L'inné et l'acquis... et la justice
Par Michel Huyette
Un candidat à l’élection présidentielle vient de faire sensation en affirmant que des individus sont pédophiles dès leur naissance, donc du fait d’une anomalie génétique, et qu’il en est de même des adolescents qui se suicident et qui ont en eux une fragilité génétique.
Ce n’est certainement pas à un juge de porter une appréciation scientifique sur le bien fondé de ces thèses. Nous pouvons seulement constater que de nombreux spécialistes se sont manifestés pour dénoncer ce qu’ils estiment être une insupportable contre vérité.
Mais le juge est quand même intéressé par ce débat car il doit traiter des dossiers de pédophiles. Et c’est alors que bien des interrogations apparaissent.
Si les individus qui agressent sexuellement de jeunes enfants ont en eux une tare génétique, faut-il en conclure qu’ils sont pénalement irresponsables ? Selon l’article 122-1 du code pénal, "n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". Si le pédophile a en lui une tare génétique qui l'empêche de contrôler ses pulsions, il s'agit bien là d'un mécanisme qui altère son discernement. Va-t-on alors déclarer tous les pédophiles irresponsables ? Ou à l'inverse, puisque aucune juridiction ne pourra supprimer le gêne à l'origine des agressions, va-t-il falloir les condamner tous à la réclusion criminelle à perpétuité et prévoir en plus pour eux une période de sûreté également perpétuelle ?
Par ailleurs, pour ces individus, la loi a prévu le suivi socio-judiciaire. Il s'agit de mettre en place des mesures de "surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive" (article 131-36-1 du code de procédure pénale), pouvant comprendre une "injonction de soins" si le condamné est "susceptible de faire l'objet d'un traitement" (article 136-36-4). Mais une anomalie génétique de se soigne pas, en tous cas aujourd'hui aucun scientifique n'a annoncé savoir "guérir" le gêne de la pédophilie. Alors à quoi vont bien servir les "soins" ordonnés par la juridiction pénale ?
Mais le débat essentiel semble être ailleurs.
On ne peut s'empêcher de faire le lien entre ce qui vient d'être proclamé, les récentes déclarations concernant la délinquance des mineurs, et les nouvelles sanctions à prononcer contre ceux-ci mais également contre leurs parents, prévues par les lois de mars 2007. Mentionnons entre autres, pour mémoire, le "conseil des droits et devoirs des familles" qui peut être créé par les conseils municipaux et qui peut adresser des "recommandations" aux parents lorsque ceux-ci ont des comportements "susceptibles de mettre l'enfant en danger", et le "contrat de responsabilité parentale" que le président d'un conseil général peut proposer aux parents en cas de difficulté liée à "une carence de l'autorité parentale".
Derrière ces textes, apparaît nettement l'idée que l'origine des maux est toujours uniquement interne à la famille, et plus précisément à l'intérieur des parents. Ainsi donc, si par exemple un enfant est en grande difficulté scolaire, il n'est plus besoin (il est dorénavant interdit ?) de s'interroger sur le nombre d'enfants par classe, sur la localisation géographique de l'établissement, sur la réunion dans une même école de nombreux enfants en difficultés, sur l'expérience des enseignants même débutants, sur le nombre de personnes affectées au soutien scolaire, sur les horaires de travail des parents... Non, puisque les seuls défaillants ce sont eux, les parents, et accessoirement leurs enfants qui, nous l'avons bien compris aussi, doivent être punis de plus en plus sévèrement.
Et puisque le ver est dans l'individu, génétiquement ou socialement taré, nous, les autres, ne sommes responsables de rien. Mieux encore, il n'y a plus matière à remise en cause des choix politiques des élus, à rechercher ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait, puisque de toutes façons les pédophiles comme les parents d'enfants délinquants sont les seuls responsables de leur trajectoire et doivent avant tout être sanctionnés.
N'empêche, c'est drôlement pratique.
Un agresseur d'enfants veut s'en sortir et demande une aide très spécialisée ? Pas besoin de s'interroger sur l'état lamentable des soins en prison, c'est un génétiquement taré pour lequel on ne peut rien faire. Une mère de famille contrainte par son employeur à des horaires ne lui permettant pas d'être présente au retour de son fils n'arrive plus à suivre sa scolarité et l'enfant décroche puis parce qu'il vit cela très mal perturbe la classe ? Pas besoin d'interroger l'employeur ou de chercher à mettre en place des modalités de soutien, c'est de sa faute et la priorité est qu'elle soit au plus vite réprimandée par l'un ou l'autre des "conseils" précités. Un enfant rejette l'école parce qu'il a vu son frère aîné devenu majeur et qui porte le même nom d'origine étrangère que lui n'être convoqué à aucun entretien d'embauche malgré ses importants diplômes ? Pas besoin de se questionner sur le racisme à l'embauche, il ne peut s'agir que d'une défaillance des parents qu'il faudra au plus tôt signaler au juge des enfants.
Aucune autorité, aucun responsable politique n'est responsable de quoi que ce soit car, il nous faudra le comprendre, le mal est exclusivement à l'intérieur de ces gens tellement défaillants qu'il faut les observer, les convoquer et les sanctionner de toute part.
Tout cela procède de la même démarche : faire obstacle à l'analyse sur l'origine réelle des défaillances des individus, qui, on le sait bien, ne peut aboutir qu'à des constats cruels pour les responsables politiques.
Pire, cela désigne à la vindicte publique toute une série de citoyens qui, quoi qu'ils aient fait et même s'ils doivent parfois être sévèrement sanctionnés, devraient avoir droit à encore un peu de solidarité afin que ce qui reste de capable en eux puisse enfin émerger.
Solidarité. Dépêchons nous de prononcer ce mot, car il est à craindre qu'une prochaine loi le supprime du dictionnaire.