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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


  Récemment, à propos du débat sur le port du niqab (ce vêtement qui recouvre intégralement les femmes et ne les laisse voir le jour qu'à travers une ouverture en face des yeux), j'ai abordé la question, délicate, de la combinaison entre d'une part la liberté fondamentale qu'est la liberté de penser dans sa composante religieuse, et  d'autre part le droit d'une société démocratique de fixer certaines limites à cette liberté, quand sont en cause d'autres principes et d'autres droits tout aussi fondamentaux.

  Une autre débat qui agite régulièrement la société française autour des mêmes préoccupations est celui qui concerne le port d'un voile islamique par des jeunes filles scolarisées.

  La cour européenne des droits de l'hommes est intervenue en juin 2009, dans une série de six décisions, (1) pour donner son avis sur le droit, pour la France, non seulement d'interdire le port d'un tel voile dans les écoles publiques, mais également le droit d'exclure de l'établissement scolaire la jeune fille refusant encore et toujours de quitter son voile après une période de discussions avec elle-même et sa famille (2). Au demeurant, ces jeunes filles ont intenté un procès contre l'Etat français mais leurs recours devant les juridictions administratives ont été rejetés.

  La CEDH donne raison à l'Etat français, au regard principalement du principe de laïcité.

  Elle écrit notamment que :

  "Si la liberté de religion relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L'article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d'une religion ou conviction, à savoir le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. Il ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter d'une manière dictée par une conviction religieuse",

  "Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun",

  "Lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l'Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d'accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Tel est notamment le cas lorsqu'il s'agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d'enseignement",

  "L'Etat peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l'usage de cette liberté nuit à l'objectif visé de protection des droits et libertés d'autrui, de l'ordre et de la sécurité publique",

  Elle constate que :

  "l'interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics a été motivée uniquement par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité (Dogru et Kervanci, précités, §§ 17 à 22) et que cet objectif est conforme aux valeurs sous jacentes à la Convention ainsi qu'à la jurisprudence en la matière rappelée ci-dessus."

  Pour finir la CDEH :

  "estime que la sanction de l'exclusion définitive d'un établissement scolaire public n'apparaît pas disproportionnée. Elle constate par ailleurs que l'intéressée avait la possibilité de poursuivre sa scolarité dans un établissement d'enseignement à distance, dans un établissement privé ou dans sa famille selon ce qui lui a été expliqué, avec sa famille, par les autorités scolaires disciplinaires. Il en ressort que les convictions religieuses de la requérante ont été pleinement prises en compte face aux impératifs de la protection des droits et libertés d'autrui et de l'ordre public. En outre, ce sont ces impératifs qui fondaient la décision litigieuse et non des objections aux convictions religieuses de la requérante (voir Dogru, précité, § 76). Ainsi, eu égard aux circonstances, et compte tenu de la marge d'appréciation qu'il convient de laisser aux Etats dans ce domaine, la Cour conclut que l'ingérence litigieuse était justifiée dans son principe et proportionnée à l'objectif visé et que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention."


  Cette jurisprudence est importante en ce qu'elle rappelle que l'argument de la liberté religieuse ne peut pas à lui seul mettre à néant toutes les autres préoccupations d'un Etat démocratique. Cette liberté, comme la plupart des autres, n'est pas sans limites.

  Autrement dit, il ne suffit pas de mettre en avant les mots "liberté" et "religion"  pour  pouvoir, comme avec un joker indestructible, imposer ses idées ou sa façon d'agir. Et toute limite fixée à la manifestation d'opinions réligieuses n'est pas une entrave inadmissible.
  Autrement dit encore, on ne peut pas plus accepter le totalitarisme religieux que le totalitarisme étatique.

  Ceux qui refusent tout compromis doivent l'avoir en tête.



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1. L'une des ces décisions est à télécharger ici. Les cinq autres développent des raisonnements semblables.

2. Certaines jeunes filles avaient proposé de remplacer le voile par un vêtement moins voyant, par exemple un bandana.






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