A propos du rapport du comité Leger : les enquêteurs
Par Michel Huyette
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Le rapport du comité Leger sur la réforme de la procédure pénale ne s'apesantit pas beaucoup sur un aspect pourtant essentiel de la problématique : le travail des enquêteurs de la police et de la gendarmerie. En page 10, le comité suggère que "le ministère public (..) soit mieux associé à la définition des objectifs et des moyens en ce qui concerne les enquêtes. Le procureur général (..) pourrait ainsi être associé à la définition de l'ordre des priorités et des moyens alloués aux enquêtes (..). Il en serait de même pour le procureur de la République (..)."
Mais cela est très insuffisant au regard de la réalité actuelle et de ce que l'on est en droit d'attendre des services d'enquête.
En effet, quand on ouvre un dossier pénal, on y trouve essentiellement des procès verbaux rédigés par ces enquêteurs, à côté desquels les actes judiciaires sont en nombre très réduit. Quand un procureur ordonne une enquête préliminaire ce n'est pas lui qui effectue les investigations. Il envoie ses consignes à un service d'investigations qui, quelques semaines ou mois plus tard, lui remet son rapport. Il en va de même quand un juge d'instruction est saisi. Ce magistrat délivre des commissions rogatoires (c'est à dire demande à des enquêteurs de poursuivre des investigations), désigne des experts, et auditionne certaines des personnes impliquées, en premier lieu les mis en examen.
L'essentiel du travail reste donc toujours celui des enquêteurs. C'est pour cela qu'il faut d'abord et avant tout s'assurer que leurs prestations sont d'une qualité optimale.
Malheureusement, la pratique fait découvrir à quel point certaines procédures sont bâclées par les enquêteurs, et de quelle façon cela aboutit parfois à des aberrations judiciaires.
Les dysfonctionnements ont plusieurs origines.
Ne soyons pas exagérément naïfs. De tous temps et dans tous les pays, les pouvoirs en place ont tenté d'intervenir dans les procédures qui les dérangent, et ils peuvent aisément le faire quand, comme en France, les services qui effectuent les enquêtes (police et gendarmerie) sont sous l'autorité directe du pouvoir politique. Souvenons nous seulement de ce commissaire de police, sollicité par un juge d'instruction pour l'accompagner à l'occasion d'une perquisition chez une personnalité publique membre de la majorité au pouvoir, et qui avait refusé d'assister le magistrat sur ordre direct de sa hiérarchie (1).
Au-delà, il suffit aux responsables des services enquêteurs de ne pas affecter suffisamment de personnes dans un dossier qui pourtant le nécessite pour ralentir considérablement les opérations, sans que cela n'apparaisse sous la forme d'une intervention directe. Malin !
Par ailleurs, on sait aussi combien les chefs des services de police ou de gendarmerie ont des raisons de craindre les foudres du pouvoir au moindre écart de conduite. On se souvient de ce responsable de la police déplacé d'office à cause d'un coq dans une piscine. Et très régulièrement les directeurs de service et les préfets qui n'obtiennent pas les résultats attendus en termes de statistiques (pas de qualité, non, uniquement de chiffres) sont convoqués à Paris pour se faire publiquement remonter les bretelles. Bref, il ne doit pas être facile dans ces services de contester auprès des responsables les moyens affectés aux investigations demandées par l'institution judiciaire quand le moindre écart peut entraîner une sanction.
C'est pourquoi il faudrait aller beaucoup plus loin que le comité Leger dont les propositions ne changeront probablement rien à la réalité de terrain.
Le code de procédure pénale devrait prévoir que chaque fois qu'un service d'enquête est saisi par un magistrat, son responsable doit rédiger aussitôt une note écrite, versée au dossier judiciaire, mentionnant l'ampleur des investigations à effectuer et les moyens accordés. Ensuite, une nouvelle note devrait être rédigée à intervalles réguliers (par exemple chaque mois), dans laquelle le responsable indiquerait les démarches effectuées depuis sa saisine et l'adéquation entre le travail déjà effectué et restant à accomplir et les moyens initialement accordés. Il devrait également être obligatoire de mentionner dans ces documents, si tel est le cas, ce qui a fait obstacle à la conduite de certaines de ces investigations dans le délai espéré.
Cela devrait s'accompagner du droit, mentionné dans la loi, pour tout magistrat d'exiger à tout moment des services enquêteurs des explications sur le travail effectué (ou non).
La question s'est posée de la création d'un corps de police judiciaire exclusivement rattaché à la justice, ne recevant de directives que des magistrats, ceci afin de rendre impossible tous les parasitages précités.
Le comité Leger est contre cette évolution. Il indique "qu'il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchique". En clair, dans les affaires susceptibles d'inquiéter le pouvoir politique, les enquêteurs doivent rendre compte de leurs projets et du résultat de leurs démarches d'abord à leur hiérarchie, qui leur donne les consignes qu'elle veut, avant même de rendre compte aux magistrats. C'est on ne peut plus limpide sur le maintien du contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes judiciaires, même si le comité affirme, sans toutefois s'expliquer, que "le maintien des services de police et de gendarmerie sous une double autorité, administrative et judiciaire, constitue une garantie démocratique" !
En tous cas, débattre du statut des magistrats, de la suppression du juge d'instruction, du déroulement des audiences etc.. sans aborder d'abord la question, prioritaire, du statut et du travail des enquêteurs c'est, d'emblée, passer à côté de l'un des aspects essentiels de la problématique.
Mais cela est très insuffisant au regard de la réalité actuelle et de ce que l'on est en droit d'attendre des services d'enquête.
En effet, quand on ouvre un dossier pénal, on y trouve essentiellement des procès verbaux rédigés par ces enquêteurs, à côté desquels les actes judiciaires sont en nombre très réduit. Quand un procureur ordonne une enquête préliminaire ce n'est pas lui qui effectue les investigations. Il envoie ses consignes à un service d'investigations qui, quelques semaines ou mois plus tard, lui remet son rapport. Il en va de même quand un juge d'instruction est saisi. Ce magistrat délivre des commissions rogatoires (c'est à dire demande à des enquêteurs de poursuivre des investigations), désigne des experts, et auditionne certaines des personnes impliquées, en premier lieu les mis en examen.
L'essentiel du travail reste donc toujours celui des enquêteurs. C'est pour cela qu'il faut d'abord et avant tout s'assurer que leurs prestations sont d'une qualité optimale.
Malheureusement, la pratique fait découvrir à quel point certaines procédures sont bâclées par les enquêteurs, et de quelle façon cela aboutit parfois à des aberrations judiciaires.
Les dysfonctionnements ont plusieurs origines.
Ne soyons pas exagérément naïfs. De tous temps et dans tous les pays, les pouvoirs en place ont tenté d'intervenir dans les procédures qui les dérangent, et ils peuvent aisément le faire quand, comme en France, les services qui effectuent les enquêtes (police et gendarmerie) sont sous l'autorité directe du pouvoir politique. Souvenons nous seulement de ce commissaire de police, sollicité par un juge d'instruction pour l'accompagner à l'occasion d'une perquisition chez une personnalité publique membre de la majorité au pouvoir, et qui avait refusé d'assister le magistrat sur ordre direct de sa hiérarchie (1).
Au-delà, il suffit aux responsables des services enquêteurs de ne pas affecter suffisamment de personnes dans un dossier qui pourtant le nécessite pour ralentir considérablement les opérations, sans que cela n'apparaisse sous la forme d'une intervention directe. Malin !
Par ailleurs, on sait aussi combien les chefs des services de police ou de gendarmerie ont des raisons de craindre les foudres du pouvoir au moindre écart de conduite. On se souvient de ce responsable de la police déplacé d'office à cause d'un coq dans une piscine. Et très régulièrement les directeurs de service et les préfets qui n'obtiennent pas les résultats attendus en termes de statistiques (pas de qualité, non, uniquement de chiffres) sont convoqués à Paris pour se faire publiquement remonter les bretelles. Bref, il ne doit pas être facile dans ces services de contester auprès des responsables les moyens affectés aux investigations demandées par l'institution judiciaire quand le moindre écart peut entraîner une sanction.
C'est pourquoi il faudrait aller beaucoup plus loin que le comité Leger dont les propositions ne changeront probablement rien à la réalité de terrain.
Le code de procédure pénale devrait prévoir que chaque fois qu'un service d'enquête est saisi par un magistrat, son responsable doit rédiger aussitôt une note écrite, versée au dossier judiciaire, mentionnant l'ampleur des investigations à effectuer et les moyens accordés. Ensuite, une nouvelle note devrait être rédigée à intervalles réguliers (par exemple chaque mois), dans laquelle le responsable indiquerait les démarches effectuées depuis sa saisine et l'adéquation entre le travail déjà effectué et restant à accomplir et les moyens initialement accordés. Il devrait également être obligatoire de mentionner dans ces documents, si tel est le cas, ce qui a fait obstacle à la conduite de certaines de ces investigations dans le délai espéré.
Cela devrait s'accompagner du droit, mentionné dans la loi, pour tout magistrat d'exiger à tout moment des services enquêteurs des explications sur le travail effectué (ou non).
La question s'est posée de la création d'un corps de police judiciaire exclusivement rattaché à la justice, ne recevant de directives que des magistrats, ceci afin de rendre impossible tous les parasitages précités.
Le comité Leger est contre cette évolution. Il indique "qu'il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchique". En clair, dans les affaires susceptibles d'inquiéter le pouvoir politique, les enquêteurs doivent rendre compte de leurs projets et du résultat de leurs démarches d'abord à leur hiérarchie, qui leur donne les consignes qu'elle veut, avant même de rendre compte aux magistrats. C'est on ne peut plus limpide sur le maintien du contrôle du pouvoir politique sur les enquêtes judiciaires, même si le comité affirme, sans toutefois s'expliquer, que "le maintien des services de police et de gendarmerie sous une double autorité, administrative et judiciaire, constitue une garantie démocratique" !
En tous cas, débattre du statut des magistrats, de la suppression du juge d'instruction, du déroulement des audiences etc.. sans aborder d'abord la question, prioritaire, du statut et du travail des enquêteurs c'est, d'emblée, passer à côté de l'un des aspects essentiels de la problématique.
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1. Le directeur de la police judiciaire, qui avait donné l'ordre au policier de ne pas participer à l'opération, a été sanctionné disciplinairement d'un retrait d'habilitation pendant 6 mois, décision finalement confirmée par la cour de cassation en février 1997.