Les propositions ministérielles pour lutter contre le suicide en prison
Par Michel Huyette
La ministre de la justice, à l'occasion d'un déplacement dans un établissement pénitentaire, a fait connaître certaines propositions pour lutter contre le suicide en prison, après une multiplication alarmante de ceux-ci ces dernières semaines.
Parmi ces propositions on trouve des "kits de protection" contenant des draps et des couvertures déchirables, des matelas "anti-feu", de même que les traditionnelles formations du personnel pénitentaire. Plus surprenant, il est également envisagé que des détenus soient désignés (formés ?) pour aider les plus fragiles. Sur ce dernier point, il n'est pas précisé quelle sera la situation de ceux d'entre eux qui n'arriveront pas à prévenir un suicide et devront supporter cette culpabilité supplémentaire...
La problématique du suicide en prison n'est pas nouvelle et elle a fait l'objet d'une succession d'études depuis de nombreuses années (1). Je renvoie les visiteurs à la lecture de ces nombreux documents. Ce qui est intéressant, c'est la comparaison du contenu des rapports à plusieurs années d'intervalles, proches sur de nombreux points, de même que la multiplicité des propositions qu'ils contiennent, également semblables, avec l'insignifiance des moyens consacrés et des résultats obtenus. Cela montre à la fois que les enjeux sont connus depuis longtemps, et que rien d'efficace en profondeur n'a été fait jusqu'à présent faute de volonté politique en ce sens.
Pourtant la situation l'exige. Rappelons brièvement quelques évidences.
Dans certaines prisons, ceux qui découvrent pour la première fois l'incarcération (les détenus qui se suicident le font souvent dans une période assez courte après leur emprisonnement ou après le prononcé de leur condamnation, beaucoup plus rarement après plusieurs années de détention) sont complètement anéantis par les conditions dans lesquelles ils vont vivre. N'ayons pas peur de la réalité ni des mots. Fermez les yeux et imaginez un instant la scène. Vous entrez dans une pièce sordide tout juste digne pour une personne, mais il y en a déjà trois autres. On vous désigne un matelas par terre ou chacun dormira à tour de rôle. Et puis, quand vient le moment d'aller au toilette, on vous montre un espace de quelques dizaines de centimètres carrés non séparé du reste de la pièce sinon par un petit muret qui ne ferme pas tout cet espace, avec ce que cela engendre en termes de bruit, d'odeurs.
C'est alors l'humiliation, et l'anéantissement de toute forme de dignité.
Sans parler, comme le dénoncent sans cesse les surveillants, de l'impossibilité à cause du nombre des détenus de faire autre chose que du gardiennage, le temps pour les contacts humains, ceux qui rendent certains moments difficiles un peu plus supportables, manquant cruellement.
La question doit donc être posée une nouvelle fois : sachant que de nombreuses prisons sont pleines à craquer, était-il à ce point urgent de multiplier les lois ayant pour objectif d'envoyer plus de personnes en prison et pour plus longtemps, comme la loi sur la récidive et les peines minimales ?
Et même en supposant qu'une augmentation des sanctions soit souhaitable, ne fallait-il pas attendre que les conditions d'accueil des détenus soient au minimum acceptables à défaut d'être confortables ? Pour le dire autrement, quand les détenus sont déjà 3 dans une cellule exigüe, est-il urgent et politiquement raisonnable d'en envoyer délibérément un quatrième en sachant tout ce que cela entraînera en termes de dégradation de l'hygiène physique et mentale, de promiscuité, de tensions voire de violences, et, surtout, en termes d'humiliations ?
C'est pour cela qu'il est toujours un peu étonnant de constater que ce sont les mêmes responsables qui d'un coté décident de favoriser et veulent voir se multiplier toujours plus les peines d'emprisonnement tout en sachant que les prisons sont totalement saturées, et qui de l'autre affirment vouloir lutter contre les suicides dont le nombre a considérablement augmenté au cours des dernières décennies...
Mais venons-en maintenant à la question qui me semble être le coeur de cette problématique et qui est le véritable objet de cet article : veut-on véritablement réduire le nombre des détenus qui se suicident ?
Si cette troublante question se pose, c'est que cela fait de très nombreuses années que gouvernants et élus de tous bords dénoncent l'état de nos prisons et les conséquences sur la santé physique et mentale des détenus. Ils le disent et ils l'écrivent (2). Mais tout cela ce ne sont que des mots.
Les causes et les effets étant connus depuis longtemps (état psychologique et faible niveau intellectuel de nombreux détenus, conditions matérielles de détention, surpopulation carcérale, liens difficiles avec les familles, encadrement et soutien spécialisé insuffisants etc..), la situation serait aujourd'hui moins dramatique si les mesures indispensables avaient été prises il y a bien des années. Car de deux choses l'une. Soit les suicides sont inévitables et donc inéluctables, mais alors il est inutile de lancer des recherches, de rédiger des rapports ou de faire des annonces puisqu'il n'existe aucun moyen d'en réduire le nombre. Soit des actions peuvent permettre ce résultat et il reste à expliquer pourquoi rien d'efficace n'a été fait jusqu'à présent.
Le seconde hypothèse étant la seule crédible, il faut donc se demander pourquoi il existe une telle distance entre le discours de façade et la réalité de terrain, entre le possible et le réalisé.
Il n'est pas du tout certain que parmi la population française, majoritaires soient les citoyens qui sont convaincus qu'il faut consacrer de l'argent au mieux-être d'individus qui ont agressé, volé, braqué, violé, détruit. On entend souvent dire que tous ces gens là ont choisi la délinquance et doivent en subir toutes les conséquences, et qu'il n'y a aucune raison de leur accorder la moindre faveur. C'est le classique refus de la télévision en cellule qui transforme la prison en hôtel trois étoiles, Bref, ces gens là ne méritent pas que l'on consacre de l'argent à leurs conditions de vie, même déplorables.
Après la sanction individuelle pour l'infraction commise, s'ajoute une sorte de vengeance collective. Les conditions de vie dégradées des détenus sont, consciemment ou non, considérées comme une sanction supplémentaire méritée pour ceux qui ont dérangé l'ordre social. C'est retourner le couteau dans la plaie, pour faire mal une seconde fois.
En plus, cette vision du détenu exclu de notre groupe social et qui ne peut donc pas réclamer les mêmes faveurs est encouragée au plus haut niveau de l'Etat, là où la contradiction est, une fois encore, particulièrement criante. D'un côté on se désole des conditions des personnes emprisonnées en proclamant que leur situation est indigne d'un pays qui respecte les droits de l'homme, et de l'autre on fait comprendre aux citoyens que ceux qui vont en prison sont des gens méprisables. C'est le cas quand ont promet à des habitants des cités de "nettoyer" leur environnement "au karsher". Car avec un tel appareil à haute pression d'eau ce sont les détritus, les déchets, les salissures, la pourriture que l'ont enlève. Les citoyens sont donc clairement invités à considérer les délinquants non plus seulement comme des être humains qui ont commis des fautes et doivent être sanctionnés, éventuellement sévèrement, mais comme des membres d'une sous-catégorie par hypothèse non respectable. De fait, qui aurait envie de respecter et de s'occuper d'un un déchet ?
La seule possibilité pour les détenus de faire reconnaître un droit à une dignité minimale consiste alors à saisir les tribunaux pour faire reconnaître que l'Etat les maltraite et le faire condamner. Plusieurs procédures en ce sens ont été couronnées de succès au cours des derniers mois. Cela en dit long sur l'impasse dans laquelle on les maintient.
Finalement, ce qui freine toute amélioration de la situation des détenus, c'est d'abord l'absence de conviction profonde qu'une telle démarche est nécessaire.
Ce qui manque aussi, c'est une vision des conséquences de la situation des détenus au-delà de ce qu'ils vivent en détention.
Un détenu ce n'est pas qu'un homme (et quelques femmes aussi...) emprisonné. C'est un mari, un père, un frère, un cousin, un ami. Quand tous ces gens constatent ou entendent à l'occasion des parloirs les récits de la vie quotidienne, cela déclenche chez eux, inéluctablement, sans doute de la compassion, mais surtout de la révolte quand ce n'est de la haine. Car, parmi eux, même ceux qui trouvent la sanction justifiée n'admettront pas les humiliations du détenu. Cette révolte va peu à peu s'insinuer dans les esprits, puis se répandre dans la famille, parmi les autres proches, puis dans les quartiers. Elle va, consciement ou non, attiser les exaspérations et les gestes - bien sur inacceptables et qui doivent être sanctionnés - contre les représentants de l'Etat. L'adolescent qui après avoir vu son père au parloir lui parler de ses conditions de vie humiliantes et qui lance le lendemain du haut de son immeuble un objet sur une voiture de police n'en veut pas fondamentalement aux policiers. Ce qu'il veut atteindre ce sont les représentants de ceux qui font à son père ce que jamais ils n'accepteraient pour eux (3).
Quand un être humain a commis un acte d'agression envers le groupe social auquel il appartient, il faut, pour éviter à l'avenir de nouveaux affrontements, d'abord le punir, aussi sévèrement que nécessaire, mais ensuite lui montrer que le groupe est prêt à l'accepter à nouveau comme l'un des siens, sans aucune différence ni déconsidération.
En continuant en pleine connaissance de cause à faire vivre des détenus dans des conditions moyennâgeuses, c'est tout l'inverse que l'on prépare. Comme tous les spécialistes le décrivent depuis des lustres, nous ne pouvons pas continuer, sans nous contredire, à générer tensions, rancoeurs et haines du fait de nos choix politiques, et à nous plaindre des conséquences négatives et parfois dramatiques de ces choix.
On le sait depuis toujours, le suicide c'est, entre bien d'autres choses, une considérable perte de l'estime de soi. Celui qui se donne la mort ne voit plus en lui quelqu'un susceptible de vivre de façon digne, noble, estimable, et sent disparaître le lien avec les autres, ce lien essentiel qui nous tient en vie. Le suicide c'est, dans une certaine mesure, la conséquence de l'anéantissement de l'avenir.
Les détenus qui se suicident ne nous disent pas qu'ils avaient envie de mourir. Ils nous demandent pourquoi nous ne leur avons pas donné l'envie de vivre.
Alors en présence d'un tel enjeu, leur distribuer des pyjamas en papier.......
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1. Vous pouvez vous reporter notamment aux rapports suivants :
- "Rapport sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire" - 1996
- "Prévention du suicide des personnes détenues : évaluation des actions mises en place et propositions pour développer un programme complet de prévention" - 2003
- "La prévention du suicide en milieu carcéral - Commission présidée par le docteur Louis Albrand" - 2009
2. cf. not. "Rapport fait au nom de la Commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises." Assemblée Nationale 2000
"Rapport de la Commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France" Sénat 2000
3. Il est d'ailleurs toujours très intéressant d'observer les réactions des personnes d'un rang économico-social élevé qui sont un temps emprisonnées, qui alors dénoncent vigoureusement des conditions d'emprisonnement indignes et insupportables... le temps de revenir à leurs affaires et d'oublier ceux qui sont restés derrière les portes fermées à clé.
Parmi ces propositions on trouve des "kits de protection" contenant des draps et des couvertures déchirables, des matelas "anti-feu", de même que les traditionnelles formations du personnel pénitentaire. Plus surprenant, il est également envisagé que des détenus soient désignés (formés ?) pour aider les plus fragiles. Sur ce dernier point, il n'est pas précisé quelle sera la situation de ceux d'entre eux qui n'arriveront pas à prévenir un suicide et devront supporter cette culpabilité supplémentaire...
La problématique du suicide en prison n'est pas nouvelle et elle a fait l'objet d'une succession d'études depuis de nombreuses années (1). Je renvoie les visiteurs à la lecture de ces nombreux documents. Ce qui est intéressant, c'est la comparaison du contenu des rapports à plusieurs années d'intervalles, proches sur de nombreux points, de même que la multiplicité des propositions qu'ils contiennent, également semblables, avec l'insignifiance des moyens consacrés et des résultats obtenus. Cela montre à la fois que les enjeux sont connus depuis longtemps, et que rien d'efficace en profondeur n'a été fait jusqu'à présent faute de volonté politique en ce sens.
Pourtant la situation l'exige. Rappelons brièvement quelques évidences.
Dans certaines prisons, ceux qui découvrent pour la première fois l'incarcération (les détenus qui se suicident le font souvent dans une période assez courte après leur emprisonnement ou après le prononcé de leur condamnation, beaucoup plus rarement après plusieurs années de détention) sont complètement anéantis par les conditions dans lesquelles ils vont vivre. N'ayons pas peur de la réalité ni des mots. Fermez les yeux et imaginez un instant la scène. Vous entrez dans une pièce sordide tout juste digne pour une personne, mais il y en a déjà trois autres. On vous désigne un matelas par terre ou chacun dormira à tour de rôle. Et puis, quand vient le moment d'aller au toilette, on vous montre un espace de quelques dizaines de centimètres carrés non séparé du reste de la pièce sinon par un petit muret qui ne ferme pas tout cet espace, avec ce que cela engendre en termes de bruit, d'odeurs.
C'est alors l'humiliation, et l'anéantissement de toute forme de dignité.
Sans parler, comme le dénoncent sans cesse les surveillants, de l'impossibilité à cause du nombre des détenus de faire autre chose que du gardiennage, le temps pour les contacts humains, ceux qui rendent certains moments difficiles un peu plus supportables, manquant cruellement.
La question doit donc être posée une nouvelle fois : sachant que de nombreuses prisons sont pleines à craquer, était-il à ce point urgent de multiplier les lois ayant pour objectif d'envoyer plus de personnes en prison et pour plus longtemps, comme la loi sur la récidive et les peines minimales ?
Et même en supposant qu'une augmentation des sanctions soit souhaitable, ne fallait-il pas attendre que les conditions d'accueil des détenus soient au minimum acceptables à défaut d'être confortables ? Pour le dire autrement, quand les détenus sont déjà 3 dans une cellule exigüe, est-il urgent et politiquement raisonnable d'en envoyer délibérément un quatrième en sachant tout ce que cela entraînera en termes de dégradation de l'hygiène physique et mentale, de promiscuité, de tensions voire de violences, et, surtout, en termes d'humiliations ?
C'est pour cela qu'il est toujours un peu étonnant de constater que ce sont les mêmes responsables qui d'un coté décident de favoriser et veulent voir se multiplier toujours plus les peines d'emprisonnement tout en sachant que les prisons sont totalement saturées, et qui de l'autre affirment vouloir lutter contre les suicides dont le nombre a considérablement augmenté au cours des dernières décennies...
Mais venons-en maintenant à la question qui me semble être le coeur de cette problématique et qui est le véritable objet de cet article : veut-on véritablement réduire le nombre des détenus qui se suicident ?
Si cette troublante question se pose, c'est que cela fait de très nombreuses années que gouvernants et élus de tous bords dénoncent l'état de nos prisons et les conséquences sur la santé physique et mentale des détenus. Ils le disent et ils l'écrivent (2). Mais tout cela ce ne sont que des mots.
Les causes et les effets étant connus depuis longtemps (état psychologique et faible niveau intellectuel de nombreux détenus, conditions matérielles de détention, surpopulation carcérale, liens difficiles avec les familles, encadrement et soutien spécialisé insuffisants etc..), la situation serait aujourd'hui moins dramatique si les mesures indispensables avaient été prises il y a bien des années. Car de deux choses l'une. Soit les suicides sont inévitables et donc inéluctables, mais alors il est inutile de lancer des recherches, de rédiger des rapports ou de faire des annonces puisqu'il n'existe aucun moyen d'en réduire le nombre. Soit des actions peuvent permettre ce résultat et il reste à expliquer pourquoi rien d'efficace n'a été fait jusqu'à présent.
Le seconde hypothèse étant la seule crédible, il faut donc se demander pourquoi il existe une telle distance entre le discours de façade et la réalité de terrain, entre le possible et le réalisé.
Il n'est pas du tout certain que parmi la population française, majoritaires soient les citoyens qui sont convaincus qu'il faut consacrer de l'argent au mieux-être d'individus qui ont agressé, volé, braqué, violé, détruit. On entend souvent dire que tous ces gens là ont choisi la délinquance et doivent en subir toutes les conséquences, et qu'il n'y a aucune raison de leur accorder la moindre faveur. C'est le classique refus de la télévision en cellule qui transforme la prison en hôtel trois étoiles, Bref, ces gens là ne méritent pas que l'on consacre de l'argent à leurs conditions de vie, même déplorables.
Après la sanction individuelle pour l'infraction commise, s'ajoute une sorte de vengeance collective. Les conditions de vie dégradées des détenus sont, consciemment ou non, considérées comme une sanction supplémentaire méritée pour ceux qui ont dérangé l'ordre social. C'est retourner le couteau dans la plaie, pour faire mal une seconde fois.
En plus, cette vision du détenu exclu de notre groupe social et qui ne peut donc pas réclamer les mêmes faveurs est encouragée au plus haut niveau de l'Etat, là où la contradiction est, une fois encore, particulièrement criante. D'un côté on se désole des conditions des personnes emprisonnées en proclamant que leur situation est indigne d'un pays qui respecte les droits de l'homme, et de l'autre on fait comprendre aux citoyens que ceux qui vont en prison sont des gens méprisables. C'est le cas quand ont promet à des habitants des cités de "nettoyer" leur environnement "au karsher". Car avec un tel appareil à haute pression d'eau ce sont les détritus, les déchets, les salissures, la pourriture que l'ont enlève. Les citoyens sont donc clairement invités à considérer les délinquants non plus seulement comme des être humains qui ont commis des fautes et doivent être sanctionnés, éventuellement sévèrement, mais comme des membres d'une sous-catégorie par hypothèse non respectable. De fait, qui aurait envie de respecter et de s'occuper d'un un déchet ?
La seule possibilité pour les détenus de faire reconnaître un droit à une dignité minimale consiste alors à saisir les tribunaux pour faire reconnaître que l'Etat les maltraite et le faire condamner. Plusieurs procédures en ce sens ont été couronnées de succès au cours des derniers mois. Cela en dit long sur l'impasse dans laquelle on les maintient.
Finalement, ce qui freine toute amélioration de la situation des détenus, c'est d'abord l'absence de conviction profonde qu'une telle démarche est nécessaire.
Ce qui manque aussi, c'est une vision des conséquences de la situation des détenus au-delà de ce qu'ils vivent en détention.
Un détenu ce n'est pas qu'un homme (et quelques femmes aussi...) emprisonné. C'est un mari, un père, un frère, un cousin, un ami. Quand tous ces gens constatent ou entendent à l'occasion des parloirs les récits de la vie quotidienne, cela déclenche chez eux, inéluctablement, sans doute de la compassion, mais surtout de la révolte quand ce n'est de la haine. Car, parmi eux, même ceux qui trouvent la sanction justifiée n'admettront pas les humiliations du détenu. Cette révolte va peu à peu s'insinuer dans les esprits, puis se répandre dans la famille, parmi les autres proches, puis dans les quartiers. Elle va, consciement ou non, attiser les exaspérations et les gestes - bien sur inacceptables et qui doivent être sanctionnés - contre les représentants de l'Etat. L'adolescent qui après avoir vu son père au parloir lui parler de ses conditions de vie humiliantes et qui lance le lendemain du haut de son immeuble un objet sur une voiture de police n'en veut pas fondamentalement aux policiers. Ce qu'il veut atteindre ce sont les représentants de ceux qui font à son père ce que jamais ils n'accepteraient pour eux (3).
Quand un être humain a commis un acte d'agression envers le groupe social auquel il appartient, il faut, pour éviter à l'avenir de nouveaux affrontements, d'abord le punir, aussi sévèrement que nécessaire, mais ensuite lui montrer que le groupe est prêt à l'accepter à nouveau comme l'un des siens, sans aucune différence ni déconsidération.
En continuant en pleine connaissance de cause à faire vivre des détenus dans des conditions moyennâgeuses, c'est tout l'inverse que l'on prépare. Comme tous les spécialistes le décrivent depuis des lustres, nous ne pouvons pas continuer, sans nous contredire, à générer tensions, rancoeurs et haines du fait de nos choix politiques, et à nous plaindre des conséquences négatives et parfois dramatiques de ces choix.
On le sait depuis toujours, le suicide c'est, entre bien d'autres choses, une considérable perte de l'estime de soi. Celui qui se donne la mort ne voit plus en lui quelqu'un susceptible de vivre de façon digne, noble, estimable, et sent disparaître le lien avec les autres, ce lien essentiel qui nous tient en vie. Le suicide c'est, dans une certaine mesure, la conséquence de l'anéantissement de l'avenir.
Les détenus qui se suicident ne nous disent pas qu'ils avaient envie de mourir. Ils nous demandent pourquoi nous ne leur avons pas donné l'envie de vivre.
Alors en présence d'un tel enjeu, leur distribuer des pyjamas en papier.......
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1. Vous pouvez vous reporter notamment aux rapports suivants :
- "Rapport sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire" - 1996
- "Prévention du suicide des personnes détenues : évaluation des actions mises en place et propositions pour développer un programme complet de prévention" - 2003
- "La prévention du suicide en milieu carcéral - Commission présidée par le docteur Louis Albrand" - 2009
2. cf. not. "Rapport fait au nom de la Commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises." Assemblée Nationale 2000
"Rapport de la Commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France" Sénat 2000
3. Il est d'ailleurs toujours très intéressant d'observer les réactions des personnes d'un rang économico-social élevé qui sont un temps emprisonnées, qui alors dénoncent vigoureusement des conditions d'emprisonnement indignes et insupportables... le temps de revenir à leurs affaires et d'oublier ceux qui sont restés derrière les portes fermées à clé.