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Publié par Parolesdejuges

Par Michel Huyette


  Deux décisions récentes ont condamné la France pour des mauvais traitements sur des détenus.

  C'est d'abord la cour européenne des droits de l'homme qui, dans une décision du 9 juillet 2009, a jugé à propos d'un détenu classé "détenu particulièrement surveille" (DPS), qui a été déplacé 14 fois entre 2001 et 2008, qui a été maintenu pendant de nombreux mois à l'isolement, qui a fait l'objet de brimades inutiles notamment à l'occasion de fouilles corporelles, qu'il y avait violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : "
Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

  La motivation de cette décision nous apprend que plusieurs médecins ont relevé la dégradation de l'état de santé physique et psychologique de l'intéressé du fait de ses conditions de détention. 

  On lit également que le détenu a engagé plusieurs procédures judiciaires et que, en mars 2007, le tribunal administratif de Paris a estimé illégale une décision du ministre de la justice de maintenir l'isolement, les affirmations quant à un projet d'évasion n'étant pas suffisamment justifiées.

  Finalement, la Cedh considère que "La Convention interdit en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants indépendamment de la conduite de la personne concernée", que "Pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé de la victime, etc", que "Les mesures privatives de liberté s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation. S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de l'article 3, cette disposition impose néanmoins à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi", que "Certes, l'exclusion d'un détenu de la collectivité carcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux Etats parties à la Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l'égard des détenus dangereux. Destinés à prévenir les risques d'évasion, d'agression ou la perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ont comme base la mise à l'écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d'un renforcement des contrôles", que "La Cour a estimé que, même isolée, une fouille corporelle pouvait s'analyser en un traitement dégradant eu égard à la manière dont elle était pratiquée, aux objectifs d'humiliation et d'avilissement qu'elle pouvait poursuivre et à son caractère injustifié", et, s'agissant plus précisément du cas étudié, que "si le transfert d'un détenu vers un autre établissement peut s'avérer nécessaire pour assurer la sécurité dans une prison et empêcher tout risque d'évasion, il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, les quatorze transfèrements du requérant sur sept années de détention n'apparaissaient plus au fil du temps justifiés par de tels impératifs. ", "qu'un nombre si élevé de transferts du requérant pendant son incarcération – les 27 août 2001, 20 décembre 2001, 4 juin 2002, 5 mai 2003, 8 novembre 2003, 13 février 2004, 12 mai 2004, 22 novembre 2004, 16 décembre 2004, 24 décembre 2004, 2 août 2005, 26 décembre 2005, 30 décembre 2005, 6 juin 2006, 19 mars 2007, 5 septembre 2007 et en avril 2008 – même s'ils ont eu lieu dans des prisons de la région parisienne – était de nature à créer chez lui un sentiment d'angoisse aigu quant à son adaptation dans les différents lieux de détention et la possibilité de continuer de recevoir les visites de sa famille et rendait quasi impossible la mise en place d'un suivi médical cohérent sur le plan psychologique" et que "Vu ce qui précède, et à l'instar des conclusions du CPT dans son rapport de 2007, la Cour n'est pas convaincue qu'un juste équilibre ait été ménagé par les autorités pénitentiaires entre les impératifs de sécurité et l'exigence d'assurer au détenu des conditions humaines de détention.", que "plusieurs de ces prolongations (du maintien à l'isolement) ont été ordonnées en dépit des diagnostics établis par les différents médecins qui suivaient l'état de santé du requérant tout au long de son incarcération. ", que "l'administration pénitentiaire n'a pas tiré les conclusions adéquates suggérées par ces certificats médicaux qui se prononçaient de manière claire sur l'état de santé du requérant ".

  A propos des fouilles à corps, la cour affirme que "Le caractère répété de ces fouilles, combiné avec le caractère strict des conditions de détention dont le requérant se plaint, ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité, de défense de l'ordre ou de prévention des infractions pénales et sont, de l'avis de la Cour, de nature à créer en lui le sentiment d'avoir été victime de mesures arbitraires", et que "ces fouilles répétées, pratiquées sur un détenu qui présentait des signes d'instabilité psychiatrique et de souffrance psychologique, ont été de nature à accentuer son sentiment d'humiliation et d'avilissement à un degré tel qu'on peut les qualifier de traitement dégradant. ".

  Elle conclut que "les conditions de détention du requérant, classé DPS dès le début de son incarcération, soumis à des transfèrements répétés d'établissements pénitentiaires, placé en régime d'isolement à long terme et faisant l'objet de fouilles corporelles intégrales régulières s'analysent, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3. Il y a donc violation de cette disposition. ".



  Quelques jours plus tôt (9 juin 2009, décision n° 704038), le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat, pour une faute dans l'organisation du service pénitentiaire, après le viol d'un détenu par un autre détenu. Le tribunal a retenu que le détenu agresseur, emprisonné  déjà sous une accusation de viol, aurait dû faire l'objet d'une surveillance particulière. Il a également considéré qu'il y avait eu une mauvaise transmission des consignes entre les surveillants. Il a enfin rappelé que les détenus doivent en principe être seuls en cellule.


  Il faut souligner une fois de plus, outre la réaffirmation saine que les droits fondamentaux doivent être respectés partout y compris dans les prisons, que de très mauvaises conditions de détentions conduisent souvent à un délabrement de l'état psychologique des détenus,  ainsi que cela est rappelé dans la décision de la Cedh, qu'elles peuvent engendrer de graves incidents entre détenus ou entre détenus et surveillants, enfin et surtout que cela fait obstacle à la réinsertion des intéressés en fin de peine et, par ricochet, augmente le risque d'une récidive attisée par la dépression ou la haine.


  La société civile à bien plus à perdre qu'à gagner dans de telles situations.








 
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L
Que la police ait fait des progrès est la moindre des choses, se servir de son autorité pour humilier est lamentable et je n'en démords pas, les traitements dégradants, stade le plus faible de la réalité que recoupe l'article 3 de la CEDH, ne devraient même pas exister du fait des professionnels, policiers ou autres. Quand au suicide, l'augmentation des effectifs de l'administration pénitentiaire permettrait effectivement de l'empêcher davantage, mais ça n'enlèverait en rien les causes d'un tel passage à l'acte; ce qu'il faudrait c'est davantage de personnel soignant, dont les psy...
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B
Merci de ce billet.Contrairement au commentaire précédent, je ne suis pas du tout certain qu'il faille donner une place prééminente aux traitements dégradants subis par les détenus du fait du comportement du personnel de l'administration pénitentiaire.L'AP, comme la police nationale, a fait d'énormes progrès sur ce point par rapport aux années 70 et 80, il serait regrettable que les juges ne le voient pas.C'est lorsque la présence humaine du "maton" manque que le suicide est possible, que les bagarres entre détenus se produisent, c'est encore lorsque le personnel de l'AP est insuffisant que les douches ou les activités diverses ne sont pas accessibles aux détenus.Enfin, sur la question des transferts multiples, oui, cette première condamnation visée dans le billet est justifiée. Pour autant, je crains que l'on vienne en réponse à construire, pour éviter ces transferts, des prisons de type "ADX Max"  comme on le voit aux USA, véritables mouroirs desquels les condamnés à perpétuité ne sortent que dans une boîte en bois.
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L
Bonjour, Pour compléter votre article, je me permets d'évoquer un autre point choquant quant à ce qui constitue un traitement inhumain ou dégradant : les brutalités policières, donc avant le stade de la prison, et qui sont elles aussi inadmissibles. Dans Le Monde d'hier, vendredi 4 septembre 2009, une instruction complémentaire a lieu quant à un décès d'un gardé à vue en 2004. Mais ce n'est pas la seule fois que l'on peut lire dans la presse l'évocation de violences en garde à vue. D'ailleurs, en matière de brutalités policières, la Cour européenne exclut le critère de proportionnalité pour apprécier s'il y a eu un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3. Elle a institué une présomption de causalité de sorte qu'il incombe à l'Etat, et non au requérant, de fournir une explication sur l'origine des blessures créées. (Voir en ce sens les arrêts Tomasi c/ France, du 27 août 1992 et Selmouni c/ France, du 28 juillet 1999, pour ne citer que les condamnations rendues contre la France). A défaut de voir un jour les conditions de détention améliorées, puisque cette nécessité s'éternise indéfiniment, il pourrait déjà être pertinent de renforcer la déontologie du personnel pénitentiaire, et des policiers aussi quant à la garde à vue. Cela serait déjà un bon préalable. Ne pas oublier que derrière ou devant les barreaux, et même si évidemment l'on n'a pas la même chose à se reprocher, il ne s'agit pas moins d'êtres humains des deux côtés.
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