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Guide de la protection judiciaire de l'enfant

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Publié par Michel Huyette

Par Michel Huyette



  Il suffit que des incidents se produisent dans les banlieues, ou qu'une échéance électorale approche, pour que l'on parle, une fois encore, de la délinquance des mineurs et d'une enième réforme de l'ordonnance de 1945, texte fixant les modalités des poursuites et de la répression des infractions commises par les moins de dix huit ans. Cela est particulièrement flagrant en ce moment (sur ce sujet, un très intéressant article vient d'être mis en ligne sur le site www.groupeclaris.org).

   A croire qu'en modifiant les textes, toujours dans un sens plus répressif, les responsables mettraient en place des moyens plus efficace pour réduire efficacement le phénomène.

   Cette démarche, qui peut sembler plausible aux personnes qui n'ont comme source d'information que les medias et les propos des responsables politiques, est pourtant surprenante pour les professionnels qui côtoient au quotidien des mineurs qui commettent des actes de délinquance et leurs familles, et cela pour plusieurs raisons.

   D'abord, la répression des mineurs délinquants n'empêche pas que d'autres commettent à leur tour des actes de délinquance. Bien sur, l'existence de poursuites et de sanctions, dont les mineurs entendent parler même s'ils ne savent pas toujours en quoi cela consiste exactement avant d'avoir rencontré l'institution judiciaire, empêche par peur certains d'entre eux de passer à l'acte. C'est l'effet dissuasif de la répression, et qui est d'une utilité certaine. Mais quand même, si cet effet dissuasif était si efficace, tellement de sanctions sont prononcées depuis la nuit des temps qu'il ne devrait plus y avoir de délinquance depuis longtemps. Or si l'on compare un instant avec ce qui se fait pour les adultes, même dans les pays qui appliquent la peine de mort de nombreux crimes continuent à être commis. L'effet dissuasif de la répression atteint donc vite ses limites, et cela même quand les sanctions prononcées sont très lourdes, ce qui ne permet pas d'affirmer que l'effet dissuasif est moins efficace contre les mineurs parce que les sanctions prononcées contre eux sont souvent faibles.

   Quelle que soit l'efficacité de la répression contre les infractions commises, il est beaucoup plus utile socialement de réduire le nombre d'actes de délinquance plutôt que de sanctionner plus sévèrement ceux qui sont commis. Autrement dit, pour tout citoyen, il est préférable de ne pas être agressé plutôt que d'avoir la certitude qe son agresseur va être sévèrement puni. La répression peut soulager un peu la victime, elle rétablit un équilibre qui a été rompu, mais elle n'est pas de nature à effacer les blessures subies. Vis à vis de la victime, son intérêt est modeste.

   Depuis des décennies, d'innombrables études ont été consacrées par des sociologues, des psychologue et psychiatres, des éducateurs, à l'histoire et au parcours des mineurs qui commettent des actes de délinquance, et notamment aux jeunes récidivistes (le débat ne concerne bien sur que les mineurs qui dérivent vers de la délinquance à répétition qui les marginalise). Aujourd'hui, les professionnels connaissent parfaitement les facteurs de risque, les faiblesses dans l'environnement des mineurs, les failles dans le soutien qui leur est apporté, les troubles du comportement, et qui vont favoriser le passage à l'acte délinquant. (pour une intéressante synthèse reprenant les avis de nombreux professionnels de spécialités diverses, lire le rapport du juin 2002 de la commission d'enquête du Sénat)

   Alors vient à l'esprit la question fondamentale : si nous sommes en mesure d'identifier la nature et l'origine des phénomènes qui conduisent à la délinquance, faut-il se contenter d'attendre que cette délinquance apparaisse et s'installe, ou faut-il plutôt agir sur ces phénomènes pour réduire leur impact et ainsi empêcher que certains des mineurs ne deviennent délinquants, réduisant ainsi en plus le nombre des victimes ? Evidemment, la deuxième option est préférable, puisqu'elle est bénéfique pour tout le monde, le mineur qui évite une dérive très préjudiciable, sa famille qui échappe à d'importants soucis, et la société qui subit moins d'agressions.

   Nous voilà alors de retour à notre point de départ, et à la seconde question fondamentale : pourquoi s'intéresse-t-on plus à l'après délinquance qu'à l'avant délinquance ? C'est l'objet de ces quelques lignes.

   Les dysfonctionnements constatés qui favorisent la marginalisation des mineurs concernent notamment l'éducation scolaire, l'insertion sociale et économique de la famille, le lieu de vie et l'environnement matériel. Or, sur ces paramètres, le mineur n'a aucun moyen d'action.. Le préadolescent qui est déjà en grand retard à l'école, qui n'arrive plus à suivre, qui est tenté de ne plus aller à l'école parce que être le plus mauvais élève de la classe est insupportable en terme d'estime de soi, ne peut rien faire seul pour rattraper son retard. Alors s'il fuit l'école qui parfois lui aura montré qu'elle ne tient pas particulièrement à le conserver dans ses effectifs, s'il traîne et se rapproche d'une bande composée d'autres jeunes en échec scolaire, peut-on espérer que par le biais d'une sanction pénale, même lourde, il trouve le moyen de reprendre un cursus scolaire ordinaire ? Non, car la sanction n'aura aucune conséquence sur sa capacité à réintégrer une classe et à obtenir des résultats lui permettant d'aller de l'avant.

   Mais c'est là qu'apparaît l'enjeu du débat. Pour les responsables, il n'y a que deux options :

   - ou faire un inventaire exhaustif des carences des institutions intervenant tout au long du parcours des enfants, et mettre tous les moyens en oeuvre pour que aucun enfant ne soit marginalisé et que si un échec se produit tout soit fait pour y remédier au plus tôt,

   - ou, pour cacher cette réalité et interdire que les manques et lacunes des décideurs n'apparaissent, désigner un coupable dont on pourra dire que c'est lui le responsable de son parcours chaotique. Le mineur étant désigné comme un détestable délinquant qu'il faut punir sévèrement, sa culpabilité mise en avant efface la responsabilité de tout ceux qui auraient pu lui venir en aide et éviter qu'il ne déraille vers des comportements qu'il est le premier à subir.

   La manoeuvre consiste alors à faire en sorte de pouvoir affirmer : c'est lui le coupable et le responsable, donc ce n'est pas nous.

   Ceux qui malgré tout perçoivent la faiblesse de l'affirmation qui consiste à proclamer que même de jeunes enfants maîtrisent leur destin et sont pleinement responsables de choix personnels libres, se tournent comme autre alternative vers la famille. A défaut de pouvoir affirmer que le mineur délinquant est le seul responsable de ses actes, ses parents sont désignés publiquement comme responsables remplaçants. Le mécanisme est le même, dédouaner les décideurs institutionnels en affirmant que les premiers responsables sont dans la famille du délinquant.

   Mais là encore, toutes les études effectuées, et le contact avec la réalité de terrain, montrent que les parents sont souvent aussi dépassés que leurs enfants et sont eux aussi en demande d'aide. S'il est possible de dire que dans certaines familles les parents ne contrôlent plus les comportements de leurs enfants, ce seul constat ne suffit pas pour permette d'affirmer qu'ils abandonnent ce terrain délibérément, en pleine connaissance de cause, par choix, parce que de l'avenir de leurs enfants et de ses soucis présents ils se désintéressent totalement.

   Punir ne demande ni réflexion ni intelligence. Et il n'est nul besoin de courage pour proposer uniquement de donner des coups de bâton de plus en plus forts.

   Nous les professionnels nous savons qu'il est dès maintenant tout à fait possible d'agir très efficacement sur les mécanismes qui entraînent certains jeunes enfants vers la marginalisation et la délinquance.

   Mais il reste à franchir un obstacle, le plus haut, celui que nous ne voulons pas voir : admettre que les enfants et leurs parents ne sont pas seuls maîtres de leur destin, et que la collectivité qui impose à certaines familles et à certains mineurs d'évoluer dans des conditions dégradées et qui refuse de leur apporter tout le soutien dont ils ont besoin tourne trop souvent le regard pour ne pas voir ce qui la dérangerait profondément.

  Qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Ce qui vient d'être dit n'est pas de nature à nous inciter à faire preuve de faiblesse devant les actes de délinquance des mineurs. Il est absolument indispensable que ceux-ci perçoivent très vite que leur âge et les conditions dans lesquelles ils évoluent ne seront jamais un laisser passer pour l'impunité. Les laisser glisser sans rien faire vers la répétition d'infraction pénales est contraire à leur intérêt, car cela ne peut que les inciter à s'enfoncer plus encore dans la désocialisation. D'où la nécessité de sanctions réelles et fermes, bien sur adaptées à leur âge, dès les premiers dérapages.

   Mais en tous cas, l'essentiel est de comprendre que tout en montrant une grande rigueur et en sanctionnant sévèrement tout acte de délinquance, il nous faut prendre le problème à la source et intervenir bien en amont de la marginalisation des mineurs.


   Il n'existe aucun autre moyen d'être réellement efficace.


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