Justice et presse, entre incompréhension et manipulation
Par Michel Huyette
Dans Le Monde du 7 mars 2007, on lit en page 2, à propos de la dernière loi sur la responsabilité des juges et la décision du Conseil Constitutionnel annulant ces dispositions, un éditorial intitulé "Qui jugera les juges ? pas eux, pas nous", dans lequel un journaliste écrit, en résumé, qu'il vient de se produire une "pantalonnade triste", que de l'émotion née de l'affaire d'Outreau il ne reste "plus grand chose", que la loi voulue par les parlementaires se retrouve "en haillons", et que les juges, c'est sous-entendu, ne souhaitent pas que l'on s'interroge sur leurs "pratiques professionnelles fautives".
Un récent article mis en ligne sur ce blog a tenté d'expliquer ce qui s'est passé, quel est le sens de la décision du Conseil Constitutionnel, et ce qui peut demain être encore prévu pour sanctionner plus souvent et plus efficacement les juges qui enfreignent délibérément des règles de droit fondamentales et protectrices des citoyens.
Rappelons que le Conseil réaffirme haut et fort que le Parlement peut parfaitement élargir les cas dans lesquels les juges peuvent être sanctionnés, et confirme que les magistrats peuvent être poursuivis disciplinairement en cas de violation délibérée de l'une des règles précitées. Il exige seulement que le citoyen qui pense que l'un de ses droits n'a pas été respecté le fasse savoir pendant son procès afin que les juges des juridictions supérieures, comme cela se fait chaque jour, disent si oui ou non il y a eu violation de la loi et des droits de l'intéressé.
Le journaliste du Monde non seulement n'apporte pas ces précisions dans son article, mais il se trompe quand il écrit que le Conseil exige qu'avant de sanctionner un juge "la décision de justice concernée soit devenue définitive", ce qui au demeurant ne veut rien dire en soi.
Mais le but aujourd'hui n'est pas de ré-expliquer la décision du Conseil et la façon dont pourra aisément être organisée la nouvelle responsabilité des juges lors d'une prochaine session parlementaire. Non, il s'agit de souligner, pour le regretter, que trop de journalistes ne font pas l'effort, avant d'écrire un article, de bien comprendre le sujet qu'ils abordent.
La justice est un sujet trop sensible pour que les citoyens réfléchissent à partir d'information erronées. Ne serait-il pas préférable de faire appel à leur intelligence plutôt qu'à leur émotion aisément manipulable, de se convaincre qu'ils peuvent tout comprendre si on leur explique clairement de quoi il retourne, plutôt que de se satisfaire d'un billet d'humeur qui au mieux n'apporte rien au débat, au pire va le rendre plus difficile encore ?
Critiquer des faits réels est légitime et utile, quelle que soit l'opinion développée. Mais argumenter à partir d'éléments tronqués est maladroit, quand ce n'est pas délibérément malhonnête.