Délinquance des mineurs et tutelle aux prestations sociales
Par Michel Huyette
Régulièrement, des élus proposent la mise en place d'une tutelle aux prestations familiales pour les familles dans lesquelles des mineurs commettent des actes de délinquance.
Ce qui surprend, c'est que cette proposition n'est jamais accompagnée d'une explication sur le contenu et les effets d'une mesure de tutelle. Il n'est pourtant pas illogique de considérer qu'une mesure ne doit être utilisée que si elle est susceptible de résoudre une difficulté particulière.
Le principe de la tutelle judiciaire est posé par l'article L 552-6 du code de la sécuriré sociale :
"Dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux prestations sociales."
Il s'agit des prestations énumérées à l'article L 511-1 du même code soit (en juin 2006) :
1º) la prestation d'accueil du jeune enfant ; 2º) les allocations familiales ; 3º) le complément familial ; 4º) l'allocation de logement ; 5º) l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ; 6º) l'allocation de soutien familial ; 7º) l'allocation de rentrée scolaire ; 8º) l'allocation de parent isolé et la prime forfaitaire instituée par l'article L. 524-5 ; 9º) l'allocation journalière de présence parentale.
La formulation de l'article L 552-6 du code de la sécurité sociale signifie que si l'un des enfants d'une famille commet des actes de délinquance, pour être autorisé par la loi à ordonner la mise sous tutelle des prestations familiales, le juge des enfants doit démontrer soit que l'argent perçu "n'est pas employé dans l'intérêt" de cet enfant c'est à dire que les parents gaspillent les prestations reçues et que ce détournement d'argent est la cause des actes de délinquance d'un mineur de la famille, soit qu'il existe dans la famille un problème de logement et/ou d'hygiène et que ce problème est à l'origine de la délinquance constatée.
Mais quel lien peut-il bien y avoir entre usage de leur argent par les parents, et acte de délinquance de leur enfant ? Le trouver n'est pas évident, c'est peu dire. Est-il certain que la délinquance des mineurs apparaît parce que des parents ont du mal à gérer leur budget, ou parce qu'ils ont une ou plusieurs dettes (électricité, loyer etc..) ? Des professionnels ayant étudié le fonctionnement de familles rencontrant des problèmes de budget ont-il déjà démontré en quoi les soucis financiers des parents entraînent des actes de délinquance chez leurs enfants ?
Or si ce lien ne peut pas être fait, il devient légalement impossible, sauf à violer la loi (ou à la modifier), d'ordonner la mise sous tutelle des prestations familiales de parents pour la seule raison que l'un de leurs enfants comment un acte de délinquance. Cela signifie au moins que pour les familles ne rencontrant aucune difficulté financière particulière, la tutelle ne pourra jamais être mise en place et cela quel que soit le comportement délictuel même récidiviste de l'un des enfants.
Et quel est le contenu d'une tutelle aux prestations familiales : en pratique, quand les parents rencontrent des difficultés budgétaires, le tuteur reçoit à leur place les prestations. Ensuite, selon l'ampleur des problèmes financiers et selon les capacités des adultes à gérer tout ou partie de leur budget, le tuteur paie les dépenses à la place des parents, en paie une partie et les laisse gérer le reste, ou leur rend tout de suite la totalité des prestations mais les conseille et les accompagne dans l'usage de cet argent.
Là encore, peut-on affirmer de façon convaincante que parce qu'un tuteur va à la place des parents payer l'eau ou l'assurance, les enfants vont moins commettre d'actes de délinquance ?
Enfin, aucune autre disposition légale ne permet au juge d'ordonner la mise sous tutelle de prestations familiales, en dehors des conditions précitées, au seul motif que dans la famille concernée un mineur commet des actes délinquants.