vient d'être poignardé dans son bureau par la mère d'un mineur qu'il venait de confier à un grand-parent.
La colère des magistrats est forte, et cela pour plusieurs raisons.
Il est certain que de nombreux professionnels, bien au-delà de la justice, exercent des fonctions qui les mettent dans des situations dangereuses. Il en va ainsi des policiers aux chauffeurs de bus, en passant par les infirmiers psychiatriques et les contrôleurs du travail…
Chacun de ces professionnels sait que s'il peut tenter de réduire les risques, il reste à la merci d'un geste imprévu qui peut l'atteindre physiquement, et qu'il n'existe aucun moyen conduisant à une protection permanente et absolue.
Mais là n'est plus le débat.
Aujourd'hui, une femme est entrée dans un palais de justice avec un couteau dans son sac. Or, à une époque où la plus petite et la mieux cachée des limes à ongle ne peut pas être introduite dans la salle d'embarquement d'un quelconque aéroport, même le plus provincial, rien, absolument rien, ne peut justifier qu'un couteau puisse être apporté dans un tribunal et que la personne qui le transporte ne soit pas contrôlée et bloquée avant d'aller plus loin que la porte d'entrée. Les moyens techniques existent pour déceler toutes formes d'armes ou d'objets pouvant servir à agresser, et ils sont immédiatement disponibles.
Alors pourquoi de tels incidents sont-ils encore possibles ? Il n'existe malheureusement qu'une réponse : parce que les gouvernants successifs en ont décidé ainsi.
Voilà des décennies que les magistrats tirent la sonnette d'alarme, qu'ils dénoncent les agressions dont ils sont victimes avec des armes, qu'ils réclament la protection élémentaire des bâtiments.
Et cela fait tout autant de temps que l'on sait exactement comment protéger efficacement un bâtiment aussi bien que la salle d'un aéroport.
Si cela n'est pas fait, c'est que les uns après les autres les élus ont fait en pleine connaissance de cause le choix de ne pas accorder à la justice les moyens matériels indispensables pour assurer la protection des personnels, qu'ils ont décidé en sachant parfaitement ce qu'ils faisaient de ne tirer aucune conséquence rapide des agressions dont sont victimes les magistrats (sauf à énoncer les mêmes phrases stéréotypées, composées des mêmes mots, prononcées sur le même ton faussement compatissant, qui justifieraient que leur soit décernée la palme d'or de la langue de bois).
Si cela n'avait pas été le cas, voilà de nombreuses années que tous les palais de justice seraient équipés des matériels les plus modernes, et que le personnel nécessaire aurait été recruté pour assurer le contrôle et la fouille des visiteurs et des sacs.
Et même si quelques progrès ont été accomplis, ils sont très inégalement répartis, et certains bâtiments restent en tout ou partie sans aucune protection.
C'est pourquoi les fausses promesses et les discours sans lendemain des gouvernants successifs sont d'une certaine façon, pour les magistrats, encore plus insupportables que le coup de couteau de ce matin, car ils ouvrent la porte, demain, à de nouvelles agressions.