Les "ténors" du barreau sont-ils plus efficaces ?
Voici l'une des questions auxquelles les juges doivent souvent répondre en dehors des palais de justice, tant sont nombreux ceux de nos concitoyens qui veulent savoir si en choisissant un avocat connu ils ont une plus grande chance de gagner leur procès, civil ou pénal. Alors, quand ils ont un juge pour voisin ou ami, ils en profitent !
La réponse est simple, même si elle risque d'en froisser quelques uns...
Devant un tribunal, ce qui compte c'est avant tout le dossier. On ne le dira jamais assez, un justiciable ou un avocat peuvent proclamer ce qu'ils veulent, soit il existe des éléments convaincants dans leur dossier, soit il n'y en pas et aucun avocat ne pourra jamais contrebalancer cette lacune.
Par ailleurs, notamment en matière civile, la marge de manoeuvre de l'avocat n'est pas bien large. Si vous faites un procès contre le locataire qui ne vous règle pas ses loyers, contre celui que vous tenez pour responsable de votre accident de voiture, ou contre votre ancien conjoint pour voire modifier les droits de visite et d'hébergement sur vos enfants, votre avocat aura essentiellement pour mission d'insister sur quelques arguments essentiels, qu'il faudra - répétons-le encore - justifier par des documents écrits, et il n'est pas besoin d'un talent particulier pour résumer votre argumentation. C'est pour cela que nous constatons journellement que d'un avocat à l'autre la qualité des prestations n'est pas vraiment différente, tout en sachant que le prix payé par les clients des uns et des autres peut être très différent....
Au pénal, pour ce qui concerne les affaires qui passent devant les tribunaux correctionnels (et plus encore devant les tribunaux de police ou les juridictions de proximité), ce n'est pas fondamentalement différent contrairement à ce que croient beaucoup de justiciables. Ici encore les juges travaillent d'abord sur un dossier, et la plaidoirie n'a pas souvent une influence essentielle sur la déclaration de culpabilité et la sanction qui sera prononcée. Cela ne veut pas dire que son importance est réduite, mais elle n'a pas la place que croient pouvoir lui donner ceux qui passent en jugement.
Et quoi qu'il en soit, l'expérience quotidienne montre de façon flagrante que la qualité des prestations verbales des avocats est sans lien direct, systématique et évident, avec leur réputation et le montant des honoraires versés par les justiciables. Nous sommes même assez souvent déçus quand nous savons que nous allons entendre plaider un avocat connu (vous savez, celui qui passe souvent à la télé, ouah....), et quand nous constatons que même si sa prestation est excellente, elle n'est en rien meilleure que celle de son confrère totalement anonyme qui l'a précédé pour le dossier d'avant, et qui perçoit des honoraires très inférieurs. C'est d'ailleurs l'occasion de souligner que de nombreux jeunes avocats, qui cherchent à se faire une place, font un travail de grande qualité que l'on ne rencontre pas toujours chez les plus anciens et les plus connus...
Bref, la réalité nous montre chaque jour qu'il n'y a aucun lien entre réputation/rémunération d'un avocat, qualité du travail fourni, et sens de la décision judiciaire.
Il n'en est autrement que dans quelques domaines bien spécifiques. Si vous avez un litige dans un domaine du droit inhabituel et très spécialisé (par exemple si vous êtes impliqué dans une procédure de droit commercial international), il sera hautement préférable d'aller voir un avocat particulièrement compétent dans ce domaine et qui n'aura pas qu'une formation généraliste. Là seulement existe une compétence autre que celle de la plupart des avocats, et qui peut alors justifier, si en plus la complexité du dossier le mérite, une rémunération plus importante.
Ce qui dérange le plus finalement, ce n'est pas la réalité de rémunérations supplémentaires exigées en contreparte d'une réputation, réelle ou supposée. Libre à chaque justiciable de choisir l'avocat qu'il souhaite, et s'il veut pouvoir proclamer autour d'une table qu'il a tel avocat connu pour constater l'étonnement ou l'admiration dans le regard des convives, libre à lui d'en tirer les conséquences financières.
Non, ce qui peut gêner, c'est le fait que des justiciables croient bénéficier d'un supplément de compétences en contrepartie d'un coût financier plus important, et ne sachent pas exactement ce qu'il en est.