Bébés et déjà délinquants ?
Le récent avis critique du comité consultatif national d'éthique concernant le dépistage précoce des troubles de l'enfant fait suite à un rapport de l'Inserm pouvant laisser à penser que des professionnels étaient en mesure, en observant de très jeunes enfants, de dire lesquels étaient susceptibles plus tard de présenter des troubles les orientant vers de la délinquance violente.
Il n'appartient pas à un magistrat de donner un avis médico-psychologique sur l'évolution des enfants et des adolescents. Par contre, l'institution judiciaire est un observatoire privilégié des parcours des mineurs, et plus encore de leur évolution lorsque sont mises en place des interventions sociales et éducatives dans un cadre judiciaire.
Les juges des enfants, chargés à la fois de la protection des mineurs en danger et de la répression des mineurs délinquants, font tous les constats suivants :
- Les parcours de ces mineurs (nous ne parlons bien sur que de ceux qui s'engluent dans une délinquance grave et/ou à répétition et qui se désocialisent) sont des parcours semés d'embûches mais qui leur sont extérieures : précarité de l'environnement matériel, difficultés personnelles ou de couples des parents, retard précoce des apprentissages scolaires, insuffisance du soutien apporté dès que ce retard est repéré, troubles de la santé, mauvaise image de soi etc.. Les mineurs, plus encore que les adultes, sont totalement perméables à leur environnement et leur mal-être est la traduction de ce qui ne leur a pas été apporté.
- Surtout, lorsque des situations dégradées sont signalées au juge des enfants, et que des mesures sont ordonnées (enfant restant dans son milieu avec un soutien pluridisciplinaire pour lui et ses parents, enfant partiellement ou totalement accueilli à l'extérieur), dans bien des cas la problématique constatée s'amenuise et la trajectoire du mineur se redresse. Si parfois les efforts n'aboutissent pas à la solution espérée, dans d'autres cas les améliorations sont spectaculaires. Et il en est parfois de même lorsque, avant même qu'un juge intervienne, des familles vont elles-mêmes solliciter de l'aide auprès des professionnels des conseils généraux.
Cela montre de façon peu discutable qu'il est à tout moment possible d'intervenir positivement sur les facteurs conduisant aux troubles du comportement d'un mineur, et qu'il est impossible d'affirmer que dès leur plus jeune âge leur parcours et leur avenir seraient inéluctablement déterminés vers des troubles sans fin et des comportements anti-sociaux.
Mais au delà de cette réalité qu'il faut rappeler sans cesse, ce qui inquiète est le message sous-jacent au discours sur la prédestination de certains mineurs, discours qui s'accompagne souvent de propos semblables contre des parents qui seraient eux aussi définitivement défaillants.
Comme je l'ai déjà souligné dans un précédent article de cette catégorie, montrer du doigt les mineurs et faire croire que le mal est en eux, ou chez leurs parents, c'est refuser d'admettre la place de l'environnement dans leur parcours, et dès lors, faire obstacle à la mise en oeuvre de moyens susceptibles d'apporter une amélioration suffisante.
Prenons un exemple pour finir : il s'agissait d'un préadolescent totalement déscolarisé à son entrée en collège, que les parents n'arrivaient plus à contrôler et qui le regrettaient amèrement, qui traînait avec d'autres jeunes aussi déscolarisés et qui, tous ensemble, cherchant à remplir leurs journées trop vides, en sont arrivés à commettre un viol collectif dans une cave.
Au delà des sanctions pénales, des éducateurs se sont très fortement mobilisés pour ce jeune dont aucune institution ne voulait et dont on disait que son avenir était perdu. Pour rompre avec son environnement, ils l'ont conduit dans une autre ville éloignée de la sienne, lui ont proposé un stage dans une entreprise spécialisée dans le nettoyage aérien des vitres (ces gens qui descendent en rappel le long des façades). Le mineur a été stupéfait qu'on lui fasse confiance après toutes les bêtises commises, il a été très flatté qu'on lui propose cette activité dure physiquement et risquée, et il a travaillé de façon exemplaire. Lorsque le bilan a été fait dans le tribunal quelques mois après sa sortie de prison, personne ne le reconnaissait. Marginal et violent auparavant, il était devenu en quelques mois un employé modèle.
Le rapport de l'Inserm a déclenché en son temps une tempête de protestations. Une pétition a recueilli des dizaines de milliers de signatures. Et le Comité national d'éthique vient opportunément de désapprouver certaines des conclusions du rapport.
Rien ne serait plus dramatique et injuste que de considérer que certains de nos enfants sont dès leur plus jeune âge définitivement contaminés par on ne sait quel virus inguérissable, et de les abandonner à leur sort.